SUICIDE CHEZ LES SOIGNANTS : IL Y A URGENCE ! - Ma revue n° 025 du 01/10/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 025 du 01/10/2022

 

RISQUES PSYCHOSOCIAUX

JE DÉCRYPTE

SANTÉ PUBLIQUE

Lisette Gries  

L’association Soins aux professionnels de santé a diffusé fin août une vidéo choc pour alerter sur la détresse psychologique des soignants. Si la forme peut déranger, personne ne conteste le fond : il est urgent d’agir et de diffuser une culture de la vigilance en santé mentale, y compris dans le secteur du soin.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) n’y va pas par quatre chemins pour diffuser son message d’alerte. Depuis son lancement fin août, la vidéo « Qui nous soignera quand les professionnels de santé ne seront plus là ? » a été vue plusieurs milliers de fois. En un peu moins d’une minute, elle montre la souffrance psychologique des soignants et annonce que « trois professionnels de la santé se suicident tous les deux jours ». Des chiffres calculés, explique l’association, à partir de la dernière étude statistique de Santé publique France sur le suicide, qui date de… 2017. « On comptait alors 9 000 suicides par an en France. En estimant le nombre de professionnels de santé à 3,5 millions de personnes, puisque nous incluons les vétérinaires, les psychologues, les professionnels du médico-social ou encore les personnels des directions de soins, et en établissant une règle de trois, on obtient ce chiffre de trois suicides tous les deux jours, détaille Catherine Cornibert, directrice générale de SPS. Ce chiffre est donc probablement en dessous de la réalité, car il date d’avant la crise sanitaire et qu’il ne prend pas en compte un potentiel risque accru dans le secteur de la santé. »

DE MAL EN PIS

Critiquée par certains soignants et spécialistes de la prévention en santé mentale pour la violence de la mise en scène, la campagne portée par l’association a cependant le mérite de faire réagir, sur un sujet qui, lui, ne fait pas débat. « La santé mentale des personnels de soin se dégrade », martèle Catherine Cornibert. Un constat que SPS tire de son expérience de terrain. « Notre numéro d’écoute dédié aux soignants a vu le nombre d’appels exploser pendant le premier confinement, puis se stabiliser à une moyenne de 15 appels par jour, poursuit la directrice. De plus en plus souvent, les appelants ont des idées suicidaires ou pressentent un risque de passage à l’acte imminent. » Dans le détail, les appelants sont majoritairement des appelantes (75 %), et une part non négligeable (15 %) sont infirmières.

Cette aggravation de la détresse des soignants rejoint le constat fait par l’équipe de la clinique Le Gouz, en Saône-et-Loire, un établissement privé en santé mentale dédié à la prise en charge des professionnels de la santé. « Au début de la crise du Covid, nous avons reçu des patients en burn out et en dépression suite à un épuisement professionnel, retrace le Dr Farid Belhadj, psychiatre à la clinique Le Gouz. Aujourd’hui, c’est à un effondrement de la santé mentale des patients que l’on assiste. En 30 ans d’exercice en psychiatrie, c’est la première fois que je suis confronté à une situation pareille. » La clinique Le Gouz dispose de 38 places en hospitalisation complète et de 10 places en hôpital de jour. Les patients sont des professionnels de santé en provenance de toute la France, car l’établissement n’est pas dépendant de la sectorisation de la psychiatrie. Les soignants peuvent donc y trouver une prise en charge loin de leur hôpital de secteur, où ils craignent souvent de croiser leurs patients et leurs collègues.

SIGNES DE DÉTRESSE

« Les gens qui arrivent dans nos services sont très abîmés. De plus en plus souvent, ils ont eu des passages à l’acte assez violents, que ce soit des tentatives de suicide ou des conduites addictives majeures », décrit le Dr Farid Belhadj. L’Observatoire national du suicide (ONS) relève également, dans la population générale, une « sévérité accrue des actes suicidaires repérés », avec des moyens employés plus violents et des hospitalisations en soins intensifs plus fréquentes (Rapport de l’ONS, 2022).

