Jurisprudence en matière de greffes - Objectif Soins & Management n° 0290 du 08/12/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0290 du 08/12/2022

 

Pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la cour de Lyon

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu le 3 novembre 2022 un important arrêt, intégrant le cadre juridique fixé par le Conseil d’État en 2021, dans une affaire grave qui permet d’examiner un large volet des pratiques. En complément, deux arrêts récents ont été publiés sur l’obligation d’information de l’Agence de la biomédecine et la surveillance médicale des signes de rejet.

1/ LES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES DANS UNE PRISE EN CHARGE DÉLÉTÈRE

Les praticiens hospitaliers et l’Agence de la biomédecine, chacun pour leur part, engagent leur responsabilité en cas de faute ayant causé une perte de chance, et l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), au titre de la solidarité nationale, droit verser le complément d’indemnisation si le préjudice est rare et grave (CAA de Bordeaux, 3 novembre 2022, n° 21BX03946).

Les faits

Un patient, qui présentait un diabète de type II, était pris en charge au CHU de Bordeaux pour une cirrhose décompensée et un carcinome hépatocellulaire avec une indication de greffe hépatique posée en avril 2010. Il a été admis dans cet établissement le 26 janvier 2011 pour la réalisation de cette intervention, le greffon devant être prélevé au centre hospitalier du Havre, par une équipe du CHU de Bordeaux.

Le chirurgien du CHU de Bordeaux, qui avait commencé l’opération et procédé à 9 heures au clampage du pédicule hépatique rendant l’hépatectomie irréversible, a été informé à 9 heures 30 de la détection chez le donneur d’une adénopathie rénale cancéreuse, métastase d’un probable cancer pulmonaire. Il a été décidé, après concertation, de renoncer à l’implantation du greffon hépatique en raison d’un bilan bénéfices-risques défavorable.

Un second greffon, demandé en « super-urgence » auprès de l’Agence de la biomédecine qui l’a proposé 20 minutes plus tard, a été prélevé à Cholet et implanté dans la nuit du 26 au 27 janvier.

Après l’arrêt de la sédation le 31 janvier 2011, le patient a présenté des troubles neurologiques, et une IRM cérébrale réalisée le 9 février a mis en évidence des lésions de myélinolyse centro- et extra-pontine, complication à l’origine de troubles sensitivo-moteurs importants, notamment une tétraparésie dont la récupération est restée limitée malgré la rééducation.

La procédure

Le patient a obtenu la désignation d’un expert judiciaire en référé. Dans son rapport déposé le 28 juin 2013, l’expert a conclu que des fautes ont été commises dans l’organisation du prélèvement, la survenue de la myélinolyse, en lien direct et certain avec la transplantation hépatique, relève d’un aléa thérapeutique, l’état antérieur du patient y a contribué à hauteur de 20 %.

Le patient a alors engagé un recours en responsabilité dirigé contre le CHU de Bordeaux, de l’Agence de la biomédecine, du groupe hospitalier du Havre et de l’Oniam.

Dans un premier arrêt du 11 juillet 2017, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a ordonné une nouvelle expertise afin d’apprécier l’existence d’un lien de causalité entre les fautes alléguées et la survenue de la myélinolyse, et d’évaluer l’éventuelle perte de chance que cette complication ne se réalise pas.

Dans un rapport déposé le 4 juin 2018, l’expert a conclu que la myélinolyse avait pour cause « l’état antérieur du patient » pour une part prédominante évaluée à 75 %, et les « suppléments » thérapeutiques imposés par les dysfonctionnements préopératoires pour les 25 % restants.

La Cour a rendu un arrêt qui a été cassé par le Conseil d’État le 15 octobre 2021 (n° 431291, 431347) et l’affaire revenue devant la Cour qui ainsi, dans son arrêt du 3 novembre 2022, applique le cadre juridique fixé par le Conseil d’État.

