DÉCLARER LES EIGS POUR AMÉLIORER LES SOINS - Ma revue n° 041 du 01/02/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 041 du 01/02/2024

 

EXERCICE LIBÉRAL

FICHE TECHNIQUE

Laure Martin  

Depuis un décret de 2016, la déclaration externe des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) est obligatoire. Les infirmières libérales ne s’en saisissent pourtant pas systématiquement, alors que celle-ci participe avant tout à l’amélioration des pratiques professionnelles.

Un événement indésirable grave associé aux soins (EIGS) se définit comme « un événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne, dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent, y compris une anomalie ou une malformation congénitale » (article R1413-67 du Code de la santé publique). Un EIGS, qui a nécessairement lieu pendant la prise en charge d’un patient, n’est jamais volontaire. « Il n’y a pas de caractère intentionnel, il est le résultat d’un acte ou d’une omission, liés à un manque de temps ou à l’absence d’actualisation des bonnes pratiques professionnelles », précise Noémie Terrien, responsable de QualiREL santé, une structure régionale d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients en Pays de la Loire. Cette erreur peut aussi être liée à la vulnérabilité de la personne prise en charge, qui s’avère être dyscommunicante, agitée ou dans le refus de soin. À titre d’exemple, pour les infirmières libérales (Idel), un EIGS peut consister à administrer un mauvais médicament en raison d’une erreur initiale sur l’ordonnance et d’une absence de vérification ; à réaliser un pansement après avoir oublié de se laver les mains ; ou encore à omettre de transmettre une alerte au médecin traitant, faute de temps.

LA DÉCLARATION D’UN EIGS

Face à un EIGS, l’Idel est dans l’obligation d’effectuer une déclaration externe sur le portail national dédié (https://signalement.social-sante.gouv.fr/), dès lors qu’elle est contributrice ou qu’elle a connaissance de sa survenue. Cette déclaration est reçue par l’Agence régionale de santé (ARS). Le formulaire de déclaration est composé de deux parties. La première, à compléter sans délai, permet de détailler les circonstances de l’événement, ainsi que les mesures prises localement au bénéfice du patient afin de le sécuriser et en prévention de la répétition d’événements de même nature. La complétude des rubriques doit être la plus précise et détaillée possible.

« Tous les EIGS méritent d’être analysés afin de comprendre les raisons de leur survenue et de pouvoir définir les actions à mettre en œuvre pour éviter leur réitération », indique Noémie Terrien. Pour analyser l’événement, les professionnels de santé peuvent solliciter leur structure régionale d’appui. « Nous mobilisons des méthodes de retour d’expériences, explique-t-elle. Dans ce cadre, nous nous écartons de la responsabilité des acteurs impliqués pour nous intéresser au cheminement et comprendre comment l’erreur a pu se produire. » L’équipe d’appui reprend ainsi la chronologie de l’EIGS, puis mène un travail d’investigation auprès des différents acteurs impliqués. « Nous allons effectuer une recherche des causes profondes et, pour chaque écart aux pratiques que nous avons repéré, nous questionnons les acteurs pour en comprendre la raison », souligne la responsable. Le patient a-t-il joué un rôle ? La communication entre les acteurs était-elle bonne tout comme le partage d’informations ? L’intervenant est-il à jour de ses compétences professionnelles ? En fonction des résultats, « nous proposons la mise en place d’actions régionales voire nationales, utiles et réalisables, c’est-à-dire des barrières de sécurité pour éviter la reproduction ou en limiter les conséquences », fait savoir Noémie Terrien.

Après avoir été anonymisés, ces événements sont transmis à la Haute autorité de santé (HAS), qui les exploite pour réaliser un retour d’expérience national en identifiant des préconisations pour améliorer la sécurité des patients. Ce travail d’analyse fait d’ailleurs l’objet de la seconde partie de la déclaration externe, à renvoyer dans les trois mois suivant la déclaration initiale. Ce support de l’analyse approfondie des causes de l’événement, effectuée par les professionnels de santé concernés avec l’aide de la structure régionale d’appui, aboutit ainsi à la détermination d’un plan d’actions comprenant les échéances de mise en œuvre et une évaluation.

LES FREINS

En parallèle de cette action de déclaration externe, il est recommandé aux professionnels libéraux d’échanger avec leurs pairs sur le sujet. « C’est un moyen, pour eux, de se conforter dans leurs pratiques et de se rendre compte qu’ils sont loin d’être les seuls à traverser ce type de situation, rapporte Noémie Terrien. Cela permet également de mettre en place des stratégies afin d’éviter la reproduction d’un EIGS. » Cette démarche est d’autant plus importante que les EIGS sont souvent empreints d’une grande culpabilité, conduisant certaines professionnels à être dans des pratiques d’évitement. « Ces pratiques déviantes peuvent justement être évitées en ayant une réflexion autour de la survenue de l’EIGS », conseille-t-elle.

Que ce soit pour la déclaration externe ou pour le partage d’expériences informel, les principaux freins conduisant les professionnels de santé à ne pas se saisir de cette opportunité sont la peur de la sanction et l’engagement de leur responsabilité juridique. « Même si la déclaration d’un EIGS n’empêche pas, en parallèle, la mise en cause de la responsabilité du professionnel, ce n’est pas sa déclaration qui l’engendre », rappelle la responsable de QualiREL santé. Au contraire. Un professionnel déclarant est considéré comme étant dans une démarche vertueuse.

