DANS LE COCKPIT, LES SOIGNANTS ÉTUDIENT LES BONS RÉFLEXES - Ma revue n° 019 du 01/04/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 019 du 01/04/2022

 

COMPÉTENCES NON TECHNIQUES

JE DÉCRYPTE

LE MOIS EN BREF

Laure Martin  

Fin février, une partie de l’équipe du service otorhinolaryngologie (ORL) et chirurgie cervicofaciale pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) a participé à une simulation de vol organisée par l’entreprise AviaSim. L’objectif : apprendre à mieux communiquer et gérer son stress.

Tour de contrôle, l’un de nos moteurs est en feu, nous demandons l’autorisation d’atterrir en urgence », lance le pilote, aka le médecin anesthésiste, dans son talkie-walkie. De son côté, le copilote, aka l’infirmière de bloc opératoire (Ibode), informe le steward de la décision : « Nous allons devoir effectuer un atterrissage d’urgence dans un champ. Rassurez les passagers, demandez-leur de garder leur ceinture attachée et le masque à oxygène sur le visage. Nous maîtrisons la situation. » Installés aux commandes d’un simulateur de l’Airbus A320, le médecin anesthésiste et l’Ibode, membres de l’équipe du service ORL et chirurgie cervicofaciale pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades, se prêtent à un exercice de simulation de vol. Animé par un pilote-instructeur et un formateur, ce stage permet d’étudier et d’analyser les réactions de l’équipe face à de nombreux et divers stimuli sensoriels inconnus. Après avoir « décollé », le binôme est rapidement confronté à des situations de stress, principalement liées aux interventions répétées du steward, alertant sur un feu dans les toilettes, un malaise voyageur ou encore un moteur éteint. Au milieu de toute cette agitation, les pilotes doivent prendre des décisions conjointes, communiquer avec la tour de contrôle, les passagers, déléguer… Bref, gérer des situations de stress et réussir le vol. Seule une stratégie de travail en équipe peut permettre de mener à bien la mission, laquelle est transposable à une situation de soin à risque, comme une endoscopie laryngotrachéale.

LE TEMPS DU DÉBRIEFING

Le but d’un tel exercice est d’amener chaque participant à comprendre et connaître ses mécanismes de réaction devant l’impré vu, puisse y être vigilant pour, à l’avenir, pouvoir adapter son comportement en cas de situation de crise, afin d’améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge des patients au bloc opératoire. « Individuellement et en équipe, il s’agit de prendre conscience et gérer des situations de stress, phénomènes de tunnellisation, défauts de communication, absence de partage et de hiérarchisation de tâches, absence de conscience de la situation ou encore précipitation », a expliqué le Dr Barbara Cadre, chirurgienne ORL à l’hôpital Necker, à l’origine de l’exercice dans le cadre de son master 2 portant sur les facteurs humains et organisationnels lors des endoscopies laryngotrachéales pédiatriques(1). Cette simulation, réalisée par trois binômes, a été filmée puis débriefée afin d’analyser la réaction de chacun. Le Dr Thierry Briac, chef du service, a d’abord fait remarquer que la vérification de la check-list n’avait pas nécessairement été correctement effectuée. « Dans le cadre de la simulation, personne n’a constaté que deux masques à oxygène étaient mentionnés dans la check-list et que vous n’en aviez qu’un seul dans le cockpit, ce qui démontre l’importance de l’influence des habitudes, a-t-il pointé du doigt. Il faut absolument y faire attention au bloc opératoire. » Puis de demander : « Avez-vous utilisé des principes de communication lors de la simulation que nous pourrions réutiliser au bloc ? De mon côté, j’ai noté que lorsque l’on donne un ordre clair, on attend une réponse claire, c’est le principe de la communication ultranormée. »

DE L’IMPORTANCE DES COMPÉTENCES NON TECHNIQUES

L’ensemble de ce travail permet d’insister sur l’importance des compétences non techniques (CNT), ces ressources transversales, sociales et personnelles qui améliorent et sécurisent la prise en charge des patients. Leur usage repose sur quatre axes avec, tout d’abord, la nécessité d’avoir conscience d’une situation pouvant être problématique et oser exprimer ses doutes, insister lorsque l’on n’obtient pas de réponse et verbaliser les actions réalisées afin d’éviter une prise de décision erronée. Deuxième axe : la prise de décision, justement, qui peut être confrontée à des biais cognitifs comme les habitudes ou l’obéissance à l’autorité empêchant toute remise en cause des mesures prises. « Il est donc nécessaire de savoir reconnaître les biais cognitifs pouvant nous affecter », a souligné le Dr Barbara Cadre. Troisième axe : la communication et le travail d’équipe, « ce qui implique de connaître la fonction et le prénom de chaque membre pour transmettre correctement l’information, fermer la boucle de communication, et faire répé ter en cas de doute », a-t-elle ajouté. Dernier point : le leadership, qui repose sur le partage d’un objectif commun « car naviguer à vue est nettement plus anxiogène que de suivre un plan de vol bien établi », a rappelé la chirurgienne, précisant qu’il faut également inciter les professionnels à exprimer leurs doutes et leurs idées. Forte de ce débriefing, l’équipe a pu dresser une liste de quelques actions à éventuellement mettre en place dans le service, comme convier systématiquement les Ibode, les Iade et les aides-soignantes au brief du matin « car une équipe au complet pour aborder l’ensemble des prises en charge de patients de la journée permettrait un fonctionnement optimal », a soutenu le médecin. Autre idée évoquée : organiser deux revues de mortalité et morbidité par an sur deux interventions qui se seraient mal déroulées, et rappeler les bonnes pratiques. « Enfin, nous devrions travailler à des scénarios pour dépasser nos habitudes », a conclu le Dr Briac.

RÉFÉRENCE

1. Master 2 de sciences chirurgicales, « recherche en facteurs humains et sociologie », de Paris-Saclay, encadré par la chaire Philosophie à l’Hôpital dirigée par le Pr Cynthia Fleury, et la chaire Bopa (Bloc opératoire augmenté) en partenariat avec l’Institut Mines-Télécom Business School (qui finance ce projet AviaSim) dirigé par le Pr Vibert et le Pr Dubey, sociologue.

TÉMOIGNAGE

“Parler le même langage dès le départ est primordial”

Zinna Mezi, infirmière anesthésiste (Iade) en ORL et chirurgie cervicofaciale pédiatrique, hôpital Necker-Enfants malades, à Paris.

« En tant qu’Iade, nous sommes habitués à effectuer de la simulation médicale. Lorsque le Dr Cadre m’a parlé de son projet de simulation pour travailler sur la communication entre les acteurs du bloc opératoire, j’ai souhaité y participer, notamment pour sortir de mon champ habituel de formation. Lors de la simulation, j’étais en binôme avec un chirurgien ORL. Bien sûr, nous ne savons pas comment faire décoller un avion mais l’important était de nous concentrer sur la communication. J’ai retrouvé les mêmes codes que dans un bloc opératoire. L’un des enseignements que j’en tire, c’est la nécessité de parler le même langage dès le départ, comme au bloc. D’où l’importance des mini-briefs et des débriefings. Nous le faisons naturellement avec l’anesthésiste le matin, mais il faudrait l’instaurer avec toute l’équipe du bloc, notamment avec le chirurgien. La communication est vraiment fondamentale. »