DE L’USAGE DE L’ÉCHOREPÉRAGE EN ANESTHÉSIE - Ma revue n° 021 du 01/06/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 021 du 01/06/2022

 

CHIRURGIE

JE RECHERCHE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Pour Jérôme Paniego, infirmier anesthésiste au CHU de Montpellier, la pratique est intimement liée au questionnement scientifique. Portrait d’un chercheur qui termine une étude visant à prévoir l’échec de la pose d’un cathéter radial.

Un de ses mots favoris est « demain ». Pour le moment, il doit attendre pour savoir si son hypothèse de départ sera vérifiée. Les 330 patients de l’étude que pilote Jérôme Paniego au bloc de chirurgie thoracique cardiaque et vasculaire (CTCV) ont été inclus. Les échographies prises par les infirmiers anesthésistes (Iade) participant à l’étude Eprac (Echography to Predict Radial Artery Catheterization failure) finissent d’être analysées par la médecin référente du projet. Le médecin statisticien, lui, effectue le croisement des données. Pourra-t-on disposer de données qui permettent de prédire l’échec de la pose d’un cathéter radial ? Car ce dispositif est indispensable pour mesurer en continu la pression artérielle invasive chez les patients opérés en chirurgie cardiaque et aortique. Au CHU de Montpellier, les Iade réalisent cette pose par ponction, en palpant l’artère et en s’aidant de la mesure du pouls. Un geste qui devient ardu sur une artère de petit diamètre ou malade. Dans ce cas, plus d’une dizaine de ponctions peuvent être nécessaires avant de réussir la pose, ce qui induit des complications vasculaires. En outre, cela retarde la procédure et allonge le temps d’occupation du bloc. D’où l’intérêt d’anticiper. En cas de risque d’échec reconnu, l’Iade peut faire appel au médecin anesthésiste pour poser le cathéter au niveau fémoral. Pour Jérôme Paniego, l’étude Eprac est donc « l’occasion de ne plus faire de façon systématique, mais de réfléchir grâce à un travail de recherche. On donne du sens à nos pratiques en les faisant évoluer sur la manière de procéder et en adoptant une démarche personnalisée qui prend en compte les caractéristiques de chaque patient ». Cette étude a pour but d’élaborer un score prédictif comparable à l’échelle Diva (Difficult Intraveinous Access Scale) pour la pose de voies veineuses périphériques (VVP).

PREMIÈRE RECHERCHE

L’Iade n’est pas un novice en matière de recherche. Il cultive le sens de l’initiative et des soins primaires depuis son entrée, comme volontaire, à 16 ans, chez les pompiers. Après son diplôme d’Iade, il intègre un service d’aide médicale urgente (Samu) qui envoie des IDE en première ligne. Formés aux bilans de la médecine d’urgence, ils sont en lien téléphonique avec le médecin régulateur lors de leurs interventions. Le soignant souhaite alors démontrer scientifiquement l’efficacité de ce fonctionnement avant-gardiste. Or, le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) n’existant pas encore, l’établissement ne propose pas d’interlocuteur à un paramédical qui voudrait faire une recherche. Jérôme Paniego va alors frapper à la porte du département d’information médicale (DIM) où il rencontre le directeur du service, un ancien du Samu, qui perçoit la pertinence du sujet et aide l’infirmier à construire un recueil de données. Durant six mois, l’Iade mesure l’ensemble de l’activité paramédicale de la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) : types d’intervention, complications, renforts médicaux. Les conclusions de l’étude montrent la finesse de l’évaluation du médecin régulateur, l’envoi d’un renfort médical étant rarement nécessaire.

Dix ans plus tard, l’aventure Eprac débute. Jérôme Paniego et le médecin anesthésiste réanimateur (MAR) encadrent les étudiants Iade qui doivent effectuer un projet de recherche. Le duo en profite pour les faire travailler sur un sujet qui leur trotte dans la tête : au Canada, où le MAR a exercé, l’usage de l’échographie est plus répandu. Alors, pourquoi ne pas s’interroger sur l’aide que pourrait apporter cette technique pour la pose d’un cathéter artériel ? Les travaux préliminaires des étudiants mobilisés sur ce qui deviendra Eprac apportent des données chiffrées. Dans le service de chirurgie cardiaque et thoracique du CHU de Montpellier, 15 % des poses de cathéter radial se soldent par un échec. Et cela peut prendre jusqu’à 45 minutes, soit dix fois plus de temps. Beaucoup de patients interrogés en postopératoire ne ressentent pas de douleur au sternum, zone concernée par l’acte chirurgical, mais au bras. Sans oublier le phénomène du « bras bleu », qui peut perdurer plusieurs mois. De même, rien dans la littérature scientifique ne fait état de l’existence d’un test qui permettrait de prédire un échec de la pose d’un cathéter artériel radial en anesthésie. Il est grand temps d’en élaborer un.

