SE PRÉPARER EN ÉTANT ACCOMPAGNÉ - Ma revue n° 037 du 01/10/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 037 du 01/10/2023

 

DÉPART EN RETRAITE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

GESTION

Laure Martin  

Quelques années avant leur départ en retraite, les infirmières libérales doivent anticiper un certain nombre de décisions et de dispositions à prendre d’un point de vue économique, professionnel et psychologique. Pour tous ces aspects, elles peuvent s’entourer de conseils.

Lorsqu’il est question de leur retraite, les infirmières libérales (Idel) craignent souvent une baisse de leurs revenus et la gestion du rattrapage des charges l’année suivant l’arrêt de leur activité. Pour aborder toutes ces questions et y voir plus clair rapidement, elles peuvent s’adresser à leur expert-comptable environ un an et demi avant la date souhaitée du départ en retraite afin d’instaurer une stratégie. Elles peuvent, en parallèle, se renseigner sur leurs droits acquis auprès de leur régime obligatoire, qui relève de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicure-podologue, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko). Le délai d’instruction de la retraite pouvant être long, il est conseillé de contacter la Carpimko, au plus tard six mois avant la date désirée de prise d’effet de la retraite, afin d’enclencher la démarche. D’ailleurs, dès l’âge de 40 ans, l’Idel peut obtenir des informations assez précises sur le montant prévisionnel de sa retraite et réclamer un relevé de carrière sur lequel figurent les droits acquis dans son régime de base, son régime complémentaire et celui de l’Allocation supplémentaire vieillesse (ASV). En cas de désaccord, elle peut demander à effectuer une vérification de ses droits. À quelques années de la retraite, le montant devient, bien entendu, plus précis.

L’idel doit également prévenir l’Urssaf et l’administration fiscale. À partir de fin 2023, cette déclaration devra être effectuée sur le site du Guichet unique : www.urssaf.fr/portail/guichet-unique. « Au moment de la prise d’effet de la retraite, la dernière liasse fiscale doit être envoyée dans les soixante jours après l’arrêt d’activité, indique Boris Luneau, expert-comptable (cabinet OctoMed). Les régulations des cotisations sont ensuite généralement rapidement envoyées par la Carpimko, l’Urssaf et les impôts. » Si l’Idel a correctement anticipé son départ, et respecté la règle d’or de mettre 50 % de ses revenus de côté, la somme restante devrait lui permettre de payer les régulations de charges et les frais professionnels. Un rappel : les cotisations de la Carpimko et de l’Urssaf reposent sur un forfait trimestriel, et tout trimestre commencé est dû. Il est donc intéressant financièrement d’arrêter son activité un 31 mars plutôt qu’un 1er avril. Pour les impôts, il est possible de demander une modification des acomptes en cas de baisse du revenu. D’autres démarches doivent également être effectuées auprès des prévoyances, des banques ou des assurances pour mettre en jeu la sortie des différents contrats financiers conclus en prévision de la retraite. L’ensemble de ces démarches pour la retraite peuvent être accompagnées par un expert-comptable ou une association de gestion agréée, qui proposent des contrats aux Idels pour s’occuper des procédures à leur place.

PRÉVENIR SES ASSOCIÉS ET SES PATIENTS

Outre l’aspect comptable, il est bien entendu important de préparer sa relève au sein de son cabinet. « Je pense qu’il est appréciable de prévenir ses confrères et consœurs du cabinet environ deux ans avant la date de départ prévue, afin qu’eux aussi puissent s’y préparer, sans oublier d’effectuer un rappel à un an », estime Julie, une Idel qui prendra sa retraite en fin d’année.

En fonction des territoires, cette anticipation n’est pas à prendre à la légère, notamment dans les zones surdotées. Depuis l’avenant 6 à la convention nationale des infirmiers, une installation dans une zone surdotée n’est possible qu’à la suite d’un départ, et à la condition que l’Idel nomme expressément son successeur sous peine que la place soit définitivement perdue. La future retraitée et son successeur doivent tous les deux remplir un document, accompagné, idéalement, d’une lettre de motivation pour la future Idel. « La décision est ensuite examinée devant la commission paritaire départementale (CPD), qui est décisionnaire », précise Julie. Un point non négligeable : en cas de rupture des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs de la profession et l’Assurance maladie à l’échelle nationale – comme en juin dernier – les réunions des CPD sont interrompues, ce qui peut mettre en suspens les dossiers.

