L’ÉTABLISSEMENT TOULOUSE LAUTREC : UN MODÈLE D’INCLUSION INVERSÉE - Ma revue n° 043 du 01/04/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 043 du 01/04/2024

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

REPORTAGE

Laure Martin  

L’établissement régional d’enseignement adapté (EREA) Toulouse Lautrec de Vaucresson (Hauts-de-Seine) compte parmi ses 350 élèves, 250 jeunes en situation de handicap moteur. Pour leur offrir une scolarité « normale », infirmières et aides-soignantes s’activent en coulisse.

Dans les couloirs de l’établissement, Valérie Limousin et Ketty Rohard, infirmières, poussent deux chariots de soin. De l’infirmerie située au premier étage, elles se dirigent vers le self des collégiens et lycéens, au rez-de-chaussée. D’ici dix minutes, la sonnerie va retentir pour annoncer l’heure du déjeuner. Une centaine d’élèves vont arriver à la cantine avec, pour la majorité d’entre eux, un traitement à prendre, des nutritions entérales à brancher et des sondes de gastrostomie à rincer. Les deux infirmières s’installent à un endroit stratégique du self, le lieu de passage entre la prise des plateaux-repas et les tables du déjeuner. Les élèves viennent spontanément vers elles pour leurs médicaments. Pour d’autres, elles leur apportent à table. « En parallèle, sur le logiciel, je vérifie la prescription et coche la dispensation, afin de savoir où nous en sommes et nous assurer que tous les élèves ont bien pris leurs médicaments », souligne Ketty Rohard. Pendant la durée du repas, les aides-soignantes sont à table avec certains élèves qui ont besoin d’un accompagnement. « Ils prennent un repas thérapeutique, explique Ilham Mekrous, aide-soignante. Ces élèves reçoivent une nutrition entérale. Ils mangent uniquement pour le plaisir, pour ressentir le goût des aliments. Comme ils présentent des risques de fausse route, nous devons être vigilantes. » À la fin du repas, Nicolas, un élève de 4e, s’avance vers Valérie Limousin. Ensemble, ils se dirigent vers une petite pièce isolée, qui tient lieu d’infirmerie. Là, elle lui branche sa nutrition, avant son retour en classe.

L’organisation de l’établissement

L’établissement, qui relève de l’Éducation nationale, accueille des élèves de la primaire au BTS, dont certains en situation de handicap moteur important en raison de maladies génétiques, d’accidents de la vie, de séquelles de prématurité, de problématiques obstétricales à la naissance, de tumeurs cancéreuses. D’autres sont porteurs d’arthrite juvénile ou atteints d’ostéogenèse imparfaite. « Pour être scolarisés au sein de la structure, ils doivent être autonomes dans leurs déplacements et posséder toutes leurs facultés intellectuelles afin de suivre leurs cours », rapporte Catherine Munsch, cadre de santé. Pour autant, nombre d’entre eux reçoivent des soins quotidiens pour une trachéotomie, une gastrostomie, des sondages urinaires, des lavements, des pansements, des administrations médicamenteuses ou encore des prélèvements sanguins.

Pour leur permettre de suivre une scolarité « normale » tout en recevant les soins indispensables liés à leur handicap, un centre de soins et de rééducation, sous tutelle de l’Agence régionale de santé (ARS), ayant comme organisme gestionnaire l’association départementale PEP 92, est présent au sein de l’établissement. Il rassemble une centaine de professionnels avec un service administratif ; un service éducatif composé d’éducateurs, référents du projet personnalisé du jeune ; un plateau technique de rééducation avec des kinésithérapeutes, des psychomotriciens, des ergothérapeutes et des orthophonistes ; un service infirmier et un service médical avec un médecin chef, quatre médecins, un dentiste, des psychologues, huit infirmières et vingt aides-soignantes. Présentes 24 heures sur 24, du lundi au vendredi – car l’établissement dispose d’un internat –, les infirmières et aides-soignantes jouent un rôle central dans la scolarisation des enfants, qui doivent tous détenir une notification de la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) afin de bénéficier des prestations.

