DIRECTION : L’EXPÉRIENCE PATIENT - Ma revue n° 018 du 01/03/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 018 du 01/03/2022

 

JE DIALOGUE

Lisette Gries  

Cette dynamique ancienne infirmière de bloc a gravi les échelons jusqu’à devenir directrice de l’expérience patient à la Clinique Saint-Jean de Bruxelles, un poste créé pour elle. Son regard sur le monde du soin bouscule les idées reçues et renvoie chacun à sa propre capacité d’action.

Vous avez commencé comme infirmière de bloc, et désormais, vous êtes directrice de l’expérience patient…

So Yung Straga : Après mes études d’infirmière, j’ai travaillé au bloc opératoire pendant un peu plus de huit ans. Puis, j’ai passé un master en santé publique car j’avais envie d’un apport intellectuel dans ma pratique. Ensuite, j’ai occupé un poste d’infirmière en chef du secteur opératoire dans un petit hôpital avant d’intégrer l’équipe des infirmières en chef des 24 salles du quartier opératoire du centre hospitalier régional de Liège, et de prendre en charge tout le secteur de la chirurgie. C’est à ce moment-là que je me suis intéressée à l’expérience patient. Tout au long de ce parcours je me sentais frustrée car je pouvais changer des choses à l’échelle de mon équipe ou de mon service, mais ensuite, j’étais bloquée.

Quelles évolutions avez-vous impulsées au sein de vos équipes ?

S. Y. S. : Il y a toujours eu deux axes. Le premier, c’est la perspective du patient (comment perçoit-il ce qu’on lui fait ?) ; le second, c’est la perspective des soignants. Même si l’on améliore la qualité et la sécurité des soins, le personnel infirmier travaille encore comme au siècle passé. La médecine évolue à un rythme phénoménal et les médecins se sont hyperspécialisés. Les infirmières aussi ont dû se spécialiser, mais en rapport avec la médecine : il n’y a pas eu de refonte de leur fonctionnement en lien avec leur métier. Elles sont tout le temps dans le « faire ». Je les encourage à réfléchir pour définir des priorités pour ne plus avoir l’impression de man­quer de temps. C’est aussi comme cela qu’on trouve des points de rencontre avec les attentes du patient.

Et c’est donc ainsi que vous avez commencé à vous pen­cher sur l’expérience patient…

S. Y. S. : Je me suis beaucoup renseignée sur le sujet : qu’est-ce que l’expérience patient ? En quoi c’est différent des patients partenaires ou des patients experts ? Cette réflexion s’est impo­sée à moi, mais je n’imaginais pas que je pourrais en faire mon métier car je ne pensais pas que ce thème allait pouvoir prendre de l’importance aussi rapidement.

Comment êtes-vous arrivée à votre poste actuel ?

S. Y. S. : D’abord grâce à mon réseau ! Quand on est infirmière, on ne pense pas toujours en termes de réseau professionnel, mais à l’occasion de mon master, j’ai compris qu’il était important de conserver des liens professionnels élargis pour avoir un regard sur ce qui se passe ailleurs, être au fait des avancées en santé et de ce qui va l’influencer, sortir de son microcosme… C’est une connaissance de mon réseau qui m’a informée que la Clinique Saint-Jean de Bruxelles était en train de changer de stratégie et souhaitait développer l’expérience patient. Cette personne, qui savait que je m’intéressais à ce thème, m’a alors proposé de rencontrer la directrice.

Vous occupez aujourd’hui un poste de directrice de l’expérience patient, ce qui reste peu commun…

S. Y. S. : J’avais envie de travailler dans cet établissement car je sentais que des choses seraient possibles, mais j’ai posé deux conditions dès le début. Il ne faut jamais hésiter à négocier ! D’abord, il fallait que ce soit facile d’accès en train pour moi, ce qui était le cas, mais surtout, j’ai dit d’emblée que je voulais un poste de directrice et non de manager. Un poste de manager ne m’aurait pas permis de travailler correctement sur l’expérience patient, d’avoir les coudées franches pour mener une action globale. La directrice de la clinique a donc négocié la création d’un poste de direction au sein du conseil d’administration avant de lancer le processus de recrutement. Et c’est comme cela qu’est né ce poste, le premier en Belgique !

Comment cette nouvelle direction est-elle organisée ?

