IPA ET GÉNÉRALISTE, LE DUO GAGNANT FAVORABLE AU PATIENT - Ma revue n° 037 du 01/10/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 037 du 01/10/2023

 

RENCONTRE

JE DECRYPTE

IPA EN LIBÉRAL

Adrien Renaud  

Vincent Prévost est infirmier en pratique avancée (IPA), Thomas Couturier est généraliste. Installés à Quimper, dans le Finistère, ils ont noué un lien que l’on pourrait qualifier de « win-win-win » car médecin, infirmier mais aussi patient… tout le monde y gagne !

Pouvez-vous commencer par expliquer le parcours qui vous a menés tous les deux à cette collaboration ?

Vincent Prévost : Je suis devenu infirmier en 2006, à la suite d’une reconversion professionnelle. J’ai travaillé quatre ou cinq ans à l’hôpital, dans le Finistère nord, puis je suis parti en libéral pendant onze ans dans le sud du département. À l’issue de ces années, je cherchais les diplômes complémentaires qu’on pouvait obtenir en tant qu’infirmier. Je n’avais pas envie de faire du management, j’ai donc passé un diplôme universitaire (DU) « Plaies, brûlures et cicatrisation », puis j’ai envisagé un master de sciences cliniques. C’est à ce moment-là, en 2019, qu’est apparu le nouveau master « Infirmier en pratique avancée » (IPA). J’ai postulé à Brest… et j’ai été retenu pour la première promotion.

Thomas Couturier : Pour ma part, je suis généraliste, diplômé depuis 2011 et installé depuis 2013 à Quimper. J’ai d’abord travaillé seul et, il y a deux ans, nous avons créé avec un collègue généraliste un cabinet de groupe. Ma conviction, c’est que la santé est tellement polymorphe, la somme des connaissances à acquérir tellement conséquente, qu’une seule personne ne peut suffire. Le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de patients sans médecin traitant, le fait qu’on a, en moyenne, quatre motifs par consultation (ce qui fait trois minutes et quarante-cinq secondes par motif !), tout cela ne permet pas, à mon avis, de faire une médecine de qualité à soi tout seul. J’étais à la recherche d’une solution pour améliorer la prise en charge de mes patients, et j’étais convaincu que celle-ci passerait par le pluriprofessionnel et par les nouveaux métiers comme celui d’IPA, qui existent depuis de nombreuses années dans les pays anglo-saxons. Je me suis renseigné, j’ai réalisé que la formation des IPA était sérieuse et j’ai commencé à prospecter.

Comment votre rencontre professionnelle s’est-elle déroulée ?

V. P. : Faisant partie des premiers diplômés de France (je suis encore le seul à exercer en libéral dans le Finistère !), il a fallu que je me démène un peu. Pour s’installer en IPA libéral, il faut un médecin qui est d’accord pour travailler avec vous, et cela n’a rien d’évident. J’ai contacté environ 25 cabinets au cours de l’année de mon diplôme. J’ai été proactif : j’envoyais un courrier à des maires dès que je voyais dans la presse qu’un médecin quittait une commune… Et j’ai eu très peu de réponses. J’ai finalement obtenu le contact de Thomas Couturier par l’Agence régionale de santé (ARS). Je lui ai envoyé un courrier, c’était ma dernière cartouche. Nous nous sommes rencontrés lors d’un congrès à Quimper, où il présentait la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Nous avons beaucoup discuté, car il faut bien préparer les choses : une collaboration, ce n’est pas uniquement un médecin qui travaille avec un IPA, c’est aussi Vincent qui travaille avec Thomas. Nous avons échangé pendant trois mois pour nous mettre d’accord sur la manière dont allait se dérouler notre collaboration, pour que Thomas comprenne bien mon champ de compétences, qui est élargi mais qui reste limité… Et je me suis installé il y a un an et demi !

Thomas, en tant que généraliste, que vous a apporté l’installation de Vincent ?

T. C. : Je peux désormais confier le suivi et le renouvellement des patients stabilisés à une personne dont je connais les compétences. Cela me libère du temps et me permet de me concentrer sur de nouveaux patients, sur les soins non programmés… Aujourd’hui, c’est un succès, nous avons un taux de satisfaction de près de 100 %. Je pense qu’une partie de ce succès réside dans le temps que nous avons pris pour élaborer notre cahier des charges, pour réfléchir à la manière dont on présenterait le métier d’IPA au patient, pour élaborer un flyer résumant toutes les informations qui lui seront nécessaires… C’était important car il ne faut pas que le patient se sente délaissé par son médecin. Mais aujourd’hui, je pense qu’ils savent que la qualité est assurée, notamment parce que nous sommes en lien permanent.

V. P. : Il faut ajouter que pendant ces trois mois, nous avons travaillé à notre contrat de collaboration, qui pose les bases administratives mais aussi les bases de fonctionnement de notre coopération. Il est important de savoir comment l’IPA peut réadresser un patient au médecin dès qu’une situation dépasse son champ de compétences, par exemple. Il faut que le patient comprenne que le suivi de l’IPA ne lui est pas imposé, qu’il peut être arrêté à tout moment, que ce soit à sa demande, à celle du médecin ou à la mienne. L’utilisation du logiciel médical partagé est également très importante, cela permet à Thomas de savoir ce qui se passe lors de mes consultations. C’est un vrai levier de collaboration. Par ailleurs, il est important pour moi d’exercer sur le même lieu que Thomas. Par exemple, je n’ai pas le droit de prescrire des soins de podologie, même si du fait de mon DU, je sais évaluer le grade podologique des patients et je sais à quels soins ils ont droit… Il est, dans ces cas-là, pratique d’avoir le médecin juste à côté, de toquer à sa porte… Ainsi, le patient repart avec son ordonnance.