« Sans leur présence, les élèves ne pourraient pas suivre une scolarisation “ordinaire” au sein de l’établissement », maintient Catherine Munsch. Elles sont référentes d’un cycle (primaire, collège, lycée/BTS) afin d’assurer le suivi des élèves de manière approfondie, même si elles peuvent être amenées à changer de cycle. « Nous intervenons aussi au sein de l’internat renforcé pour les élèves pensionnaires ayant constamment besoin de soins », ajoute Agnès Kouchlef, une autre infirmière.

Pendant les cours, les élèves peuvent se rendre de leur propre initiative et en fonction de leurs besoins, au centre de soins. Les infirmières et aides-soignantes se déplacent également dans les différents secteurs, au plus près des élèves, pendant les temps de récréation et ceux du déjeuner. Divers points urinaires sont aussi répartis dans l’établissement pour les soins d’hygiène. « Notre objectif est de faire en sorte que les prises en charge se déroulent majoritairement en dehors des heures de cours afin que les jeunes puissent se concentrer sur les enseignements, souligne Agnès Kouchlef. Mais en raison des pathologies, de la lourdeur des soins, et du nombre d’élèves, ce n’est pas toujours possible. Certains soins sont alors programmés, les obligeant à sortir un peu plus tôt des cours »

L’autonomisation et la prévention

Ce matin, Agnès Kouchlef et Aurélie Graisely, infirmières, accompagnées de Fatima et Véronique Barret, aides-soignantes, se rendent à l’infirmerie en primaire, entièrement décorée d’affiches de cinéma et de dessins d’élèves. Inès et Julie, 7 et 9 ans, arrivent tout sourire, quinze à vingt minutes avant la récréation, pour leur sondage urinaire. Julie, atteinte de spina-bifida [malformation congénitale de la colonne vertébrale pouvant entraîner de graves troubles neurologiques], est incontinente mais désormais autonome pour son sondage. Elle est donc accompagnée d’une aide-soignante, qui contrôle principalement son hygiène. Inès est prise en charge par Aurélie Graisely, qui va s’occuper de son sondage. « Chez les élèves de primaire, notre rôle d’éducation est primordial, explique l’infirmière. Pour ceux qui le souhaitent et dont le handicap le permet, nous leur apprenons à devenir autonomes pour le sondage urinaire. Mais nous devons respecter leur rythme, car tous ne le souhaitent pas tandis que d’autres devront toujours être aidés. » Ce travail au long cours s’effectue en partenariat avec les familles et les professionnels de santé de la consultation d’urologie. Outre les soins programmés, pendant la récréation, les enfants peuvent aussi faire appel à elles pour de la « bobologie ». Pour autant, un élève en situation de handicap qui se plaint d’une douleur ne va pas être examiné de la même façon qu’un enfant valide. « Nous sommes alertes, car nous connaissons leurs pathologies, précise Aurélie. Parfois des maux de ventre ou de tête peuvent être des signes de problématiques plus contraignantes »

Les infirmières mettent par ailleurs en œuvre des actions de prévention. « Nous organisons notamment des ateliers sur le harcèlement scolaire, le consentement, ou la dépendance aux jeux vidéo, explique Agnès Kouchlef. Mais nous devons constamment adapter notre discours à notre public. » Un exemple parlant : les écrans. Certains élèves en situation de handicap s’en servent pour communiquer et apprendre. « Nous ne pouvons pas leur dire de se limiter de la même manière que des enfants “valides” », ajoute-t-elle.