En cause, bien souvent : le mal-être au travail et la perte de sens. « Il y a deux typologies dans les tentatives de suicide : celles qui sont des appels au secours, et qui restent souvent contrôlées, et celles qui visent véritablement à mettre un terme à sa vie, poursuit le Dr Belhadj. Quand les appels au secours ne sont pas entendus, le risque de gradation dans la violence du geste est majeur. »

Un des signes de la détresse du monde soignant est le souhait de changer de voie professionnelle. « La Fnesi [Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, NDLR] rapporte que près de 60 % des étudiants en soins infirmiers ont songé à arrêter leur formation », souligne Catherine Cornibert (lire l’encadré, p. 12). « Parmi nos patients, les trois quarts disent vouloir se réorienter, abonde le Dr Belhadj. Les métiers du soin sont souvent exercés par passion, la décision de changer d’orientation professionnelle se fait dans un contexte de souffrance psychologique. »

CULTURE DE LA VIGILANCE

Le tableau clinique a de quoi inquiéter et jette une lumière crue sur la nécessité de mieux structurer les moyens de prévention, à commencer par les conditions d’exercice des professionnels. Il reste cependant également important de diffuser une culture de la vigilance. L’association Premiers secours en santé mentale (PSSM) souhaite ainsi former 750 000 personnes d’ici à 2030, soignants ou non, afin d’apprendre à repérer les alertes et de savoir vers qui orienter les personnes en crise. « La souffrance psychique n’est pas invisible, elle peut même avoir différents visages. Les signes d’alerte permettant d’identifier une personne en souffrance sont multiples et sont des indices qui doivent nous inquiéter. Il peut s’agir d’un sentiment de tristesse récurrent, d’un isolement, de troubles du sommeil, mais aussi de conduites à risque (drogue, alcool, sexualité, etc.) », explique Yann Massart, délégué général de l’association Dites Je suis là, qui œuvre pour la prévention du risque suicidaire dans la population générale. Chez les professionnels de santé, les signaux d’alerte peuvent aussi se lire à travers une modification de leur attitude au travail. « La perte de motivation, le désinvestissement, mais aussi la négligence ou la maltraitance vis-à-vis des patients peuvent être des marques de détresse, qu’il faut savoir entendre », insiste le Dr Belhadj.

Quand ces signes se manifestent chez un collègue, on peut l’orienter vers son médecin traitant, mais aussi vers le médecin ou le psychologue du travail, alerter l’encadrement si les relations sont bonnes ou encore se rapprocher des cellules en place dans certains établissements. La ligne d’écoute de SPS garantit 100 % de décrochés (pas d’appels qui sonnent dans le vide), 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. « Les répondants sont tous des psychologues formés à la prévention du suicide et à l’accompagnement spécifique des soignants. Les appels sont gratuits et anonymes, souligne Catherine Cornibert. L’accompagnement que nous proposons est complémentaire de ce que proposent les établissements. » L’essentiel est de ne pas laisser la personne seule face à sa détresse.

Les étudiants en soins infirmiers de plus en plus vulnérables

La Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) a mené au printemps une enquête sur le bien-être des ESI en France, cinq ans après la dernière étude chiffrée sur ce sujet. 61,4 % des répondants ont déclaré que leur santé mentale s’était détériorée depuis leur entrée en formation (contre 52,5 % en 2017). Plus inquiétant encore, 16,4 % d’entre eux rapportent avoir eu des idées suicidaires, contre 7,4 % il y a cinq ans. 47,8 % sont sujets à des crises d’angoisse et 28,4 % présentent des signes de dépression. Un tiers des ESI ont déjà consommé des médicaments pour améliorer leur santé mentale depuis le début de la formation (antidépresseurs, anxiolytiques, hypnotiques). L’Observatoire national du suicide note dans son rapport de 2022 que « les jeunes et les étudiants sont plus susceptibles de développer des idées morbides et suicidaires ». Une vigilance particulière est donc de mise.

Savoir +

POUR SOI OU POUR LES AUTRES : QUI CONTACTER ?

Que l’on ait soi-même des idées noires ou que l’on s’inquiète pour une collègue, des ressources existent :

- le numéro vert de l’association SPS (Soins aux professionnels de santé), 7j/7, 24h/24 : 0 805 23 23 36. Une application mobile est également disponible : www.asso-sps.fr

- le numéro national de prévention du suicide : 31 14

- pour les urgences : le 15 ou le 115 par SMS

- pour les étudiants : www.nightline.fr

- Suicide Écoute au : 01 45 39 40 00

- l’association Dites Je suis là met à disposition un annuaire de ressources par département : www.ditesjesuisla.fr

- pour les soignants de la région Auvergne-Rhônes-Alpes, le réseau ASRA dispose d’un numéro vert : 0 805 62 01 33 ; et d’un site : www.reseau-asra.fr