REPORTAGE À SORELLA - Ma revue n° 036 du 01/09/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 036 du 01/09/2023

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Anne-Lise Favier  

Au cœur d’Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine, un lieu est entièrement consacré à la santé de la femme : Sorella – c’est son nom – propose un espace de santé pluridisciplinaire qui accompagne les femmes tout au long de leur vie.

Des teintes douces dans l’air du temps, un mobilier sobre, un canapé moelleux et partout des affiches qui évoquent combien la santé de la femme présente des particularités : bienvenue à Sorella. Ici, on rappelle que 60 % des femmes ont déjà renoncé à se rendre chez le gynécologue et que les décès des suites d’un infarctus du myocarde sont trois fois plus nombreux chez la femme que chez l’homme. « C’est un fait, le corps de la femme est différent de celui de l’homme et pourtant, la santé et la recherche ont jusqu’à présent été vues à travers le prisme de la santé masculine », annonce tout de go Clémence Lejeune, l’une des cofondatrices de Sorella. C’est lors d’un voyage en Malaisie, où l’approche globale de la santé est très différente, qu’elle sent poindre l’idée de Sorella : « Là-bas, les femmes sont très connectées à leur corps et la communication intergénérationnelle entre les femmes est forte. Sur la maternité ou le post-partum, par exemple, chaque femme apprend énormément de sa mère, de ses tantes ; les femmes ont une connaissance aiguë de leur corps et j’ai trouvé ça vraiment formidable, il fallait pouvoir importer ce modèle d’approche globale en France », explique-t-elle, rappelant que dans notre pays, la moitié des femmes ne savent pas forcément quel professionnel consulter lorsqu’elles ressentent un symptôme ni comment le trouver : « Les femmes sont les premières à aller voir le médecin… pour les autres ! Bien souvent, elles doivent elles-mêmes coordonner leur parcours de soins, que ce soit lors d’une grossesse, mais aussi pour un parcours de fertilité ou lorsque survient la puberté ou la ménopause. » Et face à ces patientes en demande de soins, on trouve des professionnels de santé de moins en moins nombreux, de plus en plus débordés, qui ont parfois la sensation de ne pas travailler correctement, tellement la prise en charge de leurs patientes est devenue administrativement chronophage. L’idée était donc de trouver une solution pour permettre à ces deux mondes de se retrouver dans de meilleures conditions.

PRISE EN CHARGE COORDONNÉE

Au centre Sorella, situé à Issy-les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine, chaque femme est reçue sur rendez-vous, pris par téléphone ou sur la plateforme Doctolib, et est accueillie par l’infirmière coordinatrice, Claire Derache : « Nous essayons de faciliter le parcours de soins de chaque femme, de le rendre plus doux dans certaines situations. » Par exemple, lorsqu’une femme vient consulter pour une fausse couche, elle peut être vue par une sage-femme, mais elle a aussi la possibilité de faire suivre cette consultation par un rendez-vous avec une psychologue pour parler du deuil de cette grossesse. Autre cas de figure, une jeune maman qui consulte la sage-femme pour des douleurs au sein va pouvoir ensuite échanger sur l’allaitement avec une personne dédiée : « Il n’est en effet pas rare de voir une maman venue pour elle et qui m’est ensuite adressée, remarque Amélie Chalufour, infirmière puéricultrice. J’observe la tétée, je regarde s’il existe des crevasses, des irritations, je peux ainsi mieux dispenser des conseils autour des positions d’allaitement, sur la manière de stimuler la lactation et, face aux difficultés rencontrées, j’essaye de trouver des solutions pour les enrayer. » Mais la maternité et le post-partum ne sont qu’un éventail de la prise en charge proposée par Sorella : « Nous accompagnons la femme tout au long de sa vie, de la puberté à la ménopause », rappelle Clémence Lejeune. Ainsi, à Sorella, douze professionnels travaillent main dans la main pour une prise en charge à 360 degrés de la santé des femmes : si, pour le moment, le centre ne dispose pas encore d’un gynécologue (en cours de recrutement à l’heure où nous bouclons cet article), il permet de prendre rendez-vous avec des sages-femmes pour le suivi de grossesse et les échographies, une cardiologue, mais aussi des ostéopathes spécialistes de la zone uro-gynécologique et du nourrisson pour apporter un soulagement conjoint à la femme et à son bébé. Des diététiciennes, des psychologues et une kinésithérapeute complètent l’équipe dédiée à 100 % à la santé de la femme.

