L’HYPNOSE EN CANCÉROLOGIE - Ma revue n° 015 du 01/12/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 015 du 01/12/2021

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Thierry Pennable*   Rémi Étienne**   Laurent Bujon***  


*Membre du comité scientifique et formateur au centre Ipnosia.
**infirmier et hypnopraticien à l’Institut de cancérologie de Lorraine, à Nancy (Meurthe-et-Moselle)
***Formateur au centre Ipnosia.
****infirmier libéral et hypnopraticien, à Ussel (Corrèze)

L’hypnose a fait sa place à l’hôpital comme dans les soins de ville. Inscrite dans les soins oncologiques de support, cette thérapeutique psychocorporelle aide les patients à mieux supporter les douleurs et certains effets indésirables liés au cancer et à ses traitements. Associée de manière informelle à la pratique infirmière, cette pratique contribue à l’efficience des soins et au confort du patient.

PRÉSENTATION

L’HYPNOSE MÉDICALE : DÉFINITION

Lorsque l’hypnose est utilisée par un soignant formé, on parle d’hypnose médicale ou thérapeutique réalisée par un hypnopraticien(1). Dans ce cas, l’hypnose est une thérapeutique qui permet à une personne d’entrer dans un état de conscience modifiée appelé « état hypnotique ».

L’état hypnotique

« C’est un état de conscience qui n’est pas un état de veille ordinaire ni un état de sommeil. C’est un état mental naturel dans lequel le patient est plus réceptif aux suggestions verbales du praticien », explique Rémi Étienne, infirmier et hypnopraticien à l’Institut de cancérologie de Lorraine de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Ainsi, si le thérapeute évoque la légèreté, « le patient ressent une légèreté plus marquée dans son corps qu’en état de conscience ordinaire ». L’état hypnotique est un état naturel. Au quotidien, il correspond au moment où une personne est tellement absorbée qu’elle ne prête plus attention à son environnement ni au temps qui s’écoule, lors d’une lecture ou d’un spectacle, par exemple.

Un état de conscience modifiée

Le terme « hypnose » vient du grec « hupnoein » qui signifie endormir. Il a été choisi par James Braid en raison des yeux fermés chez les personnes hypnotisées, qui semblaient dormir. L’imagerie médicale a depuis montré que l’hypnose correspond à un état neurologique associé à une activité cérébrale importante, bien distinct de la veille ou du sommeil, qualifié d’état de veille paradoxale ou de conscience modifiée. Malgré cela, l’hypnose reste encore souvent assimilée à une rupture totale de contact avec l’environnement alors que son objectif est de procurer un état particulier d’éveil, de détente et d’attention.

La suggestion

Principal outil de l’hypnose, la suggestion s’entend comme une technique psychique permettant à une personne d’influencer l’état affectif ou le comportement d’une autre personne par la parole, parfois par le toucher. Le soignant peut suggérer au patient de faire abstraction de son environnement, douloureux et/ou désagréable, et de porter son attention sur des idées, images et sensations qui ont un effet thérapeutique. Dans son usage médical, la suggestion doit être assez forte pour diminuer le retentissement des symptômes.

INDICATIONS EN ONCOLOGIE

L’hypnose médicale est intéressante à toutes les étapes de l’accompagnement du patient atteint de cancer, de l’annonce du diagnostic jusqu’à son rétablissement après les traitements. Elle est particulièrement utilisée dans :

→ les douleurs aiguës ou chroniques ;

→ l’anxiété, la phobie. L’hypnopraticien peut être sollicité en urgence en cas de crise de claustrophobie ou d’attaque de panique lors d’une IRM, ou en séance de radiothérapie lorsque le patient ne supporte pas le masque de contention ;

→ certains effets indésirables des traitements du cancer, par exemple les nausées d’anticipation qui relèvent plutôt d’une anxiété vis-à-vis de la chimiothérapie, ou les bouffées de chaleur induites par certaines hormonothérapies difficiles à soulager.

UTILISATION DANS LA DOULEUR

L’hypnoanalgésie

L’hypnoanalgésie fait partie des soins de support et vise à aider les patients à mieux supporter les douleurs aiguës et chroniques. « L’intérêt de l’hypnose a surtout été démontré dans les douleurs induites par les soins », rappelle Rémi Étienne.

Dans la douleur aiguë, liée à des actes invasifs ou à des poussées douloureuses de la maladie, « la technique est directive et contenante, avec un objectif de distraction, pour moduler rapidement le phénomène douloureux », explique l’infirmier.

Dans la douleur chronique, « le praticien travaille sur tout ce qui gravite autour de l’hypnose, comme les émotions pénibles, la représentation de la douleur ou une modification du comportement », poursuit l’hypnopraticien.

