L'infirmière n° 044 du 01/05/2024

 

Dominique Jakovenko

PORTRAIT DU MOIS

Laure Martin  

Infirmier libéral depuis 1998, Dominique Jakovenko est investi de longue date dans la promotion de sa profession. Que ce soit par la création d’une association locale d’infirmiers libéraux ou par son engagement dans l’expérimentation Équilibres, il plaide avant tout pour le juste soin aux patients.

Comment vous êtes-vous orienté vers l’exercice en libéral ?

Dominique Jakovenko : Lorsque j’étais adolescent, j’ai travaillé en maison de retraite en tant qu’agent de service hospitalier. Puis j’ai eu l’opportunité, par l’intermédiaire d’une connaissance, d’aller travailler à l’hôpital de Garches (Île-de-France). À l’époque, j’habitais la Creuse, un territoire avec peu d’offres d’emploi. J’ai donc saisi cette occasion, d’autant plus que je connaissais les possibilités d’évolution de carrière offertes par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). J’ai ainsi pu suivre des cours pour devenir aide-soignant, avant d’intégrer l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi).

Après avoir exercé plusieurs années au sein de différents hôpitaux de l’AP-HP, j’ai souhaité déménager dans le Sud, à Saint-Christol-lès-Alès, où j’ai commencé par effectuer quelques remplacements en clinique à Nîmes. Mais les allers-retours quotidiens, sur des plannings en 12 heures, sont rapidement devenus difficiles et fatigants. J’ai alors découvert l’exercice libéral en effectuant une tournée aux côtés d’une consœur. J’ai immédiatement été séduit par ce mode d’exercice, certes intense mais tellement différent de l’hôpital : le fait de se rendre au domicile des patients, et de les prendre en charge dans leur intimité. Six mois après mon arrivée dans le Sud, je m’installais en libéral. J’ai commencé par des remplacements dans plusieurs cabinets. Ces expériences ont forgé le type de suivi que je propose à mes patients depuis que j’ai repris le cabinet d’une consœur en tant que titulaire.

En 2009, vous avez créé l’Association des infirmiers libéraux du bassin alésien (Ailba). Pour quelle raison ?

D. J. : Le territoire d’Alès était à l’époque divisé en quatre zones, dont trois surdotées. Nous étions donc de nombreux infirmiers libéraux (Idel) à être installés. Pour autant, nous ne nous connaissions pas ou très peu. Nous avons voulu créer l’association pour nous retrouver entre Idel, apprendre à nous connaître et à partager, au lieu d’être toujours isolés dans nos voitures, à travailler. À cette même période, trois services d’hospitalisation à domicile (HAD) se sont installés sur le territoire. L’association était aussi une façon de montrer la force locale que nous représentions.

La rivalité supposée entre Idel exerçant dans des zones surdotées n’a-t-elle pas été un frein à l’émancipation de l’association ?

D. J. : L’Ailba a toujours été ouverte à tous, sans prérequis. Nous nous sommes fait connaître en envoyant des courriers et des e-mails, et rapidement les Idel du territoire nous ont rejoints. Bien entendu, il y a toujours eu des détracteurs mais ils restent marginaux.

Quelles sont les actions mises en place par l’association ?

D. J. : Nous avons organisé des réunions à thème, accessibles même aux non-adhérents, sur les déchets d’activité de soins à risque infectieux (DASRI), les plaies et cicatrisation ou encore le diabète. Nous avons aussi invité des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et des associations d’auxiliaires de vie pour apprendre à nous connaître. Étant nombreux au sein de l’association (jusqu’à 145 adhé rents) et partageant tous une dynamique de montée en compétences, nous avons sollicité des organismes de formation afin qu’ils viennent sur notre territoire nous dispenser des formations. Nous avons ainsi pu suivre des formations sur les antivitamines K ou sur l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Nous sommes d’ailleurs plus de 100 Idel du secteur à avoir suivi, via l’Ailba, la formation de 42 heures en ETP, ainsi que celle portant sur la consultation infirmière. Nous sommes aussi une vingtaine d’infirmiers cliniciens et une quarantaine à être formés au programme Icope pour la prévention de la dépendance, l’association étant partenaire du Gérontopôle de Toulouse, porteur du programme. Cet investissement dans la formation nous a permis de renforcer nos liens avec les médecins généralistes et avec l’hôpital du territoire.

