L’ART, UN BAUME POUR LE CORPS, L’ÂME ET L’ESPRIT - Ma revue n° 036 du 01/09/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 036 du 01/09/2023

 

SANTÉ MENTALE

JE DÉCRYPTE

PARTENARIAT

Isabel Soubelet  

Le département d’urgence et post-urgence psychiatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier et le MO.CO. Montpellier Contemporain ont initié en 2022 un projet partenarial novateur intitulé « L’Art sur ordonnance ».

L’art est une garantie de santé mentale », déclarait Louise Bourgeois, artiste majeure du xxe siècle. Partageant cette idée, Philippe Courtet, responsable du service et de l’équipe médicale Urgence et post-urgence psychiatrique (Upup) du CHU de Montpellier l’a mise en pratique. Grand amateur d’art depuis l’enfance, il a souhaité développer dans un contexte post-Covid un programme en lien avec l’art pour les personnes qui passent aux urgences. Une démarche qui s’inspire de celle initiée en 2018 au Canada (voir encadré « Ailleurs dans le monde » p. 15) mais qui est plus large à Montpellier, plus complète, et totalement novatrice en France. Elle propose aux patients de s’investir dans une pratique artistique aux côtés d’artistes qui ont accepté de s’engager dans cette aventure.

FAIRE SORTIR LES PATIENTS ET CRÉER DES LIENS

« Nous menons déjà de nombreux projets avec le CHU de Montpellier, mais ici, il s’agit de rencontrer un artiste, de poursuivre la visite de l’exposition avec lui, et ensuite de permettre aux participants de suivre des ateliers de manière concrète avec lui, souligne Stéphanie Delpeuch, responsable du service des publics au MO.CO. Montpellier Contemporain(1). Cela donne lieu à une réelle pratique artistique. Les participants viennent dans ce cadre avec une prescription d’art sur ordonnance. L’année dernière, nous avons monté des ateliers avec des artistes d’univers multiples à raison de trois sessions de cinq séances chacune pour un groupe de douze personnes au maximum. C’était une expérience différente à chaque fois. » La première session a débuté en mars 2022 avec Bianca Bondi, une plasticienne qui proposait aux participants des séances de dessin méditatives à l’aquarelle. La deuxième session a été organisée avec Anne Lopez, chorégraphe et danseuse qui mène depuis 25 ans des projets chorégraphiques avec des personnes autistes. Elle a emmené les participants dans l’exposition face aux œuvres pour des temps de création chorégraphiés. Et Suzy Lelièvre, plasticienne, a assuré la dernière session de l’année en partageant sa démarche exploratoire à partir de matières variées, malléables, fluides ou granulaires (argile, cire, plâtre, sable) pour expérimenter les gestes de la sculpture (modelage, moulage, coulage).

COMME UNE PARENTHÈSE

Dans L’Art sur ordonnance, au MO.CO. Montpellier Contemporain, il n’y a pas de blouse blanche. On ne s’adresse pas à des patients mais à des participants. « C’est une parenthèse artistique hors du champ hospitalier, la volonté est avant tout créatrice et non thérapeutique, précise Élodie Michel, cadre de santé au Dupup, après avoir exercé dix ans en tant qu’infirmière et avoir eu une première partie de carrière comme danseuse professionnelle. Nous avons débuté avec les personnes de notre service, celles qui ont des troubles de l’humeur, sont atteintes de dépression, ont des conduites suicidaires. Nous ne l’avons pas proposé à tout le monde mais aux personnes repérées notamment par l’équipe mobile qui effectue le suivi des patients à domicile durant deux à trois mois après leur passage aux urgences psychiatriques. Nous avons ciblé les patients isolés, ceux qui ont un manque de réseaux et sont volontaires bien sûr. Cela leur permet de rencontrer un artiste, d’aller au musée, et de mener des activités créatrices en intégrant un groupe et en tissant ainsi des liens sociaux. » L’originalité du projet réside dans l’association d’un étudiant des Beaux-Arts de Montpellier à un interne en psychiatrie, qui participent tous deux à l’intégralité des séances. Ce binôme joue un rôle de témoin et met en récit de manière artistique et scientifique ce qui se passe à l’intérieur du groupe pendant le temps de création. « Entre chaque atelier, nous remettons aux participants des questionnaires qui utilisent d’un côté l’échelle de bien-être mental de Warwick-Edinburgh (WEMWBS), qui évalue le bien-être psychologique, et de l’autre, l’échelle PHQ-9, qui permet de dépister la dépression et l’indication de sa gravité, souligne la cadre de santé. Les artistes sont bien sûr libres du contenu de leurs ateliers et le corps médical n’intervient pas. Ponctuellement, je peux être aux côtés des participants lors des ateliers, mais mon rôle est surtout de leur expliquer le programme et de le coordonner. »

