À NANTES, UNE MAISON QUI ADOUCIT LA FIN DE VIE - Ma revue n° 036 du 01/09/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 036 du 01/09/2023

 

REPORTAGE

J’EXPLORE

COORDINATION

Éléonore de Vaumas  

Créée en avril 2022 à Nantes, la maison de Nicodème est la seule unité extrahospitalière entièrement dédiée aux soins palliatifs dans l’ouest de la France. Avec ses 18 lits, elle accueille et place les patients et leurs proches au centre de l’attention. Une nouvelle approche qui, pour les soignants, suppose de se décaler.

Ils sont un peu les mascottes ici. Depuis leur arrivée voilà quelques mois, Urgo et Upsa, les deux chats de la maison, mettent à qui le veut bien leur doux pelage à disposition. Un coup dans l’un des quatre salons réservés aux familles, un autre à flâner dans les couloirs ou encore aux côtés des patients dans leurs chambres… Leur présence zen et rassurante apporte un petit supplément d’âme qui n’est pas sans faire écho à l’impression que dégage la bâtisse qui les accueille. Des pièces baignées de lumière, du mobilier tendance et des matériaux chaleureux, des fleurs fraîches posées sur les tables, un jardin arboré… tout dans la maison de Nicodème inspire sérénité et bien-être. « Cette maison a été pensée pour se rapprocher au maximum d’une logique domiciliaire. L’idée est vraiment d’offrir un cocon de confort aux patients loin des murs blancs de l’hôpital », explique Johanne Mathat, directrice de la communication de l’Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve à Lamballe (Côtes-d’Armor). Le projet, né il y a dix ans sous l’impulsion de cette dernière et d’un groupe de personnes concernées réunies en association, a vu le jour en avril 2022 à Nantes (Loire-Atlantique). Son pari ? Accueillir des personnes en soins palliatifs dans un cadre extrahospitalier, tout en leur prodiguant tous les soins nécessaires à leur état.

UN PAS DE CÔTÉ

Si elle n’en a pas le look, la maison de Nicodème est avant tout une unité médicale qui, grâce à ses 18 lits (24 à terme), permet de combler un déficit en soins palliatifs constaté depuis plusieurs années sur le territoire. « Nous sommes sous-dotés par rapport au reste de la France. Notre région en compte trois fois moins qu’en Bretagne et six fois moins qu’en Île-de-France », regrette Johanne Mathat. Or, ce déficit s’accorde mal avec la spécificité de la prise en charge qui, elle, nécessite des compétences, du temps et donc des moyens humains. Dans cette nouvelle structure en revanche, une cinquantaine de professionnels se relaient jour et nuit au chevet des 18 patients. Parmi eux, 6 médecins, 14 infirmières, 14 aides-soignantes, deux psychologues à mi-temps, sans compter une assistante sociale, un kinésithérapeute et une ergothérapeute qui interviennent sur demande. « Les soins palliatifs s’envisagent dans leur globalité. Dans les dernières décennies, la société a écarté la mort et a fait de sa prise en charge un tabou, mais aujourd’hui, il s’agit de la ramener au cœur de notre société. Parce que qui dit soins palliatifs ne dit pas forcément arrêt des soins », replace Pierre-Marie Doumeizel, médecin généraliste. Dans cette unité aux allures de logis, les soignants ont appris à se décaler. Un seul mot d’ordre : le confort et le bien-être du patient. « Cela invite à se poser des questions sur le pourquoi on fait les choses, dans quelle intention on le fait et quel est l’intérêt pour le patient. On se laisse guider par lui et son état. Dans un service classique par exemple, on fait un premier tour des patients le matin pour prendre la tension de manière systématique. Ici, on ne le fait que si on estime que le résultat de la prise de tension apporte un bénéfice au patient. Cela nous apprend à être dans un juste milieu », détaille Évelyne Villard, infirmière.

AUX PETITS SOINS

Soupeser à chaque fois un acte ou un traitement, mesurer ses inconvénients et ses avantages pour le patient, tel est en effet le fil conducteur qui guide médecins, infirmiers et aides-soignants de la maison. À cette fin, la direction a fait le choix d’une organisation unique, où infirmiers et aides-soignants effectuent des journées continues de 12 heures, en duo, à raison de trois jours maximum par semaine. Les transmissions ont lieu le matin et le soir, et au moindre changement dans la journée, l’information circule en temps réel. « Cela permet de gagner un temps précieux par rapport aux équipes hospitalières qui se relaient par demi-journées. Ici, la perte d’informations et de repères est limitée par le fait que la plupart des soignants enchaînent leurs trois jours de présence ; ce qui, pour les familles, est très appréciable dans ces moments-là », salue Stéphanie Blino, responsable du site. Un temps de présence plus long qui autorise aussi davantage de souplesse dans les soins prodigués aux patients. « On construit notre journée en fonction d’eux. S’ils veulent dormir ou manger à telle heure, c’est à nous de nous adapter. Il s’agit d’être en permanence dans l’observation et l’écoute de leurs besoins », complète Camille Gauvin, aide-soignante. Outre le décor, la singularité de la maison de Nicodème se niche aussi dans la volonté d’adoucir les derniers moments de vie des patients. Mariage aux sons des cors de chasse, repas d’anniversaire, concert en chambre, dégustation de moules mixées… la structure ne s’interdit rien tant que les souhaits sont réalisables. C’est là une partie de la mission qui revient aux bénévoles qui, une demi-journée par semaine, viennent rendre visite aux patients dans leurs chambres ou arpentent avec eux les allées du jardin. « On essaie d’être là quand ils ont envie de quelque chose. Certains ont juste besoin d’une présence silencieuse, d’autres sont assez en forme pour aller se promener. Comme les soignants, nous sommes animés par le désir de les bichonner ; ce qui rassure beaucoup leurs familles », explique Édith de Rotalier, coresponsable des bénévoles de l’association. Familles qui, loin du cadre plus strict de l’hôpital, ont la possibilité d’aller et venir comme bon leur semble. Ainsi évoluent-elles dans tout le bâtiment avec aisance, parfois même en chaussons et nuisette, sans que jamais leur présence ne soit questionnée. « C’est important pour nous qu’ils puissent revenir à tout instant, quelle que soit l’heure du jour et de la nuit. C’est pourquoi chaque chambre dispose d’une chauffeuse qui se déplie à cet effet. Nous avons également un studio à l’arrière du bâtiment, à destination des accompagnants qui viennent de loin », précise la responsable du site.