La prise en charge antérieure à la transplantation

Argument du patient

Le patient évoque des recommandations de la Haute Autorité de santé publiées en septembre 2007 selon lesquelles, dans le cas d’une ascite réfractaire, il convient, dans l’attente d’une transplantation hépatique, soit de mettre en place une anastomose intrahépatique portocave par voie transjugulaire, soit de réaliser des ponctions évacuatrices. Il reproche au CHU de Bordeaux de ne pas avoir procédé à des ponctions de l’ascite antérieurement à la transplantation, abstention qui aurait eu pour conséquence des pertes ascitiques massives, compensées par d’importants apports salés ayant favorisé la survenue de la myélinolyse.

Analyse de la Cour

Le dossier médical fait apparaître qu’une ascite s’est constituée seulement à la fin de l’année 2010, et qu’une ponction réalisée le 24 novembre 2010 n’a pas permis son évacuation. Le premier expert a indiqué que les apports salés reçus par le patient lors du premier temps opératoire avaient pour objet de maintenir son hémodynamisme compromis par des pertes sanguines massives et par des pertes ascitiques, mais le second a précisé que l’ascite est un liquide « perdu » non utilisable, de sorte que l’aspiration d’un volume banal de 3,9 litres d’ascite en peropératoire n’avait nécessité aucune compensation.

L’avis du second expert sur la causalité complète le premier avis : en l’absence de lien de causalité entre ce fait et le dommage corporel, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur le caractère fautif ou non du choix des médecins sur ce point.

La qualification du premier greffon

Droit applicable

Selon l’arrêté du 27 février 1998 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement d’organes à finalité thérapeutique sur personne décédée, les médecins du donneur prennent celui-ci en charge depuis le diagnostic de la mort encéphalique jusqu’au prélèvement, lequel est effectué par des chirurgiens de l’établissement du donneur ou exerçant dans un autre établissement de santé, placés dans ce dernier cas sous la responsabilité du chef de service concerné, le chirurgien préleveur pouvant être ou ne pas être le chirurgien transplanteur.

En vertu de l’article L. 1418-1 du Code de la santé publique (CSP), l’Agence de la biomédecine* a notamment pour mission de participer à l’élaboration et à l’application de la réglementation et des règles de bonnes pratiques s’agissant des greffes, de formuler des recommandations et de promouvoir la qualité et la sécurité sanitaires. Elle est en particulier chargée d’assurer « l’encadrement et la coordination des activités de prélèvements et de greffes d’organes, de tissus et de cellules issus du corps humain » (CSP, Art. R. 1418-1).

Au titre de cette dernière mission et selon les règles fixées par l’arrêté du 27 février 1998, la coordination des opérations de prélèvement et de greffe est assurée par des médecins de l’Agence de la biomédecine présents dans sept inter-régions, désormais regroupées dans les quatre services régionaux d’appui de l’agence. En vertu du I de l’annexe de cet arrêté relative au personnel, chaque établissement de santé concerné doit travailler en liaison avec le coordonnateur interrégional de l’Agence de la biomédecine, les médecins en charge du donneur ainsi que les chirurgiens en charge du prélèvement.

Ces mêmes règles prévoient que, lors du processus de prélèvement, les médecins en charge du donneur et les chirurgiens préleveurs sont responsables de la collecte des informations concernant le donneur, en particulier celles susceptibles de donner des indications quant à la qualité des greffons, en vue de leur transmission à la coordination interrégionale de l’Agence de la biomédecine et aux équipes de greffes. La coordination interrégionale de l’Agence est ainsi tenue informée de toute éventualité d’un prélèvement, la survenue d’incidents durant le processus qui va du prélèvement à la greffe devant lui être communiquée pour lui permettre d’engager une procédure d’alerte, ainsi qu’une enquête immédiate destinée à comprendre la cause de l’incident et en éviter la répétition.

En synthèse, « l’organisation et le déroulement des opérations de prélèvements et de greffes d’organes, en particulier les opérations de sélection du donneur et du greffon, qui nécessitent une étroite coordination entre ses différents acteurs, font participer l’Agence de la biomédecine à la phase de sélection du donneur, tant au stade de la vérification du caractère complet de son dossier et de la cohérence des informations qui y figurent qu’à celui de la concertation lors de sa sélection, ainsi qu’au suivi des informations le concernant, au cours ou à la suite du prélèvement ».