De manière plus générale, préparer sa retraite à l’avance permet aussi de se donner plus de chance pour trouver un successeur auprès de son réseau ou encore par le biais des petites annonces. « Il est important, avant de partir, d’impliquer les associés dans le recrutement de la future associée, considère Julie. Il faut s’assurer que les profils convergent, qu’ils ont la même façon d’envisager les soins et les prises en charge des patients. » Il est également important, selon elle, d’être transparent vis-à-vis de ses futurs ex-associés, sur le prix de vente de sa patientèle. Lorsque la succession est actée, des tournées en binôme peuvent être organisées pour effectuer les présentations aux patients. « Certains de mes patients ont été rapidement au courant de mon départ en retraite, informe Julie. Mais globalement, j’ai attendu la rentrée de septembre pour lancer ma “campagne” d’annonce. Le fait de l’avoir actée depuis deux ans, me permet aussi de me préparer psychologiquement. »

ÊTRE PRÊT PSYCHOLOGIQUEMENT

Cette préparation psychologique est justement un point à ne pas négliger, car le passage à la retraite peut être difficile à vivre après avoir été particulièrement actif professionnellement et tourné vers les autres. « Le sentiment d’utilité renvoie à l’identité professionnelle et sociale qu’on se construit », indique Émilie Lessard, psychologue sociale, spécialiste des transitions et de la construction identitaire, installée à Caen (Calvados). Et de poursuivre : « Être infirmière libérale permet de développer des habitudes, une connaissance de soi et des valeurs. Lorsqu’on perd cette identité professionnelle, un vide peut s’installer. » Pour bien vivre ce moment, il est important de s’y préparer. « D’autant plus qu’avec la retraite, outre l’identité professionnelle qui change, l’Idel peut aussi perdre ses contacts, ses routines, donc des sujets de conversation, sans oublier les changements financiers, qui impliquent de repenser son mode de vie, ses dépenses et son rapport au temps », énumère Émilie Lessard. La façon dont chacun vit cette période dépend surtout de sa personnalité. Si certaines Idels se sentent libérées car elles avaient besoin d’une coupure avec leurs patients, pour d’autres, la démarche est plus difficile. Dans tous les cas, il est nécessaire de mettre en lumière la valeur des acquis professionnels pour les transcrire dans d’autres types d’activités à réaliser pendant la retraite. Ce travail d’exploration d’identité peut s’effectuer seul. « Il faut travailler sur le deuil de son métier, sur le retraité que l’on souhaite être et sur la recherche d’occupations permettant de retrouver ce sentiment d’exister », rapporte Émilie Lessard. Les personnes qui appréhendent le passage à la retraite ont tendance à anticiper cette réflexion pour bien le vivre le moment venu. Certains deviennent bénévoles au sein d’associations deux à trois ans avant la retraite pour se préparer progressivement. D’autres peuvent être dans l’évitement, le déni, et attendent d’être à la retraite pour prendre des décisions concernant leurs futures activités. La psychologue observe d’ailleurs que les professions intellectuelles peuvent rencontrer davantage de difficultés à trouver des occupations leur procurant une reconnaissance similaire à celle de leur métier. « Étant donné que le métier des infirmières est tourné vers les autres, il peut être intéressant pour elles de trouver des activités leur permettant de faire de nouvelles rencontres, afin d’éviter toute forme d’isolement », recommande-t-elle. Quant aux plus anxieux, ils peuvent se faire accompagner. « Généralement, l’anxiété est liée au manque d’informations. Se faire aider permet de poser des briques, d’obtenir des éclaircissements et de bénéficier d’un support à la réflexion afin de mieux vivre sa retraite », conclut Émilie Lessard.