T. C. : Pendant l’année qui vient de s’écouler, nous avons d’ailleurs eu plusieurs cas où, durant une consultation de renouvellement d’ordonnance, Vincent est venu me trouver parce qu’il avait un doute, et où le patient est parti avec l’ambulance via le 15 car il décompensait !

Comment s’organise le suivi de vos patients ?

V. P. : Je commence par recevoir le patient pour une évaluation globale. C’est une consultation qui dure une heure et demie, et qui permet de poser les bases. Puis je les vois une fois par trimestre, sauf certains cas où le suivi peut être plus rapproché.

T. C. : Quant à moi, je les vois au moins une fois par an, pour un bilan physique, psychique et social.

Au niveau de la structure, quel a été l’impact de l’arrivée d’un IPA ?

T. C. : Au moment où Vincent est arrivé, nous étions en train de démarrer la constitution d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) multisite. Nous avons été labellisés au mois de février. Sur notre site, alors que nous étions deux médecins, nous sommes désormais trois : un généraliste qui était parti au Canada a vu qu’il y avait désormais un IPA chez nous, il s’est dit qu’il pourrait retrouver une partie de la collaboration qu’il connaissait là-bas avec les infirmiers, et il est revenu s’installer à Quimper ! L’autre site, où ils sont deux médecins, est également en train d’en attirer un troisième, grâce à Vincent.

Vincent, avez-vous des contrats de collaboration avec tous les médecins de la MSP ?

V. P. : Non, pour l’instant, seulement avec Thomas et un autre. Il faut rappeler que depuis le 19 mai 2023 et la loi Rist(*), les IPA bénéficient de l’accès direct. Mais le contrat de collaboration existe toujours et nous conseillons de le maintenir. Cela étant dit, le principal frein n’est pas tant le contrat de collaboration que le logiciel médical partagé. Je pourrais en avoir quatre, un pour chacun des médecins de la MSP, mais ce serait une usine à gaz et je ne peux pas me permettre de payer quatre licences. Or, sans logiciel partagé, il me manque beaucoup d’informations, je ne sais par exemple pas si le patient a revu le médecin entre deux consultations. Heureusement, grâce à la MSP, nous allons converger vers le même outil métier. Aujourd’hui, les 118 patients de ma file active sont en très grande majorité des patients de Thomas, mais cela va prochainement changer, et je pense qu’il va y avoir une croissance exponentielle.

Comment voyez-vous l’évolution de votre coopération ?

T. C. : Effectivement, le nombre de praticiens qui orientent des patients vers Vincent va sans doute aller crescendo. Par ailleurs, je pense que nous allons pouvoir nous orienter vers de nouvelles prises en charge. Actuellement, nous avons quasi exclusivement des patients en affections de longue durée – diabète, maladies cardiovasculaires… Mais il se trouve qu’en ce moment, j’ai une jambe cassée. Je ne peux pas travailler et il n’est pas facile de trouver un remplaçant. Je me suis arrangé avec des confrères, qui peuvent prendre une partie de mes patients, mais il y a aussi Vincent : il est compétent pour s’occuper du renouvellement d’ordonnance de certains patients, dès lors qu’ils entrent dans le cadre des polypathologies courantes auxquelles il est formé. J’ai entièrement confiance en lui.

Quels sont les principaux points à améliorer à l’avenir ?

V. P. : Je pense qu’il reste de la pédagogie à faire. Au niveau de la MSP, je n’ai aucun problème, je suis bien identifié. J’ai contacté les pharmaciens, tout se passe bien. En revanche, au-delà de ce cercle, il faut encore faire comprendre que l’IPA n’est pas un concurrent du médecin, qu’il lui est complémentaire. Les polémiques qui ont eu lieu récemment à l’occasion de la loi Rist sur l’accès direct aux soins ont été difficiles sur ce point. Il faut encore convaincre.

T. C. : Il est toujours nécessaire de lisser les inquiétudes de certains professionnels de santé sur le positionnement de l’IPA, qui est un nouveau métier qu’ils ne parviennent pour l’instant pas toujours à appréhender. Notre objectif, c’est l’exemplarité : nous sommes en mesure de montrer que cela fonctionne. Je pense pouvoir affirmer que je suis aujourd’hui un meilleur médecin qu’il y a un an et demi. Je connais mieux mes patients. En une consultation de quinze minutes, je ne peux pas me permettre de faire la même chose que Vincent. Lui peut passer du temps avec les patients, et il récolte des informations auxquelles j’ai accès très facilement grâce à lui. À l’heure où certains médecins se plaignent d’une perte de sens de leur métier, je pense qu’il est intéressant pour eux de comprendre que l’IPA est une façon de gagner en compétence et que cela permet de respirer différemment.

V. P. : Nous faisons un peu de lobbying auprès des praticiens du secteur et je dois dire que Thomas est mon meilleur représentant : c’est un médecin qui parle aux médecins. Certains sont venus me voir travailler, voir comment je menais mes consultations. Et nous sommes en train de réaliser une enquête qualité, dont nous voulons publier les résultats. Car ce qui est intéressant, c’est que nous pouvons désormais commencer à nous autoriser à parler de retour d’expérience.

* Loi n° 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, Journal officiel. urlz.fr/lV5x