Dans ces conditions, et comme l’a jugé le Conseil d’État, la victime d’une opération de greffe qui estime que les sélections du donneur ou du greffon n’ont pas été satisfaisantes « peut rechercher la responsabilité solidaire tant des établissements de santé impliqués dans l’opération de sélection que de l’Agence de la biomédecine, ce sans avoir à établir la faute propre à chacun des intervenants ». Conformément aux règles qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l’Agence peut toutefois demander à être dégagée de toute responsabilité en établissant qu’elle n’a commis aucune faute dans l’accomplissement de ses missions propres.

Analyse de la Cour

Les médecins du donneur étaient ceux du groupe hospitalier du Havre, et le prélèvement du greffon hépatique a été effectué par un chirurgien du CHU de Bordeaux placé sous la responsabilité de celui qui devait réaliser la greffe.

La sélection du donneur

Droit applicable

Il résulte du livret d’aide à la prise en charge d’un donneur potentiel d’organes en vue de prélèvement, édité en septembre 2010 par l’Agence de la biomédecine, que l’éventualité d’un prélèvement d’organes doit être envisagée pour tout patient en état de mort encéphalique ou présentant une forte présomption de passage vers cet état, quels que soient l’âge ou les antécédents du donneur potentiel, dès lors que les études montrent de bons résultats avec des donneurs « limite ».

L’article R. 1211-13 du CSP dispose que : « Avant tout prélèvement d’éléments ou toute collecte de produits du corps humain à des fins thérapeutiques sur une personne vivante ou décédée, le médecin appelé à le réaliser est tenu de rechercher les antécédents médicaux et chirurgicaux personnels et familiaux du donneur potentiel et de s’informer de l’état clinique de celui-ci, notamment en consultant le dossier médical, un document en retraçant le contenu ou tout document comportant les informations pertinentes. (...) Le médecin qui réalise le prélèvement vérifie que les informations ainsi recueillies ne constituent pas une contre-indication à l’utilisation thérapeutique des éléments ou produits à prélever, notamment eu égard aux risques de transmission des maladies dus aux agents transmissibles non conventionnels ».

L’article I.3.3.2 des règles de bonnes pratiques prévoit notamment que les chirurgiens préleveurs sont tenus d’avoir pris connaissance du dossier du donneur et recueillent des informations permettant d’apprécier la qualité du greffon.

Analyse de la Cour

Le premier expert a qualifié de fautive la sélection du premier donneur. Toutefois, il s’agit seulement d’une obligation de moyens sur la méthode et non de résultat sur la qualité du greffon, et il faut donc analyser si oui ou non, les praticiens ont mis en œuvre les moyens attendus au regard des données acquises de la science.

Le donneur, décédé d’un accident vasculaire cérébral, dont l’état de mort encéphalique avait été constaté le 25 janvier 2011 au groupe hospitalier du Havre, était âgé de 74 ans. Les recherches entreprises n’ayant permis de retrouver aucun proche ni médecin traitant, la seule donnée médicale connue était la trace d’une hospitalisation six ans plus tôt, pour une alcoolisation avec la mention d’un alcoolo-tabagisme.

Les résultats des examens sanguins réalisés n’étaient pas évocateurs d’une hépatopathie, l’échographie hépatobiliaire n’avait révélé aucune anomalie, et l’expert a admis que la notion d’une consommation d’alcool n’est pas un obstacle en soi au don d’organe hépatique et qu’en l’espèce, la stéatose secondaire à la prise d’alcool était faible (moins de 10 %). L’échographie rénale a été considérée comme normale malgré la présence de kystes parapyéliques bilatéraux, mais la radiographie thoraco-pulmonaire a été qualifiée d’anormale, avec une image à type de plaques pleurales et un infiltrat bilatéral.

