L’EXPERTE REPRÉSENTANT LES INFIRMIÈRES - Ma revue n° 034 du 01/07/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 034 du 01/07/2023

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

Nommée il y a bientôt un an Chief nursing officer (CNO), et par ailleurs conseillère experte des professions paramédicales au ministère de la Santé, Brigitte Feuillebois, infirmière cadre de santé, cherche au travers de ses différentes missions à faire évoluer les compétences des paramédicaux et le leadership infirmier.

Comment avez-vous intégré le ministère de la Santé ?

Brigitte Feuillebois : Cela s’est fait progressivement. J’ai postulé en 2015 à l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, en tant que chargée de mission sur les protocoles de coopération. Ce poste m’a permis d’élargir ma vision des dispositifs innovants et des capacités pour les infirmières à développer des compétences dans des organisations particulières auprès de médecins pourvoyeurs. J’ai exercé au plus près des équipes, pour apporter un soutien méthodologique, rédactionnel et conceptuel. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) m’a alors sollicitée pour un poste de conseillère experte des professions paramédicales, que j’ai d’abord décliné, ne me considérant pas suffisamment expérimentée - généralement, ce sont des directeurs de soins qui accèdent à ce type de poste. Je voulais rendre ma position légitime. En parallèle de ma mission à l’ARS, je me suis inscrite à un master de sociologie. Je me suis alors intéressée aux professions de santé et à la redistribution des compétences. Lorsque la DGOS m’a de nouveau proposé le poste en 2018, je l’ai accepté. Puis, en 2022, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, une journée spécifique a été organisée pour réunir l’ensemble des Chiefs nursing officer (CNO) de l’Union européenne. La DGOS m’a confié l’animation de cette journée, au cours de laquelle nous avons discuté de sujets spécifiquement portés par la profession. J’ai ensuite demandé une nomination officielle en tant que CNO, afin de stabiliser la mission, l’investir pleinement, faire reconnaître la fonction au niveau du ministère pour devenir l’interlocuteur français à l’échelle européenne et internationale.

Quelle est la différence entre vos deux postes ?

B. F. : Je dois adopter deux postures distinctes. En tant que conseillère experte des professions paramédicales, j’ai une position technique. J’apporte mon expertise sur des sujets en lien avec l’évolution des métiers, des compétences, dans le cadre notamment des protocoles de coopération pour les paramédicaux au sens large, et non uniquement pour les infirmières. En parallèle, je dois investir les missions de CNO, davantage politiques. Dans le cadre de cette fonction, j’ai à cœur d’exporter le modèle français face à la problématique commune du manque de ressources soignantes. Si le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est positionné pour créer des postes de CNO au niveau national, c’est notamment pour influencer les politiques nationales, développer l’attractivité, la fidélisation, et limiter les fuites des infirmières, même si la mobilité est inhérente à la fonction. Je me suis d’ailleurs fixée trois missions. Tout d’abord communiquer largement sur les compétences des infirmières afin de les faire connaître. J’entends aussi jouer un rôle fédérateur autour d’une profession aux multiples organisations, afin qu’elle ne soit pas trop segmentée par des appartenances à des spécialités et à des lieux. Enfin, ma troisième mission consiste à représenter les infirmières françaises à l’échelle européenne et internationale.

Quelle voix entendez-vous porter pour créer cette unité au sein de la profession en France ?

B. F. : L’idée serait d’envisager une structuration plus générale de la profession, quelles que soient les formations inhérentes aux spécialités et aux infirmières en pratique avancée (IPA). Les infirmières doivent être considérées comme un « groupe de professionnelles », détentrices de leviers et de spécialités. De même que la discipline des « sciences infirmières » doit trouver une place plus importante dans les écoles de santé françaises. L’objectif est donc de construire cette discipline spécifique, à laquelle les étudiants peuvent être formés de l’institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) jusqu’au doctorat, qui soit portée par des infirmières (et non uniquement des professionnels médicaux), désireuses de détenir ces missions et garantes de la discipline. Même si l’interprofessionnalité est fondamentale, dans le cadre d’une formation à un métier, il est important de construire un groupe suffisamment solide afin de porter une identité spécifique, complémentaire des autres professions de santé et marquant son identité.