Un protocole est aussi mis en place pour prendre en compte le mal-être des jeunes. Si la bienveillance et l’entraide font partie intégrante du fonctionnement de l’école – les élèves valides suivent d’ailleurs une semaine d’intégration avant d’être officiellement scolarisés au sein de l’établissement –, pour autant, tous peuvent être confrontés à des problématiques de moqueries, voire de harcèlement. « Les élèves en situation de handicap peuvent également ressentir un mal-être en lien avec leur état, rapporte Agnès Kouchlef. La dégénérescence de leur pathologie accroît les risques de tentative de suicide ou d’autres formes d’expression de leur souffrance. Nous avons donc établi un protocole spécifique permettant, en cas d’alerte, l’organisation immédiate d’une réunion avec l’ensemble des intervenants pour décider du meilleur accompagnement pour le jeune », explique-t-elle. Les questions de sexualité sont aussi abordées, en groupe et de manière individuelle, avec la possibilité d’orienter les adolescents vers des médecins, afin de trouver des solutions médicales pour qu’ils puissent apprendre à vivre leur sexualité malgré leur handicap. Parfois, l’équipe soignante peut être amenée à gérer des urgences. « Mais nous ne sommes pas un hôpital, rappelle Catherine Munsch. Dès que la situation d’un élève s’aggrave, nous passons le relais. »

Les réunions de coordination

La prise en charge globale de chaque élève, que ce soit d’un point de vue médical, paramédical, ou scolaire, fait l’objet chaque année, d’une réunion de projet personnalisé (RPP), une obligation légale. Tous les mardis, les référents professionnels d’un enfant, à savoir un infirmier, un éducateur, un médecin, l’un des rééducateurs, et le professeur principal, se réunissent avec la famille et le jeune s’il le souhaite, « afin de dresser un bilan de la prise en charge globale, et pour réévaluer ainsi que déterminer les objectifs de l’accompagnement », indique Catherine Munsch.

En parallèle, outre les staffs quotidiens du personnel paramédical, des temps ponctuels de coordination pluridisciplinaire peuvent être organisés de façon plus régulière, en cas de problématique rencontrée avec un enfant. « Tous les professionnels peuvent solliciter le médecin lorsqu’ils constatent un mal-être, un problème de douleur, ou encore un désintérêt pour les cours », souligne la cadre de santé. Enfin, l’ensemble des professionnels a l’habitude de se côtoyer de manière informelle. « Nous sommes dans le respect du secret médical, rappelle Agnès Kouchlef. Pour autant, nous partageons avec les professeurs quelques informations sur la santé des élèves, afin qu’ils puissent être vigilants sur certaines situations. » D’autant plus que des projets d’accueil individualisé (PAI) sont élaborés pour des enfants, par exemple pour la prise en charge de la douleur ou encore la conduite à tenir en cas de crise d’épilepsie. « Les traitements sont stockés dans des boîtes nominatives, que les enseignants prennent lors des sorties scolaires », précise l’infirmière.

Pour mettre de l’huile dans les rouages de toute cette organisation, Fabienne Maillet assure la fonction d’infirmière coordinatrice. « Je coordonne les consultations extérieures des élèves et assure le lien avec les secrétariats médicaux des établissements afin de nous organiser avec les parents si leur présence est requise », explique-t-elle. Elle est également en contact avec les prestataires de santé à domicile (PSAD), fournisseurs des dispositifs médicaux, notamment pour la nutrition entérale ou les ventilations des élèves, la gestion des machines, l’entretien, ou encore les commandes des consommables.

Malgré la lourdeur des handicaps, et même si les équipes ainsi que les enfants sont parfois confrontés à des décès, « c’est plein de vie ici », souligne Fabienne Maillet. D’ailleurs, les soignants y exercent pour la plupart depuis de nombreuses années. C’est le cas de Ketty Rohard, en poste depuis dix-sept ans, qui, à l’origine, avait découvert la structure lors d’un stage. « J’apprécie vraiment de suivre les enfants sur la durée, de voir leur évolution, témoigne-t-elle. J’ai vraiment l’impression d’être dans la continuité des soins. »

Valérie Limousin, arrivée en novembre 2011, est, elle, une ancienne élève de l’établissement. « Après mes études d’infirmière, j’ai exercé à l’hôpital de Garches [Hauts-de-Seine], raconte-t-elle. C’est lorsqu’une de mes cadres est venue exercer ici que j’y ai pensé pour la suite de ma carrière. » Elle aussi apprécie les affinités et les liens qui se tissent avec les élèves. « Nous sommes une petite famille », ont confié tour à tour l’ensemble des membres de l’équipe. Et ce, pour le plus grand bénéfice des enfants scolarisés.