SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL : UN CHAMP D’EXPERTISE INFIRMIÈRE À VALORISER - Ma revue n° 043 du 01/04/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 043 du 01/04/2024

 

PORTRAIT DU MOIS

Laure Martin  

De l’hôpital au libéral, en passant par des chantiers de construction, Princesse Granvorka Puisard est aujourd’hui infirmière conseillère technique nationale à la Caisse centrale de la mutuelle sociale agricole. La diversité de ses expériences a forgé son expertise.

En quoi consiste votre rôle d’infirmière conseillère technique nationale (ICTN) à la Caisse centrale de la mutuelle sociale agricole (CCMSA) ?

Princesse Granvorka Puisard : En collaboration, au niveau national, avec un médecin du travail, je suis chargée de l’animation du réseau des infirmiers de santé au travail (Idest), qui exercent eux-mêmes sous délégation des médecins du travail, au sein des trente-cinq caisses locales de la MSA. Lorsque je suis arrivée à ce poste en 2019, les Idest étaient environ 150 à faire partie du réseau. Ils sont aujourd’hui 215 à intervenir dans toute la France, aux côtés de 224 médecins du travail. Sur le terrain, leur montée en compétences est notable du fait, entre autres, de la loi du 2 août 2021, qui ouvre la voie à de nombreuses délégations de la part du médecin vis-à-vis des infirmiers. Le régime de la MSA affiche la particularité d’être un guichet unique. La Direction de la santé sécurité au travail (DSST) gère à la fois les visites de santé des agriculteurs salariés et non salariés et la prévention des risques professionnels. De fait, sur le terrain, les Idest réalisent, outre des visites d’information et de prévention, des entretiens, des actions de sensibilisation auprès des publics agricoles et au sein des entreprises adhérentes afin de comprendre la réalité du travail et d’en connaître les structures. De plus, leurs domaines d’intervention sont vastes, car le monde agricole s’organise autour de huit filières : bois, coopérative, culture, élevage, espaces verts, hippique, tertiaire et travaux agricoles.

Ainsi, mon rôle consiste à animer les équipes des services de santé au travail agricole (SSTA), en étant disponible pour des besoins en lien avec cette activité, dispenser des conseils, travailler à une harmonisation des pratiques pour une prise en charge optimale des bénéficiaires. Avec le médecin du travail national, nous surveillons les évolutions réglementaires et institutionnelles aidés de notre service juridique. Avec des conseillers en prévention nationaux, j’ai également en charge la tenue et la mise à jour des documents sur la santé et la sécurité au travail, afin de donner aux équipes des supports pour effectuer de la prévention sur le terrain.

Justement, êtes-vous amenée à vous rendre sur le terrain ?

P.G.P. : Je me déplace ou je consulte les différentes caisses locales pour prendre en compte les doléances des Idest, car chaque territoire dispose d’une spécificité agricole. De ce fait, leurs problèmes et le suivi effectué varient. Mon rôle est d’autant plus important qu’en raison de la raréfaction des médecins du travail, les missions des infirmières s’intensifient. Comme dans les autres secteurs d’exercice infirmier, il peut parfois être difficile, pour les équipes pluridisciplinaires, d’optimiser le suivi de l’ensemble des adhérents. En tant qu’animatrice du réseau, je leur donne des outils pour permettre un suivi et une prise en charge de qualité. D’ailleurs, parallèlement, la MSA dispose de son propre institut de formation à Tours, l’Institut national de médecine agricole (INMA). Dès lors qu’une infirmière est recrutée, si elle n’a pas encore été formée à la santé au travail, elle rejoint l’INMA pour préparer un diplôme universitaire de santé au travail (DUST) (240 heures). Si elle est déjà formée, elle est amenée à suivre une formation continue en lien avec les particularités du secteur agricole. Je suis intervenante au sein de l’INMA mais aussi au sein d’un organisme de formation extérieur. C’est important de maintenir mes compétences.