UN BILAN TRÈS POSITIF

L’Organisation mondiale de la santé (OMS)(2) ainsi que de nombreuses études démontrent que la pratique artistique joue un rôle dans la prévention des problèmes mentaux et la promotion de la santé, du bien-être et de la cohésion sociale. Le premier bilan du projet, soutenu par Culture Santé, l’Agence régionale de santé (ARS) Occitanie et la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Occitanie, le confirme. « L’art est un réservoir de guérison, car il agit sur l’expression émotionnelle, précise Élodie Michel. Dans l’évaluation des participants, nous constatons d’un côté, une amélioration de leurs symptômes dépressifs avec une réduction de l’anxiété, des ruminations, des tensions internes, et de l’autre, une amélioration de leur bien-être, du sentiment de fierté et de satisfaction, et un retour de la sensation de plaisir et de la confiance en soi. » Avec à la clé, des compétences créatives et sociales que chacun pourra utiliser dans sa vie quotidienne. Ces résultats ont poussé les initiateurs à poursuivre en 2023 avec deux artistes invités au printemps et à l’automne pendant « SOL ! La Biennale du territoire » qui ouvre le 2 octobre prochain. Le projet connaît aussi des adaptations. Toujours gratuit pour tous, il s’est élargi dans le contenu avec « la création de capsules d’une durée de deux heures qui permettent aux participants de visiter l’exposition avec les médiateurs du musée et de faire un atelier plastique, précise Stéphanie Delpeuch. Pour la période de mai à décembre, nous avons des inscriptions tous les mois. » Par ailleurs, le projet s’est aussi ouvert à d’autres patients, notamment ceux adressés par les psychiatres libéraux et ceux repérés par l’association France Dépression (Montpellier, Sète, La Grande Motte) qui sont plus stabilisés. À terme, le but est qu’il se pérennise et se développe afin que toutes les personnes fragilisées (précaires, âgées ou jeunes isolés, femmes victimes de violences, etc.) puissent en bénéficier… et se rétablir grâce à leur créativité, en développant leur bien-être et en améliorant leur santé mentale et physique.

1. MO.CO. Montpellier Contemporain réunit une école d’art et deux centres d’art contemporain : le MO.CO. Esba (École supérieure des Beaux-Arts de Montpellier), le MO.CO. Panacée (laboratoire de la création contemporaine) et le MO.CO (espace dédié à des expositions d’envergure internationale).

2. https://news.un.org/fr/story/2019/11/1055841.

Ailleurs dans le monde

Depuis 30 ans, les programmes d’art sur ordonnance se développent en Grande-Bretagne et leur objectif est de compléter les thérapies conventionnelles pour aider les personnes à se rétablir grâce à leur créativité et à l’engagement social. En 2018, au Canada, l’organisme des Médecins francophones du pays et le musée des Beaux-Arts de Montréal ont mis en place le projet d’ordonnances muséales qui prévoit la prescription par les médecins d’ordonnances de visites au musée à leurs patients (jusqu’à 50 visites possibles de musées par an). Depuis 2022 en Belgique, les patients de l’hôpital psychiatrique de jour Paul Sivadon, rattaché à l’hôpital Brugmann à Bruxelles, peuvent obtenir une prescription muséale (les billets sont pris en charge par la ville) si le médecin estime que cela peut avoir un effet bénéfique.