LE CENTRE LÉON BÉRARD S’INVESTIT DANS LA MÉDIATION TRANSCULTURELLE - Ma revue n° 019 du 01/04/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 019 du 01/04/2022

 

SUR LE TERRAIN

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

L. M.  

Le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (CLB), à Lyon (Rhône), applique ce concept de cancérologie sociale, notamment dans le cadre de la médiation transculturelle pour l’accueil de patients guyanais.

La notion de cancérologie sociale soulève nombre de questionnements et de réflexions, reconnaît Aurélie Bargeault, assistante sociale au sein du service social rattachée au Département interdisciplinaire des soins de support pour le patient en oncologie (Disspo). Cela interroge également la notion du morcellement de la prise en charge. » Depuis 2009, le CLB reçoit des patients guyanais atteints de cancer qui ne peuvent pas être pris en charge dans leur pays. Une convention a été conclue la même année avec le centre hospitalier (CH) de Cayenne et les hôpitaux de Kourou et de Saint-Laurent du Maroni. Depuis, deux oncologues du CLB se rendent alternativement une fois par mois au CH de Cayenne afin d’effectuer des consultations, rencontrer les patients et adresser des demandes d’évacuation sanitaire ; la Sécurité sociale guyanaise permettant des rapatriements en France pour leur prise en charge. Depuis 2016, les dossiers sont étudiés une fois par semaine par la commission Guyane du CLB, composée des oncologues, de l’infirmière de coordination, de l’aide-soignante du service et de l’assistante sociale, pour évaluer le rapport bénéfice-risque de faire venir le patient, s’assurer que son état général n’est pas trop dégradé et qu’il est relativement autonome dans les gestes de la vie quotidienne. « Lorsque le dossier est validé médicalement et socialement, je convoque le patient dès que nous avons un lit disponible », rapporte Mélanie Labbé-Chalvet, infirmière de coordination (Idec) responsable du parcours des patients guyanais depuis septembre 2018.

Avant la mise en place de la commission Guyane, les patients arrivaient au fil de l’eau, sans lit disponible à leur arrivée. « Nous pouvions être confrontés à des problématiques sociales car certains n’avaient pas tous les documents nécessaires pour leur venue en France, l’obtention d’un laissez-passer pour le retour était parfois compliquée, et nous nous retrouvions en difficulté, ajoute l’infirmière. Comme il n’y avait pas de commission, certaines personnes arrivaient dans un état très dégradé, voire en situation palliative, et décédaient dans notre institution. Or, le rapatriement d’un corps est à la charge de la famille (environ 7 000 euros) avec une aide d’environ 1 000 euros de l’Assurance maladie. »

PRISE EN CHARGE INDIVIDUALISÉE

L’accueil des patients se fait aujourd’hui dans un service non médicalisé dédié de dix lits avec la présence d’une aide-soignante en douze heures la semaine. « Les patients doivent être valides et autonomes, précise Mélanie Labbé-Chalvet. Le passage infirmier n’a lieu que pour les traitements per os. » Sept appartements de proximité sont également à disposition près de la structure pour les patients les plus autonomes ou ceux souhaitant venir accompagnés, l’hébergement étant pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie, hors nourriture. « Avant d’orienter le patient vers ce type de logement, je récolte le plus d’informations possible auprès de l’assistante sociale de Guyane sur l’état général de la personne et je vérifie qu’elle parle français, explique l’Idec. Si ce n’est pas le cas et qu’elle est isolée, elle sera alors mieux dans le service avec les patients parlant sa langue. » L’assistante sociale et l’Idec s’assurent ainsi que la venue du patient se fait dans de bonnes conditions. Tout d’abord au niveau administratif : droit de séjour, droits de Sécurité sociale ouverts, papiers d’identité à jour. « Puis, nous essayons d’être vigilants sur leur situation plus globale », fait savoir Aurélie Bargeault. « Par exemple, si nous prenons en charge une femme qui a des enfants en bas âge, nous nous assurons en amont, avec les assistantes sociales de Guyane, que la garde des enfants est organisée afin que la patiente puisse venir en toute quiétude, quitte à repousser son arrivée si sa situation médicale le permet. »

En parallèle, l’aide-soignante est au contact quotidien des patients, les suit dans leur parcours de soins, et peut interpeller les bons interlocuteurs en cas de problème. Quant à l’Idec, elle rencontre les patients lorsqu’ils ont des questions sur leurs traitements ou leur parcours, et assure leur suivi.

« J’essaye de m’adapter à leurs demandes, témoigne Mélanie Labbé-Chalvet. Il m’est arrivé de tenir compagnie à une patiente qui vivait mal l’éloignement et qui rencontrait des difficultés à faire face à sa maladie. Elle était isolée, dans un cadre différent du sien, confrontée à un changement culturel et de coutumes. J’allais la voir tous les deux jours et cela lui a permis de s’extérioriser. Progressivement, elle est sortie du CLB pour visiter Lyon et a rencontré d’autres personnes. Notre objectif est d’aider les patients au quotidien afin qu’ils vivent au mieux leur séjour. »

OUTILS DE COMMUNICATION

Le CLB dispose d’un comité de pilotage (Copil) interculturalité regroupant diverses professions, dont Mélanie Labbé-Chalvet fait partie. « Nous nous réunissons une fois par mois, et il est vrai que les patients guyanais nous ont fait nous questionner sur nos pratiques, sur la façon de prendre en charge des patients ayant une culture différente et de les écouter, explique-t-elle. Nous organisons de nombreux groupes de travail sur les difficultés que nous pouvons rencontrer dans la prise en charge des patients ne parlant pas notre langue. Il faut prendre le temps de se poser et d’écouter l’autre afin d’éviter des quiproquos pouvant altérer la relation soignant-soigné. » Pour faciliter la communication, le Copil a mis au point un outil sur tablette avec des codes et des dessins permettant aux patients d’exprimer leurs besoins. « Nous avons aussi créé des outils, des livrets d’accueil, des flyers en plusieurs langues », se félicite l’Idec.

L’équipe réfléchit également à la forma tion des soignants. « Nous avons répondu à un appel à projet de la Fondation de France qui nous a permis d’obtenir des fonds pour organiser des journées de formation à la médiation culturelle et à la compréhension de l’autre », fait savoir l’infirmière. En outre, le Copil a organisé deux journées autour des religions et des rites funéraires. « La prise en compte de la cancérologie sociale nous permet de fluidifier le parcours des patients, de nous organiser pour échanger avec des interlocuteurs uniques, éviter le morcellement et être en lien avec l’assistante sociale de Guyane, complète-t-elle. Pour le patient, comme pour nous, il s’agit d’un confort de travail car la prise en charge est cadrée. Chacun sait à qui s’adresser. Car même si certains points ne peuvent pas être anticipés, notre objectif est de faire en sorte que les patients puissent suivre leur traitement le plus sereinement possible. »