Dans cette unité, comme dans l’ensemble des établissements portés par l’Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve, l’accueil est inconditionnel. Sont ainsi admis tous ceux qui sont orientés par un professionnel (médecin généraliste, médecin de structure, oncologue, etc.), dans la mesure où leur situation sociale ou thérapeutique rend l’accompagnement complexe.

DÉCONSTRUIRE LE SOIN PALLIATIF

Entièrement prise en charge par la Sécurité sociale, l’hospitalisation se déroule dans le cadre propice d’une chambre de 26 m2 où tout est fait pour encourager le patient à lâcher prise. Décoration empruntée aux codes hôteliers, matériel médical camouflé derrière de grands panneaux personnalisables, grande baie vitrée donnant sur le jardin… Est-ce le fait d’être loin des murs blancs de l’hôpital qui les aident à oublier qu’ils sont dans une unité de soins palliatifs (USP) ? « Dans un contexte hospitalier, même si on essaie au maximum de l’occulter, il faut généralement plus de temps aux personnes pour se poser. Ici, avec les soins et l’accompagnement dont elles bénéficient, la mise en confiance est plus rapide », s’aperçoit Pierre-Marie Doumeizel. Aucun n’ignore toutefois que ses jours dans ce lieu sont comptés, 20 en moyenne, soit peu ou prou la durée moyenne de séjour nationale en USP. Si la mort vient cueillir 80 à 85 % d’entre eux, certains repartent vivants, vers un lieu de vie ou rentrent chez eux. Un aspect du soin palliatif qui est très largement méconnu, particulièrement en Loire-Atlantique, où les médecins ont longtemps dû composer sans unité spécialisée. « Dans les premiers mois après l’ouverture de la maison, nous recevions beaucoup d’appels un peu tardifs parce que les médecins ne savaient pas forcément à quel moment nous contacter. Il faut développer la culture des soins palliatifs, là où elle ne l’est pas encore suffisamment. C’est d’ailleurs une mission que nous nous sommes fixée », poursuit le médecin généraliste.

Y’A DE LA JOIE

Reste que la mort fait partie intégrante du quotidien. À certaines périodes, elle peut même s’inviter plusieurs fois par jour. De quoi générer une charge émotionnelle importante pour les soignants, d’autant que leur mission implique d’accompagner leurs patients jusqu’au funérarium. « Si la plupart des infirmières et des aides-soignants y voient l’occasion de dire au revoir à leur patient et ainsi de tourner symboliquement la page, certains, parmi les salariés qui ont fréquenté notre établissement, ont fini par rendre leur blouse faute d’avoir anticipé là où ils mettaient les pieds », reconnaît Stéphanie Blino. Pour ceux qui restent, et ils sont nombreux puisque le turnover depuis l’ouverture est inférieur à 10 % des effectifs, des groupes de parole et des analyses de pratiques sont organisés tous les 15 jours. Animés par une psychologue libérale, ils permettent au personnel de lui redonner du souffle pour continuer à être aux petits soins des patients. « On pourrait penser que travailler dans une telle unité est glauque, mais c’est l’inverse. Ici, on a tous conscience qu’il faut profiter du temps qu’il reste ; cela donne un vrai sens à notre travail. Parfois, c’est difficile, mais à la fin de la journée, une chose est sûre : je ne suis pas frustrée », avoue Évelyne Villard. Un an après son ouverture, le bilan s’avère en effet positif, tant sur le taux d’occupation que sur la qualité de la prise en charge. Dans le livre d’or posé en évidence à l’entrée du bâtiment, les commentaires élogieux laissés par les proches saluent un lieu qui apaise les corps autant que les esprits. Le concept de la maison de Nicodème séduit, et il commence à attirer de nouveaux porteurs de projets. « Nous apportons notre savoir-faire dans deux nouveaux projets, l’un à Angers, l’autre à Vannes », détaille Édith de Rotalier. De son côté, l’Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve ouvrira prochainement des maisons dans les Bouches-du-Rhône, en Bretagne et dans la Loire. Même cadre, même organisation, mais personne ne sait encore s’il y aura des chats.