L’autohypnose. Le patient peut aussi apprendre l’autohypnose pour s’en servir lorsque la douleur ou une anxiété associée se manifeste. Pour une douleur chronique ou aiguë, ce peut être lors d’une biopsie, par exemple.

Effet synergique. « Il a été démontré qu’une large majorité des patients juge la crème Emla efficace lorsqu’elle est accompagnée d’un message positif, rappelle Laurent Bujon, infirmier libéral et hypnopraticien à Ussel (Corrèze), également formateur au centre Ipnosia spécialisé dans l’hypnose thérapeutique. Des phrases du type “C’est un bon produit que j’utilise souvent. Il va rapidement vous anesthésier” sont déjà de la suggestion. » Une étude menée dans un centre de grands brûlés a montré que l’hypnose diminue l’intensité de la douleur et l’anxiété, augmente l’efficacité des opioïdes et améliore la cicatrisation lorsqu’elle est utilisée en complément des traitements habituels(2).

Les objectifs thérapeutiques

« La prise en charge ne vise pas à soulager d’emblée et totalement une douleur chronique », estime Rémi Étienne qui préfère « construire les objectifs stratégiques avec le patient », comme une amélioration de 20 % d’un ressenti douloureux, avec des objectifs qui évoluent progressivement au fur et à mesure des séances. « Abaisser d’un point sur dix le ressenti de la douleur, c’est déjà une victoire », reconnaît l’infirmier hypnopraticien.

Quant aux patients qui ne tirent pas de bénéfice direct de l’hypnose sur l’évaluation de la douleur, « ils sont souvent moins anxieux avec un sommeil de meilleure qualité », constate le soignant.

EFFETS INDÉSIRABLES

Quelques effets indésirables rares et bénins ont été rapportés : asthénie, vertiges, anxiété, céphalées, sensation de malaise(3).

CONTRE-INDICATIONS

Les états psychotiques et les démences modérées à sévères sont des contre-indications relatives à l’hypnose(3), car « tout dépend du fond de compétences du praticien », précise Laurent Bujon. « Certains psychiatres obtiennent des résultats intéressants avec des patients psychotiques car ils interviennent dans leur domaine de compétences », dans la lignée du docteur Milton Hyland Erickson, psychiatre américain considéré comme le père de l’hypnothérapie moderne(4). « En tant qu’infirmier, je peux intervenir dans mon rôle propre et dans mon rôle prescrit. Si je suis sollicité pour des douleurs, le patient doit avoir au préalable consulté son médecin et avoir un avis médical sur ses symptômes », ajoute le praticien.

EN PRATIQUE

La proposition de traitement complémentaire par l’hypnose est faite par un soignant. L’accord et l’adhésion du patient sont indispensables.

La première consultation consiste en un entretien d’environ 30 minutes qui permet à l’hypnopraticien de connaître les symptômes et leur fréquence, lesquels sont exprimés par le patient. Le soignant explique ensuite en quoi l’hypnose peut aider le patient.

La première séance d’hypnose est une séance de découverte où certains points sont recherchés, en particulier :

→ le mode de vie et l’histoire du patient ;

→ les ressources du patient (centres d’intérêt, compétences, expertises…) ;

→ la description des symptômes et de leurs conséquences ;

→ les attentes et intentions du patient.

Au fil des séances, dans le cadre d’un symptôme chronique, la technique est affinée pour être personnalisée en lien avec l’histoire du patient. L’apprentissage de l’autohypnose permet au patient de gérer lui-même son symptôme.

Durée. L’hypnose fait partie des thérapies brèves et ne devrait généralement pas dépasser les dix séances, « avec une moyenne de trois à quatre chez un patient en cancérologie », explique Rémi Étienne.

RÉFÉRENCES

Notes

1. L’hypnothérapie est l’utilisation de l’hypnose dans un but psychothérapeutique par un hypnothérapeute.

2. Berger M. M., Davadant M., Marin C. et al., “Impact of a pain protocol including hypnosis in major burns”, Burns, 2010 Aug; 36(5):639-46. Sur : bit.ly/3bbvka9

3. Association francophone des soins oncologiques de support, « Hypnose thérapeutique et cancer », Référentiels en soins oncologiques de support, février 2018. Sur : bit.ly/3EdHHip

4. L’hypnose éricksonienne est l’une des branches les plus répandues de l’hypnose thérapeutique.

Autres sources

• Barbier E., Étienne R., Berlemont C. et al., Hypnose en soins infirmiers en 30 notions, 2e éd., éd. Dunod, 2020. Une approche théorique et pratique de l’hypnose et des fiches spécifiques à diverses spécialités médicales.

• Floccia M., Bidalon F. et al., Hypnose en pratiques gériatriques, éd. Dunod, 2020. La pratique de l’hypnose en cas de troubles cognitifs et/ou du comportement.