LES ÉVÉNEMENTS INDÉSIRABLES ASSOCIÉS AUX SOINS

Outre les EIGS, les professionnels de santé peuvent aussi être confrontés à des événements indésirables associés aux soins (EIAS), non graves. « Les EIGS représentent la pointe émergée de l’iceberg, souligne Noémie Terrien. Avant leur survenue, de nombreux “presque accidents”, des signaux faibles, à savoir des EIAS mettant le patient en danger et le professionnel en insécurité dans ses soins, peuvent avoir lieu. » Il peut, par exemple, s’agir d’un professionnel de santé qui s’est rendu compte, à temps, d’une erreur de prescription sur l’ordonnance ou encore de l’immobilisation d’un véhicule empêchant le soignant de se rendre chez son patient. Il est important pour les professionnels libéraux de s’interroger également sur les EIAS, quand bien même aucune déclaration externe n’est obligatoire, ni possible. Au cours de l’analyse, ils peuvent ainsi découvrir des erreurs pouvant être évitées, celles évitées de justesse ou des « presque accidents ». « Dans le domaine de la qualité, on parle de dysfonctionnement ou de non-conformité, précise-t-elle. Ce sont les petits cailloux dans la chaussure. »

L’analyse des EIAS relève donc de la volonté individuelle de groupes de soignants souhaitant parler de leur activité. Cette démarche peut entrer dans le cadre de l’analyse des pratiques professionnelles, qui elle, est obligatoire pour les professionnels de santé dans le cadre de leur formation continue. La démarche analytique à mener est identique à celle mise en œuvre pour les EIGS, mais elle est généralement plus simple à effectuer car moins empreinte d’émotions. « Cette initiative permet d’entretenir la culture de la sécurité et d’anticiper la survenue d’un EIGS », ajoute Noémie Terrien avant de conclure : « Plus les soignants vont partager et échanger autour des signaux faibles, plus ils vont développer une capacité à mettre en place des barrières de sécurité et réduire la probabilité qu’une catastrophe ne survienne. »

Données chiffrées

À l’occasion de la semaine de la sécurité des patients, qui s’est déroulée du 20 au 24 novembre, la Haute autorité de santé a publié son sixième bilan annuel des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS). 2 385 déclarations d’EIGS ont été enregistrées en 2022 contre 1 874 pour l’année 2021. Les « erreurs liées aux soins ou à l’organisation des soins » sont les plus fréquemment déclarées (27 % de tous les EIGS déclarés depuis 2017 et 31,3 % en 2022). Elles incluent notamment les défauts et retards de prise en charge. Elles sont suivies des « actions du patient contre lui-même dont les suicides et tentatives de suicide » (23,6 %) et des « erreurs médicamenteuses et iatrogénies » (11,9 %). Les erreurs de dose représentent 44 % de l’ensemble des erreurs médicamenteuses déclarées ces six dernières années.

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

La collégialité comme « ouverture » dans les situations de soins complexes à domicile ?

Les professionnels des soins à domicile témoignent d’une augmentation significative des situations complexes qu’ils rencontrent dans leur pratique et du besoin qu’ils ont de les partager pour éclairer leurs décisions. La réflexion collégiale peut-elle être un moyen de mettre en œuvre une démarche de discussion éthique partagée ? Poursuivant un objectif commun au bénéfice du patient, chaque professionnel avec ses compétences spécifiques porte un regard sur la situation du patient. Partager des visions différentes dans une démarche de réflexion collective permet de rendre compte de la pluralité des degrés de complexité de certaines pathologies. Cette collégialité peut être une façon d’accueillir ce qui ne vient pas uniquement de soi mais qui, dans un esprit d’ouverture, peut surgir de la rencontre. Comment faire exister cette collégialité dans une démarche éthique ? Cela nécessite de se réunir, ce qui relève parfois d’un vrai défi (unité de temps et de lieu), et de savoir entendre chaque intervenant. Afin d’être attentif à la confidentialité, il convient de transmettre les informations strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou du suivi médico-social et social du patient avec son accord. Sa participation à ces réunions est à réfléchir en fonction de la singularité de chaque situation, mais il importe qu’il soit informé en amont et en aval de celles-ci. Comment ne pas diluer la responsabilité dans la collégialité ? Si la réflexion collégiale est partagée, la décision reste individuelle et la responsabilité ne se dissout pas dans la collégialité.

La collégialité est ainsi à la fois un outil et une visée éthique qui offre la possibilité de guider une décision pensée collectivement, face au défi de l’incertitude et de la complexité(*).

* Guide à l’usage des professionnels du soin : la collégialité dans les soins à domicile, ERE Occitanie, octobre 2023. www.ere-occitanie.org

Les guides de la Haute autorité de santé

« Comment déclarer un événement indésirable grave associé aux soins », HAS. Disponibles sur https://urlz.fr/oMiB

« L’analyse des événements indésirables associés aux soins (EIAS), mode d’emploi », HAS. Disponible sur https://urlz.fr/oMiN

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