Comment y parvenir ?

B. F. : Il me paraît nécessaire de construire un parcours universitaire qui tiendrait compte à la fois des spécialités et des expertises. Le métier socle serait toujours accessible après trois années d’études universitaires, permettant d’exercer dans tous les domaines du soin. Les étudiants pourraient ensuite, en option, selon une durée déterminée, poursuivre leur formation afin d’acquérir une expertise - expertise acquise actuellement avec des diplômes universitaires ou d’autres types de formations, non reconnus d’un point de vue académique. Il est question ici des formations en plaies et cicatrisation, gestion de la douleur, santé au travail, médecine scolaire ou encore soins palliatifs. Enfin, les spécialités et la pratique avancée seraient de niveau master, avec ensuite, la possibilité d’accéder à un doctorat en sciences infirmières. Ce volet national de formation serait ainsi organisé autour d’éléments de mise en cohérence sur ce que nous souhaitons pour l’avenir de la profession infirmière. Mais ce modèle en quatre ans, avec une formation socle et des trajectoires complémentaires dans des champs d’expertise, est-il cohérent dans notre pays où des jeunes souhaitent se former rapidement ? Le plus inspirant pour moi reste de parvenir à construire une trajectoire professionnelle. Il faut de la souplesse sur des modèles de formation nécessitant moins de rigidité pour les jeunes générations demandeuses de passerelles ou souhaitant disposer de la possibilité d’interrompre leurs études, puis de les reprendre. Je soutiens toutefois l’importance, pour la profession, de s’implanter à l’université, lieu de construction pluriprofessionnelle. Nous devons mettre en œuvre ces jalons, pour apporter une reconnaissance, et créer une marque métier, car être infirmière ne doit plus être considéré comme étant uniquement une vocation. Cet ancrage historique doit évoluer.

Quelles autres avancées souhaitez-vous défendre ?

B. F. : Il est nécessaire selon moi d’ouvrir le champ de la prescription et de la consultation. L’un de mes objectifs est de voir mentionner « consultation infirmière » dans un texte de loi. J’essaye, de cette manière, de poser quelques briques afin d’arriver à des seuils d’acceptation. Les controverses sur le partage des champs et des compétences entre les médicaux et les paramédicaux sont nombreuses. Il faut davantage s’interroger sur la complémentarité et sur la volonté de mettre de côté les termes de « rôle propre » et de « rôle prescrit » pour que la profession soit reconnue comme un métier à part entière et non comme étant soumise à la prescription médicale. Même si cela s’exprime principalement en ville, cela donne l’image d’un métier assujetti, et ce, uniquement pour des raisons économiques. Il faut également apporter une vision plus moderne de l’infirmière et mentionner avec une visibilité accrue les termes de « prises de décision » et de « capacité à raisonner et à rendre un jugement clinique de manière autonome dans le cadre d’un exercice en équipe ». Il est important d’introduire la capacité des infirmières de faire de la politique et d’être porteuses d’une réflexion, d’une évolution dans le système de santé, quelle que soit leur place.

POURQUOI ELLE ?

Infirmière depuis trente ans, Brigitte Feuillebois a multiplié et diversifié ses expériences professionnelles afin d’approfondir son analyse et son approche du métier, et plus globalement du système de santé. Depuis 2022, en tant que Chief nursing officer, elle représente la profession à l’échelle européenne et internationale. Également conseillère experte auprès du ministère de la Santé, elle agit pour l’évolution du métier en France.

BIO EXPRESS

1993 Diplôme d’État obtenu à l’institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Cochin-La Rochefoucauld (AP-HP).

2003 Cadre de santé.

2015 Chargée de mission protocoles de coopération à l’Agence régionale de santé Île-de-France.

2018 Master 2 de sociologie.

2018 Experte technique des professions paramédicales au ministère de la Santé.

2022 Représentante des IDE français au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).