TÉMOIGNAGE

“L’hypnose redonne du sens à la relation soignant-soigné”

Laurent Bujon, infirmier libéral et hypnopraticien à Ussel (Corrèze), formateur au centre Ipnosia.

Utilisez-vous l’hypnose dans votre exercice libéral ?

Dans ma pratique, l’hypnose est indissociable du soin infirmier. Je l’utilise de façon informelle pour accompagner le patient vers un ressenti positif. Si l’hypnose est bien amenée, dans une démarche relationnelle, quel que soit l’âge du patient, qu’il s’agisse d’une prise de sang ou d’un pansement chez une personne anxieuse, ça ne se voit pas. Le recours à l’hypnose « formelle » représente 4 à 5 % de ma pratique. C’est un outil plus puissant que j’utilise principalement dans le cadre des soins palliatifs.

Le recours à l’hypnose n’est-il pas chronophage en libéral ?

Dans le cas d’une pratique formelle, je prends un peu plus de temps lors de ma première visite. Par la suite je prends un quart d’heure avec le patient et ça va beaucoup mieux. Je travaille toujours dans l’objectif d’une autohypnose pratiquée par le patient. C’est la conception de l’hypnose que j’enseigne. Face à une personne en grande souffrance, je peux proposer qu’on prenne 30 minutes ensemble pour l’aider à se sentir mieux. Ce temps n’a pas de cotation à la NGAP. Le recours à l’hypnose informelle, associée au soin, n’ajoute pas de temps à la durée de l’acte. Ça rend souvent le soin plus rapide et plus efficient.

Comment évaluez-vous le recours dans votre pratique ?

L’hypnose redonne du sens à la relation soignant-soigné. Elle comble une lacune de notre formation initiale. Après plus de dix ans de pratique, je constate que l’hypnose a un effet globalement positif sur les douleurs des patients atteints de cancer. Actuellement, un patient ayant des métastases osseuses douloureuses et mal soulagées tire un bénéfice évident des six séances d’hypnose réalisées sur deux ans. Les résultats dépendent de la capacité de la personne à fixer son attention sur autre chose que sa douleur et de l’implication du soignant.

Vigilance

RISQUES DE DÉRIVES

L’hypnose n’est pas une pratique réglementée. Pour éviter les risques de manipulation mentale ou de dérives financières ou sectaires :

- l’hypnose doit être utilisée en complément des traitements prescrits et non à leur place ;

- le patient doit adhérer et être consentant ;

- l’hypnopraticien doit intervenir dans son domaine de compétences, dans le respect du Code de déontologie professionnelle et des lois et règlements de sa profession.

Cas clinique

Traitement des nausées d’anticipation*

Madame T., 40 ans**, est suivie en service de soins de support pour un cancer digestif traité par chimiothérapie. Au fur et à mesure des hospitalisations, la patiente manifeste une anxiété de plus en plus importante qui se traduit par des nausées d’anticipation au moment de brancher son cathéter, mais aussi lorsqu’elle évoque la maladie ou le traitement avec son entourage. Les antinauséeux classiques étant peu efficaces sur ce type de nausées, leur prise en charge repose essentiellement sur des anxiolytiques associés à une psychothérapie adaptée.

L’oncologue adresse la patiente à l’hypnopraticien à qui elle signale que ses nausées sont de plus en plus difficiles à supporter, qu’elles apparaissent spontanément au décours d’une pensée ou d’une conversation, point de départ du processus anticipatoire.

L’hypnopraticien explique l’intérêt de l’hypnose à Me T. en corrigeant certaines croyances autour de la pratique, tout en préservant les attentes positives de la patiente.

La séance d’hypnose est centrée sur une image métaphorique autour d’une « tour de contrôle des sensations ». Dans cet espace, la patiente peut modifier certains ressentis. Les suggestions sont orientées vers le calme et la confiance en ses ressources inconscientes. Le praticien suggère alors à Me T. de se représenter un variateur gradué de 0 à 10 lui permettant de moduler l’intensité de sa gêne digestive. Il l’invite mentalement à diminuer ce variateur autant que possible en s’aidant du rythme de sa respiration avant de lui demander d’immobiliser le curseur devant le chiffre qui lui semble le plus acceptable. La séance se termine par une suggestion qui consiste à lui demander d’utiliser les mêmes images et la même respiration à l’apparition des nausées.

Deux semaines plus tard, Me T. rapporte que ses nausées ont disparu, qu’elle prend plaisir à s’alimenter et qu’elle utilise les images métaphoriques en autohypnose avant chaque chimiothérapie.

* Cas clinique proposé par Rémi Étienne

** Nom et âge modifiés.