Notre dynamisme nous a aussi ouvert des portes. Nous avons par exemple pu participer à l’expérimentation d’ETP en cardiologie et en diabétologie avec le centre hospitalier d’Alès en 2014. Pour la première fois, à l’échelle nationale, des infirmiers ont eu la possibilité d’effectuer des consultations d’ETP à domicile. Ce travail, ainsi que notre projet sur la prévention des chutes chez les séniors, nous ont permis de recevoir le prix « Infirmier libéral » remis au Salon infirmier en 2014 et 2015.

L’agence régionale de santé (ARS) a également sollicité l’Ailba, en 2016, pour mener des consultations infirmières auprès des habitants après que des études environnementales ont mis en évidence, en 2013 et 2014, des teneurs élevées en plomb et en arsenic dans des sols de notre territoire. Nous les avons interrogés sur leurs habitudes de vie, avons effectué des prises de sang et recueilli des urines pour déterminer leur éventuelle contamination.

Toutes les formations que vous avez suivies ont construit votre approche du soin. Est-ce pour cette raison que vous avez rejoint l’expérimentation Équipes d’infirmières libres responsables et solidaires (Équilibres) en 2019 ?

D. J. : J’ai été contacté par Pascal Lambert, membre du comité de pilotage d’Équilibres, quelques jours avant la fin de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI). J’ai immédiatement été intéressé. L’Occitanie a donc été ajoutée comme région expérimentatrice. J’ai toujours eu l’envie de soigner les patients différemment et je me suis d’ailleurs formé en ce sens. Outre ma formation au repérage des fragilités, j’ai aussi suivi un master ETP en 2017/2018 à l’université de la Sorbonne. Mon objectif est d’offrir aux patients une prise en charge optimale et un accompagnement global pour leur problème de santé. Or, avec la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) infirmiers, il n’est pas possible de réellement leur consacrer du temps. À titre d’exemple, la NGAP ne référence pas tous les actes réalisés par les Idel au domicile des patients. Les infirmiers libéraux sont aussi fréquemment angoissés à l’idée de se tromper dans leur cotation, tant la NGAP est complexe. Ils craignent de recevoir une lettre d’indus de la part de leur caisse primaire d’assurance maladie. Avec Équilibres, l’intégralité de la démarche de soins est différente. Nous n’appliquons plus la NGAP puisque nous bénéficions d’une tarification à l’heure (53,94 euros). Nous sommes désormais rémunérés pour l’ensemble du travail accompli et la coordination. Avec Équilibres, mon rapport aux patients a changé. La lourdeur des prises en charge n’est plus un problème. Le dispositif [en cours d’intégration dans le droit commun à la suite de la publication d’un arrêté pris par le Conseil stratégique de l’innovation en santé, NDLR] me permet de réaliser mon idéal vis-à-vis de mes patients : m’occuper d’eux en mettant en adéquation leurs besoins et mes compétences.

BIO EXPRESS

1993 Diplôme d’État d’infirmier de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

1998 Installation en libéral à Saint-Christol-lès-Alès (Gard).

2009 Création de l’Association des infirmiers libéraux du bassin alésien (Ailba).

Depuis 2013 Administrateur de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide).

2014 et 2015 L’Ailba reçoit le prix Infirmier libéral pour ses consultations ETP et la prévention des chutes chez les séniors.

Depuis 2015 Administrateur de l’association Soins aux professionnels de santé.

2018 Master en éducation thérapeutique du patient (ETP) à l’université de la Sorbonne.

2019 Intégration de l’expérimentation Équilibres.