À l’origine, votre champ d’intervention était plutôt éloigné de la santé au travail…

P.G.P. : Je suis infirmière depuis 1996, formée au CHU de Martinique. Une fois diplômée, j’ai travaillé au sein de l’hôpital de jour du CHU. J’assurais le suivi des patients porteurs du VIH. Mon travail consistait à vérifier qu’ils prennent bien leur trithérapie. C’était nécessaire, car à l’époque, certains vivaient en marge de la société. Dans ce cadre, j’ai découvert le suivi à domicile, ce qui m’a donné envie d’exercer en libéral. C’était un moyen d’étendre mon champ d’intervention à d’autres pathologies chroniques et d’avoir moins de contraintes qu’à l’hôpital. J’ai ouvert mon cabinet en 1998. Je suivais une population assez spécifique volontairement, car je ne souhaitais pas être dans une diversité de soins. Cela m’a aussi permis de m’engager dans des activités bénévoles auprès de la Croix-Rouge française (CRF), en cas de catastrophes naturelles, notamment.

Pourquoi avoir mis un termeà votre activité libérale en 2011 ?

P.G.P. : J’ai arrêté le libéral pour me rendre davantage disponible pour mes enfants. Puis, une collègue, infirmière au sein d’une entreprise pétrolière et de raffinerie, m’a demandé si je pouvais la remplacer pendant six mois. Cette structure était une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) donc soumise à une réglementation spécifique en raison de ses impacts environnementaux. J’ai vraiment aimé assurer le suivi des salariés. Ce travail a été un déclic, je pouvais à la fois dispenser des soins et faire de la prévention. Ça a changé ma vision du métier d’infirmière d’entreprise et de santé au travail, qui ne jouit pas nécessairement d’une belle image auprès des jeunes diplômés. Pour beaucoup, cette fonction s’exerce plutôt en fin de carrière. Il est vrai que ce rôle infirmier nécessite une expertise de terrain et une formation pour être à l’écoute des salariés. Ma collègue n’est pas revenue, on m’a donc proposé le poste. Je me suis en parallèle inscrite en Master 2 Qualité, hygiène, sécurité, environnement (QHSE) afin de mieux comprendre les environnements de travail des salariés. Deux ans plus tard, lorsque le projet de construction de la nouvelle centrale EDF a été acté en Martinique, j’ai rejoint ce chantier avant de retourner dans l’Hexagone. En 2015, j’ai été personnellement touchée par l’assassinat de la Martiniquaise Clarissa Jean-Philippe, gardien de la paix, par les frères Kouachi à Paris ; mon investissement pour la santé, la sureté et la sécurité au travail s’en est trouvé renforcé.

Pourquoi être revenue en métropole ?

P.G.P. : Sur une île, on reste limité en termes d’accès à certaines formations. Je voulais pouvoir me former dans ce secteur, et j’avais aussi des opportunités de travail intéressantes dans l’Hexagone. Après m’être formée à la gestion du risque incendie (SSIAP3), j’ai pu intervenir en tant que manager de la sécurité et infirmière de chantier dans le domaine de la construction. J’ai travaillé pour des entreprises du secteur telles que EDF, Bouygues ou encore Vinci via une société d’intérim, avant de rejoindre le Centre médical Europe, en 2016, en tant qu’encadrante Idest, pour mettre en place des mesures sur la qualité de vie au travail. Aujourd’hui, au sein de la MSA et du collège médical, je m’épanouis pleinement dans mon rôle, aussi en raison de la diversité des secteurs d’intervention. J’entends bien continuer à dynamiser et valoriser cet exercice infirmier.

BIO EXPRESS

1996 Diplôme d’État d’infirmier, au CHU de Martinique.

1996-1998 Hôpital de jour du CHU de Martinique.

1998-2011 Exercice en cabinet libéral.

2011-2016 Infirmière d’entreprise et de santé au travail sur des chantiers.

2014 Master 2 Qualité, hygiène, sécurité, environnement (QHSE), formation à distance.

2015 Diplôme de chefde service de sécurité incendie et d’assistance à personnes (SSIAP3), brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris.

2016-2019 Encadrante/tuteur des IDEST au sein de Centre médical inter-entreprise Europe (CMIE).

2019 ICTN à la CCMSAet intervenante à l’Institut national de médecine agricole (INMA).