S. Y. S. : Au départ, j’ai consacré cent jours à monter un plan, qui a ensuite été accepté par la directrice. Deux chefs de projet, mais aussi un certain nombre de services ont intégré cette nou­velle direction. Y sont rattachées des équipes en contact avec les patients, mais qui ne sont pas des soignants (néanmoins associés lors de projets qui les concernent) : l’accueil, les admissions, la morgue, les assistants sociaux, les secrétariats médicaux et le contact center téléphonique. Depuis six mois, l’équipe qualité nous a également rejoint. La question s’est posée pour les équipes d’entretien et de sécurité, mais pour l’heure, je n’ai pas eu le temps d’approfondir suffisamment ma connaissance de ces métiers pour les intégrer. Aujourd’hui, il y a 160 équiva­lents temps plein au sein de ma direction. Nous travaillons vraiment avec tous les usagers de l’hôpital.

Concrètement, en quoi consiste votre action ?

S. Y. S. : On travaille parfois directement sur les fonctions des équipes : comment accueille-t-on les patients ? Comment les admissions sont-elles menées ? Comment les reprogrammations d’interventions chirurgicales sont vécues par les patients ? Avec les chefs de projet, nous pouvons travailler de façon transversale avec tous les autres départements, y compris le mien. En fonction des besoins qui se font ressentir, ou des actions enga­gées par l’établissement, nous sélectionnons les patients qui seront consultés. En ce moment, par exemple, nous travaillons sur les nouveaux badges des agents. Nous allons interroger les usagers, directement dans les salles d’attente, sur les informations qu’ils ont besoin de trouver sur les badges.

En parallèle, vous avez cofondé l’association européenne Shared Patient Experience, dont vous êtes la présidente…

S. Y. S. : Tout à fait. C’est une association européenne qui ne s’adresse pas aux patients mais aux dirigeants des institutions hospitalières et aux professionnels de santé. Il y a des membres issus de différents pays européens, mais aussi quelques personnes qui se trouvent au Canada et en Amérique du Sud. Nous partageons toutes les initiatives qui permettent d’améliorer l’expérience patient. Par ailleurs, nous organisons un colloque annuel et décernons un prix qui permet aux équipes qui ne sont pas membres de faire connaître leurs actions. Et cette année, nous avons également lancé un programme de formation en ligne. Une initiative qui sera probablement reconduite tant la formation est primordiale.

Considérez-vous que l’expérience patient est un changement majeur dans le monde de la santé ?

S. Y. S. : Le public et ses attentes ont changé, et il faut le prendre en compte. Aujourd’hui encore, beaucoup trop de soignants ne s’assurent pas, par exemple, que les patients ont bien compris ce qu’ils leur ont expliqué. Il faudrait intégrer l’expérience patient dès l’enseignement, pour apprendre à refor­muler et à entendre ce que le malade a à dire. Le défi, c’est de savoir s’adapter aux besoins de chacun : les patients d’un hôpital ne sont pas ceux de l’hôpital d’à côté, donc il n’est pas possible de faire du copier-coller. Chaque soignant peut s’emparer de cette question, tant qu’il connaît bien son pouvoir d’action dans son périmètre. Les infirmières peuvent très bien faire un soin selon la procédure officielle tout en prenant en considération les attentes de chacun de leurs patients.

POURQUOI ELLE ?

Présidente de l’association Shared Patient Experience et première directrice de l’expérience patient de Belgique, So Yung Straga fait montre d’un leadership remarquable. Non sans heurt. « Je sais que j’ai pu faire des dégâts dans mes équipes en voulant aller vite et loin. Aujourd’hui, je m’efforce de prendre en compte le rythme de chacun et d’accepter que la majorité des projets n’aboutissent pas », confesse-t-elle. Optimiste et rafraîchissante, elle appelle les IDE à s’emparer des possibilités que leur offre leur métier et à aller de l’avant. https://spexperience.org/fr

BIO EXPRESS

1993 Diplôme d’État d’infirmière et premier poste en chirurgie cardiaque au centre hospitalier universitaire de Liège (Belgique).

2003 Après un master en santé publique, premier poste d’infirmière en chef à Saint-Vith, en Belgique germanophone.

2019 Devient la première directrice de l’expérience patient à la Clinique Saint-Jean de Bruxelles, et confonde l’association européenne Shared Patient Experience.