Dans ces circonstances, et alors que la greffe ne présentait pas pour le patient un caractère d’urgence absolue, ce qui permettait de réaliser l’ensemble des examens nécessaires pour s’assurer de la qualité du greffon hépatique, l’absence de réalisation d’un scanner pulmonaire et d’un scanner abdomino-pelvien par le groupe hospitalier du Havre est constitutive d’une faute, comme l’a retenu l’expert qui a estimé que les règles relatives à l’élimination d’un donneur potentiel en fonction de critères médicaux avaient été méconnues.

Cette faute n’est pas imputable à l’Agence de la biomédecine, à laquelle il n’appartenait pas d’ordonner des examens complémentaires.

Le dysfonctionnement dans la transmission de l’information

Le CHU de Bordeaux

L’équipe chirurgicale du CHU de Bordeaux qui avait prélevé le greffon hépatique était encore présente au bloc opératoire du groupe hospitalier du Havre lorsqu’un chirurgien de ce dernier établissement a prélevé les reins et découvert, au plus tard à 7 heures 20, l’adénopathie rénale droite suspecte dont il a demandé un examen histologique à 7 heures 30. Au même moment, l’équipe du CHU de Bordeaux regagnait son établissement avec le greffon hépatique et un fragment de l’adénopathie. Cette équipe n’a pas informé le chirurgien du CHU de Bordeaux de cette découverte de nature à faire douter de la qualité du greffon hépatique, de sorte que l’intervention commencée à 6 heures 15 avec l’anesthésie du patient a été poursuivie jusqu’au clampage réalisé à 9 heures, rendant l’hépatectomie irréversible. Le défaut de communication entre les deux équipes du CHU de Bordeaux présente un caractère fautif.

Le CH du Havre

En revanche, il ressort de la chronologie des faits que l’infirmier coordonnateur du groupe hospitalier du Havre a envoyé le ganglion suspect à l’analyse, en a confié une partie à l’équipe du CHU de Bordeaux pour examen anatomopathologique à son retour, et a prévenu l’Agence de la biomédecine. Ainsi, le groupe hospitalier du Havre n’a commis aucune faute dans la transmission de l’information.

L’Agence de biomédecine

Pour demander à être dégagée de toute responsabilité dans l’accomplissement de ses missions propres, l’Agence de la biomédecine fait valoir que le risque concernant le greffon a été retranscrit dès la découverte de l’adénopathie rénale dans le dossier Cristal qui était à la disposition de l’équipe de transplantation, qu’elle n’avait pas à alerter le CHU de Bordeaux sur le doute quant à la qualité du greffon, et qu’elle lui a transmis les résultats du contrôle anatomopathologique à 9 heures 30.

La Cour écarte ce raisonnement. La mission de coordination et d’alerte qui est impartie à l’Agence lui imposait, compte tenu de l’urgence, de porter à la connaissance de l’établissement greffeur tout élément de nature à influer sur les décisions chirurgicales, ce qui n’a pas été fait. Le fait qu’une équipe du CHU de Bordeaux était sur place au moment de la découverte de l’adénopathie du pédicule rénal droit du donneur, n’exonérait pas l’Agence de son devoir de s’assurer de la bonne réception de cette information. Ainsi, l’Agence de la biomédecine, qui a commis une faute dans l’accomplissement de ses missions propres, ne peut être dégagée de toute responsabilité.

Le lien de causalité

Les expertises

La myélinolyse centro- et extra-pontine à l’origine des séquelles dont le patient est resté atteint est une complication rare de la greffe hépatique résultant de mécanismes complexes encore inexpliqués, en lien avec une correction très rapide de l’hyponatrémie (insuffisance de la concentration de sodium dans le sang). En l’espèce, l’hypothèse retenue par les experts est que la survenue de la myélinolyse était en rapport avec l’importance, et probablement la rapidité de la correction de l’hyponatrémie durant le temps opératoire.

Le premier expert a expliqué que la transplantation hépatique s’est accompagnée d’importants apports intraveineux de sodium dont la finalité n’était pas de corriger l’hyponatrémie chronique initiale modérée, mais de compenser de volumineuses pertes sanguines (12 litres lors de la première intervention et 15 litres lors de la seconde) liées à l’existence d’une hypertension portale et à des troubles de la coagulation en relation avec la cirrhose.

