SAUVÉE PAR SON RÊVE D’ÊTRE SAUVEUSE - Ma revue n° 029 du 01/02/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 029 du 01/02/2023

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

L’addiction, elle l’a connue une grande partie de sa vie. D’abord chez son père, puis chez elle. Sandra Pinel, infirmière, s’en est aujourd’hui sortie et a décidé de partager son parcours pour aider les autres au sein de l’association Oppelia de Saint-Nazaire.

Pourquoi êtes-vous devenue infirmière ?

Sandra Pinel : Pour soigner mon père. Ma vie professionnelle est intimement liée à mon histoire personnelle. Mon père avait des conduites addictives avec l’alcool, et cela a marqué mon enfance, mon adolescence et ma vie de jeune adulte. Il était paysagiste et se blessait souvent. Je le soignais. Il était évident que je devais devenir infirmière. J’ai d’ailleurs effectué mon mémoire de fin d’études sur l’infirmière et l’information du malade alcoolique. Mais l’année précédant l’obtention de mon diplôme, mon père est décédé d’un cancer des poumons, très affecté par sa dépendance à l’alcool.

Vous avez également eu des conduites addictives…

S. P. : Dès l’âge de 11 ans, j’ai commencé à fumer quotidiennement. Puis j’ai rencontré le cannabis à l’âge de 16 ans. Au hasard des fréquentations, deux jeunes filles m’ont proposé de tirer sur leur joint, j’ai accepté et j’ai aimé l’effet. À l’époque, la vie était compliquée à la maison. Le cannabis me donnait l’impression de pouvoir tout oublier. J’ai fumé presque tous les jours jusqu’à mes 42 ans. Lorsque j’ai intégré l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), j’étais déjà bien ancrée dans ma consommation. Mais je me suis toujours fait un point d’honneur de ne consommer qu’après l’école et après le travail. Je me suis accrochée à mon rêve de devenir sauveuse, et c’est ce qui m’a sauvée. Consommer sur mon lieu de travail m’aurait tout fait perdre. D’autant plus que ma route a ensuite croisé la cocaïne, l’ecstasy, la kétamine, les opiacés et l’alcool.

Pourquoi avez-vous usé d’autres stupéfiants ?

S. P. : Vers mes 30 ans, je me suis blessée au surf. Je ne pouvais plus marcher, plus travailler, je ne pouvais plus « sauver personne ». J’ai donc décompensé. J’ai été hospitalisée en psychiatrie, où l’on m’a diagnostiquée bipolaire - ce qui s’est révélé faux par la suite. Je n’ai pas accepté de passer du côté des soignés, de devenir la personne à sauver. J’ai alors multiplié les conduites addictives sur mon lieu d’hospitalisation. Après deux ans d’arrêt, j’ai repris le travail, sous traitement, ce qui m’endormait. Mon psychiatre à réduit mon traitement, et l’alcool est arrivé dans ma vie. Quotidiennement. Une façon de m’échapper. J’étais persuadée de ne pas être bonne professionnellement et que tout le monde allait s’en apercevoir. Je n’acceptais pas non plus de devoir prendre des drogues prescrites, de ne plus avoir la liberté de m’abstenir. À cette époque, je suivais un rituel bien précis en mélangeant cannabis, alcool et médicaments pour vivre les effets de la défonce et faire taire mon esprit.

Comment êtes-vous parvenue à vous sevrer ?

S. P. : Après plusieurs années à exercer en Ehpad, j’ai souhaité changer de service. J’ai postulé dans un service de médecine et soins palliatifs. J’en suis ressortie avec un avis assez tranché sur la prise en charge que l’on proposait aux patients en sevrage. J’avais le sentiment que l’on ne faisait pas grand-chose pour eux, tout en niant être moi-même dans la dépendance. J’ai commencé à avoir des problèmes de santé (bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme, problèmes digestifs). De ma consultation chez mon gastro-entérologue, j’ai retenu que si je continuais sur cette lancée, il aurait un diagnostic défavorable à m’annoncer dans quelques années. Du jour au lendemain, j’ai arrêté l’alcool, mais de la mauvaise façon c’est-à-dire en m’imposant un sevrage sec. Le matin, j’arrivais dans mon service avec des tremblements. Je me suis orientée vers un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) et j’étais aussi suivie au centre médico-psychologique (CMP) pour ma supposée bipolarité. J’ai compris beaucoup de choses en lien avec mon histoire familiale, ma quête d’identité, ma place dans la société. J’ai pu avancer. J’ai aussi eu un autre déclic lors d’un groupe de parole : une femme a témoigné sur les dommages de la consommation de cannabis sur son mari. J’ai alors réalisé que j’avais également un problème et j’ai décidé de tout arrêter. Je n’ai jamais repris depuis.