TÉMOIGNAGE

“À la demande de mes anciens collègues, je suis en retraite active”

Géraldine Malka, Idel en retraite active à Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne).

« Avec mon entourage, j’ai mûri ma décision de prendre ma retraite pendant un an et demi. Finalement, je suis partie à 67 ans. J’aimais encore mon travail, mais je ne voulais plus avoir à gérer cette paperasserie. J’ai préparé mon départ avec mes collègues, en cherchant une remplaçante. J’ai trouvé une infirmière hospitalière. La mise en place de la passation n’a néanmoins pas été simple, car elle n’a pas obtenu son congé aux dates qui m’intéressaient. Comme il n’est pas facile de trouver des infirmières prêtes à racheter une patientèle, je me suis accrochée à ce projet. Finalement, j’ai pu prendre ma retraite en octobre 2019. Ma successeur a commencé à travailler avec moi en binôme dès juin 2019, afin de rencontrer la patientèle et de se familiariser avec les soins à domicile ainsi que la gestion administrative du cabinet. C’était aussi l’occasion de préparer les patients à mon départ. Cependant, mes collègues m’ont demandé de revenir pour des remplacements. N’étant pas radiée de l’Urssaf et de la Carpimko, j’ai pu exercer en cumul activité-retraite, après avoir demandé l’autorisation à l’Ordre des infirmiers. J’assure encore dix demi-journées par mois auprès de mes anciens patients. C’est avantageux financièrement, car je ne perçois, à la retraite, que 50 % des revenus de ma période d’activité. Je ne m’attendais pas à une telle différence. Je suis un peu cigale, je n’avais pas anticipé. J’avais mis en place des placements financiers mais ayant été mariée sous le régime de la communauté des biens, au moment du divorce, tout a été partagé. Je ne me suis pas assez protégée. En revanche, d’un point de vue psychologique, j’étais prête à m’arrêter, même si j’ai apprécié avoir repris une activité. Aujourd’hui, j’envisage de la réduire progressivement. Lorsque j’arrêterai totalement, je pense rejoindre une association, car je sais que j’ai des difficultés à décrocher de ce contact avec les autres. »

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[ L’éthique, invisible mais porteuse de sens, dans la pratique du soin ]

Le questionnement éthique s’invite au quotidien dans la pratique des soins à domicile, parfois sans même que les professionnels en aient conscience. Le fait de mettre ses connaissances au service de la personne soignée implique des choix, celui du pansement le plus adapté à la plaie par exemple. Choix qu’il convient d’expliquer, car une information appropriée est due au patient.

Respecter la temporalité de ce patient âgé qui se mobilise lentement, c’est le reconnaître comme sujet de soins qui possède encore une autonomie. Lorsque le temps fait défaut à l’infirmière pour appliquer cette démarche, que ces situations se multiplient, elle peut être confrontée à une perte de sens des soins prodigués et un appauvrissement de la relation de soin.

Si la visée éthique première est de ne pas nuire, nos paroles aussi nécessitent d’être mesurées. Par souci de bienveillance, conseiller à un proche aidant de « prendre soin de lui » alors qu’il n’y parvient pas faute de disponibilité physique et/ou psychique, peut être vécu comme une injonction impossible ! « Comment puis-je vous aider ? » pourrait marquer davantage de sollicitude et ouvrir sur la question de la souffrance vécue par ce proche.

Nos écrits dans les transmissions peuvent parfois refléter une attitude de jugement de la personne plus qu’un souci de compréhension et une façon d’accueillir sa vulnérabilité. Le souci de l’autre et le respect de sa fragilité doivent guider nos interventions, ce qui implique de trouver un équilibre entre présence attentive, bienveillante dans les soins quotidiens et respect de l’intimité du domicile. Dans ce lieu intime, chaque situation est singulière et fait appel à la créativité des soignants et des aidants. Le questionnement éthique reste une philosophie du doute qui nous invite à repenser régulièrement nos actes de soins pour les réajuster harmonieusement dans la relation de soin.

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