Le second expert a apporté des précisions en distinguant les pertes sanguines « prévisibles » liées aux conditions anatomiques locales, en rapport direct avec l’état cirrhotique, et celles « surnuméraires » en rapport avec les temps opératoires supplémentaires imputables au changement de greffon en cours de procédure. Il a relevé que l’absence de disponibilité d’un greffon au moment adéquat avait été à l’origine d’une prolongation du temps chirurgical des deux phases opératoires du fait de la nécessité, lors de la première, de réaliser une anastomose porto-cave temporaire au moyen d’un tube artificiel, et lors de la seconde, de procéder à une réouverture pariétale, de supprimer le bypass veineux artificiel et de retrouver les structures vasculaires, biliaires ou autres abandonnées lors du temps précédent. Il en a résulté une majoration des saignements, imposant un accroissement des apports salés.

En outre, s’il n’y a pas eu de saignement significatif lors de la phase intermédiaire d’anhépatie d’une durée de 16 heures 45, il a été néanmoins nécessaire de poursuivre la correction de la natrémie, car une hyponatrémie non corrigée risque de provoquer un œdème cérébral.

Analyse de la Cour

Le second expert attribue à ces « suppléments » thérapeutiques dus au retard de réalisation de la phase d’implantation du greffon une contribution de 25 % à la survenue de la myélinolyse. Ce retard est en lien avec le dysfonctionnement dans la transmission de l’information et engage la responsabilité solidaire du CHU de Bordeaux et de l’Agence de la biomédecine.

La découverte de l’adénopathie rénale suspecte au plus tard à 7 heures 20 permettait d’alerter le chirurgien du CHU de Bordeaux en temps utile et d’éviter le clampage rendant l’hépatectomie irréversible, réalisé seulement à 9 heures. Par suite, la faute commise par le groupe hospitalier du Havre en s’abstenant de réaliser les examens complémentaires qui auraient pu faire douter plus tôt de la qualité du greffon hépatique est sans lien avec la survenue de la myélinolyse. Dans ces circonstances, la responsabilité du groupe hospitalier du Havre n’est pas engagée.

L’indemnisation par l’Oniam

Droit applicable

Principe. L’Oniam doit assurer, au titre de la solidarité nationale (CSP, Art. L. 1142-1 II et D. 1142-1), la réparation de dommages résultant directement d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu’ils présentent un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état.

Cumul avec l’existence d’une faute. La réparation par l’Oniam est possible quand cet accident ou cette affection ne résulte pas d’un acte professionnel fautif ou du défaut d’un produit de santé. Lorsqu’une faute professionnelle a, sans être la cause directe du dommage, fait néanmoins perdre à la victime une chance d’y échapper ou de se soustraire à ses conséquences, la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice au titre de la solidarité nationale, mais l’indemnité due par l’Oniam doit être réduite du montant de l’indemnité mise à la charge du professionnel, comme une fraction des dommages, fixée à raison de l’ampleur de la chance perdue. Le juge doit ainsi déterminer si le dommage a été directement causé par la faute invoquée, puis dans ce cas, si l’acte fautif est à l’origine des dommages corporels invoqués ou seulement d’une perte de chance de les éviter.

Caractère d’anormalité et de gravité du dommage. Le juge doit rechercher si le dommage subi présente le caractère d’anormalité et de gravité requis à l’article L. 1142-1 CSP. La condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement.

Lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n’est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d’une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.

Si la faute reprochée aux professionnels a fait perdre à la victime une chance d’éviter le dommage ou de se soustraire à ses conséquences, il appartient au juge, tout en prononçant le droit de la victime à la réparation intégrale de son préjudice, de réduire l’indemnité due par l’Oniam du montant qu’il met alors, à ce titre, à la charge du responsable de cette perte de chance.

Analyse de la Cour

Le déficit fonctionnel permanent imputable à la myélinolyse a été évalué à 56 % par le premier expert et à 40 % par le second, soit au-dessus du seuil d’intervention de l’Oniam. C’est donc une situation de cumul.