Vous avez alors fait le choix de devenir patiente experte…

S. P. : Après 25 ans de consommation de cannabis, j’ai eu l’impression de sortir du brouillard, de revivre et j’avais envie de me former. J’ai passé un diplôme interuniversitaire (DIU) d’addictologie financé par le fonds Actions Addictions et la Camerup(1). Le fait de postuler au DIU, d’être retenue et de l’obtenir, tout en travaillant, a été lourd de sens dans mes capacités à avancer. C’est aussi ce qui m’a maintenue hors de ma conduite addictive. Pendant mon stage de DIU, j’ai travaillé au sein de l’équipe de liaison de soins en addictologie du centre hospitalier de Saint-Nazaire, une révélation sur ma volonté d’exercer en addictologie. J’ai également passé une certification patient expert addictions. Son obtention fut pour moi un aboutissement, une reconnaissance par les autres de la fin de mes addictions.

Comment alliez-vous vos fonctions de patiente experte et d’infirmière ?

S. P. : Les deux sont complémentaires. Je suis une personne entière. Aujourd’hui, je travaille pour Oppelia à Saint-Nazaire, une association portant un Csapa et un Caarud(2). J’interviens notamment auprès d’un public précarisé et/ou en grande difficulté sociale. J’ai un temps de consultation avancée auprès des usagers dans les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de Saint-Nazaire, auprès des jeunes consommateurs. J’ai des consultations pour la tabacologie, du temps sur le pôle ressources pour les partenaires et je forme mes collègues. Mon discours aux usagers est forcément différent de celui tenu par des soignants n’ayant pas connu de conduites addictives. Je peux par exemple être amenée à partager certains éléments de mon parcours de rétablissement, si je pense que cela peut les aider, produire un effet miroir et leur donner confiance. Je les accompagne en élaborant des stratégies associant connaissances théoriques et expérientielles. Lorsque nous discutons entre professionnels, j’essaye toujours d’amener le point de vue du patient. Je suis un pont entre les deux mondes.

Depuis septembre 2022, vous avez repris vos études pour devenir infirmière en pratique avancée (IPA) mention santé mentale et psychiatrie. Pourquoi ce choix ?

S. P. : C’est une façon de compléter mon expertise et l’accompagnement global que je veux offrir aux usagers. Je suis déjà dans cette dynamique, mais je pense que la pratique avancée peut m’apporter un raisonnement d’ensemble complémentaire. D’autant plus que j’aimerais développer un projet avec les soins primaires car le manque de prise en charge est réel, notamment vis-à-vis des patients que nous accompagnons chez Oppelia. Nous avons de moins en moins de médecins alors que notre file active est très élevée. Je ressens un réel besoin d’organiser un réseau de soins pour aider à effectuer des évaluations. Je pense que je peux mettre mon expertise et les connaissances que je suis en train d’acquérir au bénéfice des médecins généralistes. Cela doit se faire en lien avec les infirmiers libéraux, acteurs du premier recours, faciles à aborder et à qui les patients se confient aisément. En tant qu’infirmières, nous sommes la pierre angulaire de la prise en charge.

1. Coordination des associations et mouvements d’entraide reconnus d’utilité publique.

2. Centre d’accueil, d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues.

POURQUOI ELLE

Patiente experte addictions, infirmière en centres de soins et d’accueil des personnes souffrant d’addictions, membre du conseil d’administration de France Patients Experts Addictions, modératrice du forum d’Addict’AIDE, créatrice et administratrice du groupe Facebook « Addictions et Alcool : ensemble on est plus forts », Sandra Pinel multiplie les casquettes pour aider les autres. Le parcours exemplaire d’une professionnelle qui a su faire de sa propre expérience de l’addiction une ressource pour l’exercice de son métier tourné vers l’autre.

BIO EXPRESS

1998 Diplômée de l’Ifsi de Vannes-Saint-Avé (56).

2001 Titularisée au sein du centre hospitalier du pays de Retz (44).

Août 2016 Arrêt de l’alcool.

Mai 2017 Arrêt de toutes les autres drogues.

2018 Diplôme interuniversitaire d’addictologie.

2019 IDE au sein de l’association Oppelia à Saint-Nazaire.