DANS LE RESPECT DES RÔLES

Deux espaces séparés constituent le cœur de Sorella, l’un pour la prise en charge médicale et l’autre pour le paramédical. Pour fluidifier le fonctionnement, chaque professionnel se consacre intégralement à son activité, c’est aussi une des forces de Sorella : « La cardiologue ne fait que du médical, elle ne gère aucune démarche administrative », explique Clémence Lejeune. De même, la consultation est préparée en amont, dès la prise de rendez-vous : « Lorsque nous demandons à une femme quel est le nom de sa pilule ou de quand date la pose de son stérilet, elle ne sait pas forcément répondre instantanément face au professionnel. Aussi, nous avons fait le choix de préparer la consultation 48 heures avant le rendez-vous, en envoyant à la patiente quelques questions auxquelles elle peut répondre à tête reposée, et dont les réponses sont consignées dans son dossier médical. Lors du rendez-vous, la sage-femme ou la cardiologue accèdent directement à l’information, ce qui fait vraiment gagner un temps précieux. » Outre les consultations et les rendez-vous avec les paramédicaux, les équipes de Sorella animent des ateliers en groupe, autour de la naissance, notamment, mais pas seulement : « Lorsque ces femmes viennent en atelier, elles le font pour en rencontrer d’autres qui partagent la même problématique qu’elles. Nous avons par exemple des ateliers dédiés à la souffrance au travail pour en parler, évoque Clémence Lejeune. Ainsi ne sont-elles plus seules face à leur souffrance. »

UN RÉSEAU À CRÉER

Les professionnels sont recrutés sur la base de leurs compétences et de leur sensibilité à la santé des femmes et peuvent également être formés spécifiquement par Sorella : « Typiquement, sur les douleurs vulvaires, nous avons contacté des professionnels spécialistes de ces douleurs pour qu’ils viennent former nos équipes : ainsi, nos sages-femmes, ostéopathes, psychologues et kinésithérapeutes seront eux aussi spécialisés pour mener à bien l’accompagnement pluridisciplinaire », détaille la cofondatrice de Sorella. Pour le moment, le centre draine un bassin de population assez large du fait de son caractère unique en région parisienne, mais le concept devrait être amené à essaimer, comme l’indique Clémence Lejeune : « Nous espérons ouvrir d’autres centres un peu partout en France, là où l’offre de santé n’est pas suffisante, et même développer des bus qui viendront à la rencontre des femmes là où elles ne peuvent avoir accès à une offre de soins. »

Autonomie et travail d’équipe

Pour Amélie Chalufour, infirmière puéricultrice, s’installer à Sorella relevait presque d’une évidence : « J’ai trouvé ici ce que je voulais : de l’autonomie, puisque j’ai un statut de libérale tout en faisant un travail en équipe, en étant libérée des procédures administratives, très chronophages et qui sont gérées par Sorella. Je me concentre uniquement sur mes consultations. Les infirmières puéricultrices ne sont pas très connues et reconnues, mais ici, les collègues sont extra et je vois à quel point je peux être complémentaire des autres professionnelles présentes dans le centre. Je conçois le soin comme un accompagnement des familles et c’est vraiment ce que j’ai pu trouver ici. » Forte de son expérience acquise en consultation, l’infirmière spécialisée souhaite mettre en place des groupes de parole pour les parents : « Si les femmes sont très entourées pendant la grossesse et aussi à la maternité à la suite de l’accouchement, elles se retrouvent vite assez seules, constate-t-elle. Tout le monde n’a pas accès à la PMI* et ces groupes de parole peuvent être l’occasion de se sentir moins seules, de partager, d’échanger, de poser des questions. »

* Service de protection maternelle et infantile.