Selon la Cour, le dysfonctionnement dans la transmission de l’information a fait perdre au patient une chance de 25 % d’éviter la survenue d’une myélinolyse. Le carcinome hépatocellulaire dont le patient était atteint aurait conduit à son décès dans l’année en l’absence de greffe hépatique. Ainsi, cette intervention n’a pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé en l’absence de traitement.

Le second expert a qualifié la myélinolyse de complication extrêmement rare de la greffe hépatique, et le premier a indiqué qu’elle pouvait atteindre une incidence de 2 % selon certains auteurs, en particulier lorsqu’il existe une hyponatrémie préopératoire. Toutefois, cette complication résulte de mécanismes complexes encore inexpliqués, en lien avec l’administration d’apports salés importants pour compenser des pertes sanguines. Elle doit donc être regardée comme une affection iatrogène.

Le risque de myélinolyse n’est que de 1 à 1,5 % pour les patients présentant une hyponatrémie inférieure à 120 mmol/L, plus importante que celle du patient qui était modérée à 128 mmol/L.

Si les experts ont estimé que la cirrhose décompensée et ses conséquences, c’est-à-dire une hyponatrémie préopératoire et une hypertension portale avec des dilatations variqueuses, avaient eu une part prédominante dans la réalisation du risque, la greffe hépatique, intervention par nature hémorragique, donc imposant des apports salés susceptibles d’entraîner une myélinolyse, constitue une thérapie de dernier recours pour de nombreux patients atteints, comme le patient d’une cirrhose décompensée, avec les mêmes risques de saignements très importants.

La myélinolyse n’en demeure pas moins une complication rare de cette intervention. Dans ces circonstances, l’existence d’une exposition particulière du patient à sa survenue ne peut être retenue. Par suite, cette affection iatrogène a eu pour le patient des conséquences anormales au sens du CSP.

Conclusion

Au total, la réparation des préjudices incombe solidairement au CHU de Bordeaux et à l’Agence de la biomédecine à hauteur de 25 %, et à l’Oniam à hauteur de 75 %.

2/ SURVEILLANCE DES SIGNES DE REJET D’UNE GREFFE

Dans les suites d’une greffe rénale, l’existence de vomissements empêchant la prise du traitement immunosuppresseur est une alerte imposant de prendre contact avec le médecin référent du centre de transplantation (CAA de Bordeaux, n° 25 mai 2021, n° 20BX03251).

Faits

En 1999, une patiente, alors âgée de 16 ans, a bénéficié d’une première greffe de rein au CHU de Nantes. Le 12 juillet 2006, après un rejet du greffon, elle a subi une seconde transplantation rénale au CHU de Bordeaux. Du mois de décembre 2009 jusqu’au mois d’août 2010, elle a souffert de migraines à répétition provoquant des vomissements et la conduisant à se présenter aux urgences de ce dernier établissement de santé à plusieurs reprises.

Le 12 août 2010, elle a subi, au sein du CHU de Bordeaux, une ponction biopsie rénale révélant un rejet aigu cellulaire et humoral. Elle a immédiatement souffert de violentes douleurs abdominales, et un scanner a ensuite révélé l’existence d’un volumineux hématome compressif du greffon, qui a nécessité une transfusion de culots globulaires et une intervention de drainage réalisée le 28 septembre 2010. La patiente est restée atteinte d’une insuffisance rénale terminale nécessitant une hémodialyse quotidienne.

Argument de la patiente

La patiente soutient que le service des urgences du CHU de Bordeaux a commis une faute en ne tirant pas les conséquences des vomissements ayant justifié ses nombreuses venues entre le mois de janvier et le mois de juillet 2010, et en s’abstenant d’en informer le service des transplantations.

L’expertise

Selon l’expertise, « Les conséquences possibles des vomissements, entraînant une interruption du traitement antirejet, n’ont pas été prises en compte ». Le rapport relève l’absence de communication entre le service des urgences et celui de transplantation rénale. Bien que le service des urgences ait à chaque venue de la patiente contrôlé son taux de créatininémie, qui permet de refléter l’état de la fonction rénale, et constaté l’absence d’évolution significative, « Il peut exister une discordance et notamment un délai de retentissement entre la fonction rénale ainsi mesurée et les lésions rénales effectives, la biopsie étant alors l’examen de référence pour affirmer, caractériser et évaluer l’intensité d’un rejet ».