UNE ÉQUIPE RENOUVELÉE

Soutenu par le MAR, Jérôme Paniego met au point un projet d’étude et sollicite ses collègues : « On partait sur un gros projet et ça me plaisait d’avoir ce côté fédérateur. Nous sommes un petit bloc de vingt Iade. L’idée, c’était d’embarquer tout le monde dans cette aventure et tous ont répondu présent. » Le chercheur présente Eprac à l’appel d’offres interne de l’établissement, mais elle n’est pas retenue. La coordinatrice de la recherche paramédicale du CHU le convainc de postuler à un autre appel d’offres. Après un long travail de remaniement, le dossier est présenté fin 2018 pour le PHRIP et sélectionné en 2019. Jouissant d’une importante dotation, le chercheur se voit attribuer une attachée de recherche clinique (ARC) qui suivra le projet, et une data manager l’aide à construire le recueil de données. L’équipe d’ARC et un médecin du DIM lui apportent également leur concours. Mais le MAR référent de l’étude quitte l’établissement. Jérôme se tourne alors vers la médecin angiologue vasculaire du CHU, également référente en matière d’échographie. Enthousiasmée par le projet, elle accepte de l’accompagner. Ensemble, ils organisent la formation de l’équipe d’Iade à l’échorepérage, première partie de l’étude. Mais les trois mois envisagés pour cet apprentissage ne suffisent pas. Peu à peu, certains membres de l’équipe se détachent du projet ; d’autres quittent le service. En 2022, le groupe d’Iade est renouvelé. Qu’à cela ne tienne. Les Iade du bloc CTCV ont monté en compétences et n’hésitent plus à utiliser l’échographe si nécessaire. « Au cours de cette étude, nous avons fait des centaines de photos d’artères et acquis une expertise. Aujourd’hui, quand je fais un échorepérage, j’arrive à voir une artère qui est altérée, une artère pathologique et, dans ce cas, je sais que je ne dois même pas tenter une ponction. »

SE FORMER À L’ÉCHOGRAPHIE, UN ENJEU FONDAMENTAL

Si l’échorepérage est à présent recommandé par les sociétés savantes pour la pose de cathéter, son utilisation est encore peu répandue chez les Iade. Avant même que les résultats ne soient connus, l’étude a déjà des retombées. Jérôme Paniego a été sollicité par l’école d’Iade pour former à l’échorepérage, a déposé auprès de l’agence nationale du DPC un programme d’initiation à la ponction artérielle et des VVP sous échographie, et a conçu un programme en s’appuyant sur le personnel du centre de formation continue du CHU. Si sa demande est validée, le soignant aimerait former tous les Iade de l’établissement. « L’étude a permis d’identifier que l’échographe pouvait avoir un large usage. Nous avons des patients fragiles, âgés, au capital veineux précaire qu’il faut préserver. Nous sommes sollicités quotidiennement pour poser des cathéters sur voie veineuse périphérique dans les services. On se retrouve face à des patients en grande détresse. En général, l’infirmière a déjà essayé cinq ou six fois. Quand ils nous voient arriver, les patients ont peur, ils sont stressés. Et les veines qui étaient plutôt en bon état ont été endommagées. L’échorepérage est un bel outil, une arme de plus », explique l’infirmier. La pose de VVP peut se faire avec l’échographe en fonction du score Diva. Le seul facteur limitant ? Le matériel, qui n’est disponible qu’au bloc. Mais les appareils portatifs permettent un transport facile dans les services.

Avant d’aborder cet autre volet de son activité, Jérôme Paniego a prévenu sa hiérarchie, le chef de service d’anesthésie et la direction des soins, qui ont donné leur accord et se sont engagés à dégager du temps à l’infirmier. Celui-ci ne souhaite cependant pas perdre le contact avec le bloc. Il a obtenu d’être libéré une journée toutes les deux semaines et peut s’appuyer sur ses collègues s’il doit prendre une heure ou se libérer lorsqu’il est d’astreinte.

ET APRÈS ?