Analyse

Selon les recommandations émises par la Haute Autorité de santé en novembre 2007 s’agissant du suivi ambulatoire de l’adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation, l’existence de vomissements empêchant la prise du traitement immunosuppresseur est une circonstance justifiant, pour le médecin concerné, de prendre contact avec le médecin référent du centre de transplantation, voire d’adresser directement le patient à ce centre.

Les praticiens du CHU de Bordeaux ont commis une faute en n’assurant pas la transmission des informations nécessaires à sa prise en charge optimale entre le service des urgences et le centre des transplantations.

3/ RÔLE DE L’AGENCE DE BIOMÉDECINE LIMITÉ À LA MISE À DISPOSITION DE L’INFORMATION

L’Agence de biomédecine veille à la qualité des informations qu’elle diffuse, mais elle n’a pas d’autre devoir d’information auprès des médecins (CAA de Versailles, 19 novembre 2020, n° 17VE01529).

Faits

Un patient, né en 1963, est atteint depuis 1985 de la maladie de Berger, maladie auto-immune atteignant les reins, et il est soumis, depuis 2002, à une prise en charge palliative en hémodialyse trois fois par semaine. Le 1er août 2004, il a bénéficié d’une greffe rénale gauche au sein de l’hôpital Salvator de Marseille (AP-HM). Le donneur était toutefois atteint d’un diabète et d’une protéinurie et le patient a ensuite été contraint de suivre des traitements lourds à ce titre. La durée de vie de ce greffon a, en outre, été limitée à neuf années et une reprise en charge en hémodialyse a été nécessaire à compter du mois de mars 2013, l’intéressé étant alors à nouveau inscrit sur une liste d’attente pour recevoir une greffe de rein.

Droit applicable

Pour être utilisé à des fins thérapeutiques, tout élément ou produit du corps humain prélevé ou collecté doit être accompagné d’un document comportant un compte rendu d’analyses signé par le responsable des analyses de biologie médicale pratiquées mentionnant les résultats individuels de ces analyses (CSP, Art. R. 1211-19, R. 1211-14 à R. 1211-16). Figurent en outre sur ce document les informations techniques et celles permettant d’assurer la traçabilité des éléments et produits du corps humain, soit le lien entre le donneur et le receveur en partant du prélèvement jusqu’à la dispensation. Le médecin utilisateur est tenu de prendre connaissance de ce document.

Selon les règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement d’organes à finalité thérapeutique sur personne décédée (Arrêté du 27 février 1998), les médecins du donneur sont responsables de la transmission des informations aussi précises que possible concernant le donneur, en particulier celles susceptibles de donner des indications quant à la qualité des greffons, qui sont transmises à la coordination interrégionale de l’Établissement français des greffes et aux équipes de greffe.

Analyse

L’information relative à la protéinurie du greffon figurait sur une fiche dite Cristal qui accompagne le greffon (CSP, Art. R. 1211-19). Le patient soutient que fiche Cristal n’a pas été communiquée à l’établissement receveur et que cette faute engage la responsabilité de l’Agence de la biomédecine.

Toutefois, il ressort des textes le greffon ne peut pas être utilisé s’il n’est pas accompagné de ce document dont le médecin utilisateur doit prendre connaissance et les médecins du donneur sont responsables de la transmission de ces informations.

L’Agence de la biomédecine, qui ne dispose pas d’équipes dans les établissements de santé et qui a pour rôle essentiel de s’assurer du respect de la réglementation à travers la mise en place de procédures et de modifications de celles-ci en cas de problèmes constatés a posteriori, n’a pas les moyens d’intervenir dans la transmission de ces documents. Dès lors, elle n’est pas tenue à une obligation d’information à l’égard de l’équipe médicale chargée de la transplantation.

  • *L’Agence de Biomédecine a pris la suite de l’Établissement français des greffes.