Parallèlement, depuis 2019 Jérôme Paniego est engagé dans une autre recherche. Quand Eprac n’avait pas été retenue, l’Iade avait voulu faire aboutir un autre projet en lien avec une problématique de service : les patients opérés des poumons intégrés dans un parcours RAAC (réhabilitation améliorée après chirurgie) qui arrivent dans le service ont des globes vésicaux et doivent être sondés pendant la nuit. Mais en chirurgie, l’usage d’une sonde immobiliserait ces patients et les sortirait de la filière RAAC. L’Iade propose une étude, Uricathor, qui permettra de tester l’efficacité d’un sondage évacuateur systématique en fin de bloc chez le patient endormi. La chirurgie terminée, celui-ci sera prêt à sortir et à être réveillé. Cette étude comparera cette nouvelle stratégie avec ce qui se pratique actuellement, c’est-à-dire un sondage vésical à demeure lorsque le volume de la vessie, mesuré par bladder scan, est supérieur à 400 ml. L’indicateur retenu est la rétention aiguë d’urine qui sera mesurée en postopératoire immédiat, dans les 24 premières heures, puis quatre jours après l’opération. Uricathor a été sélectionné en 2019 au titre de l’appel d’offres interne. Mais le financement n’étant pas suffisant, un dossier de PHRIP sera déposé pour la prochaine session. La possibilité de faire d’Uricathor une étude multicentrique est en cours de réflexion. Les CHU de Toulouse et de Montpellier pourraient participer, ce qui permettrait une cohorte élargie. Pour cette recherche, l’Iade a tiré les leçons d’Eprac. Il formera une équipe de chercheurs paramédicaux resserrée. L’Iade apprécie la conception des projets grâce à laquelle « on se situe dans l’amélioration de la prise en charge, dans le futur. On se projette en essayant d’améliorer les choses ». Jérôme Paniego est d’ailleurs déjà en lien avec les paramédicaux de son CHU qui souhaitent faire un travail de recherche et viennent lui demander conseil.

RÉFÉRENCES

Pour l’étude Eprac :

• Zetlaoui P. J., Bouaziz H., Jochum D. et al., « Recommandations sur l’utilisation de l’échographie lors de la mise en place des accès vasculaires », Anesthésie & Réanimation, 2015;1 (2):183-9. En ligne sur : bit.ly/3vBxWc8

• Kotowycz M. A., Johnston K. W., Ivanov J. et al., “Predictors of radial artery size in patients undergoing cardiac catheterization : insights from the Good Radial Artery Size Prediction (GRASP) study”, Canadian Journal of Cardiology, 2014 Feb;30 (2):211-6. Sur : bit.ly/3vUu84Z

• Abazid R. M., Smettei O. A., Mohamed M. Z.et al., “Radial artery ultrasound predicts the success of transradial coronary angiography”, Cardiology Journal, 2017;24 (1):9-14. En ligne sur : bit.ly/3F5yZEq

Pour l’étude Uricathor :

• Medbery R. L., Khullar O. V., Fernandez F. G., “ERAS and patient reported outcomes in thoracic surgery: a review of current data”, Journal of Thoracic Disease, 2019 Apr;11 (7):S976-S986. Sur : bit.ly/3P3hIk6

• Wuethrich P. Y., Burkhard F. C., “Thoracic epidural analgesia: What about the urinary bladder ?”, Trends in Anaesthesia and Critical Care, 2012 Jun;2 (3):138-44.

SON PARCOURS EN CINQ DATES

1990 Pompier volontaire.

2000 Diplôme d’État d’infirmier.

2006 Diplôme universitaire en médecine d’urgence et diplôme d’infirmier anesthésiste.

2007 Intègre le Samu et la première unité de véhicule léger infirmier des pompiers de Montpellier.

2019 L’étude Eprac est sélectionnée pour le PHRIP ; le projet de recherche Uricathor obtient l’appel d’offres interne paramédical du CHU de Montpellier.

LES ÉTAPES DE L’ÉTUDE EPRAC

L’objectif principal de l’étude est d’évaluer les valeurs diagnostiques des dimensions de l’artère radiale permettant de prédire l’échec de la cathétérisation radiale. Un score d’échec de pose de ce cathéter pourra également être établi en prenant en compte les dimensions de l’artère radiale et les paramètres cliniques du patient.

Le taux de complications vasculaires et la durée d’hospitalisation dans les groupes « succès radial » et « échec radial » doivent également être comparés.

• L’essentiel de l’étude : monocentrique, prospective et de catégorie 3, menée en double aveugle sur 330 patients, à raison de 15 patients pour la première phase, de formation, et 315 pour la seconde.

• En première partie d’étude, les Iade participant à la recherche sont formés. La partie théorique permet d’aborder ce qu’est un échographe, comment l’utiliser et ce qu’il faut regarder. Une série de mesures est ensuite effectuée, d’abord sur des sujets sains puis sur des patients volontaires. Cet atelier pratique permet de repérer les nerfs, les artères ainsi que les veines du membre supérieur.

• La seconde partie de l’étude s’effectue en double aveugle. Lors de l’inclusion des patients, un Iade 1 enregistre les images échographiques de l’artère radiale. Un Iade 2 pose le cathéter avec la méthode de ponction anatomique, en s’aidant du pouls du patient.

Le médecin anesthésiste réanimateur, qui ne connaît pas l’échec ou la réussite de la pose, mesure ensuite les caractéristiques de l’artère radiale : diamètres interne et externe, aire, épaisseur de la paroi artérielle, éventuelle présence de calcifications. Un échec est caractérisé par la nécessité d’effectuer trois ponctions ou plus, un changement d’opérateur ou un changement de site pour la ponction.