EXERCER… CONTRE VENTS ET MARÉES - Ma revue n° 010 du 01/07/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 010 du 01/07/2021

 

JE DIALOGUE

Éléonore de Vaumas  

À 37 ans, après une carrière dans la finance, Édith Müller n’aspire qu’à une chose : devenir infirmière. Un diplôme qu’elle obtient en 2020, après trois années d’études exceptionnellement difficiles. Retour sur son parcours aussi atypique qu’inspirant.

De la finance à infirmière, il y a un monde… que vous avez franchi récemment. Y a-t-il eu un déclencheur qui a accéléré votre reconversion ?

Édith Müller : Ayant grandi dans une famille de soignants, j’ai toujours été passionnée par tout ce qui touche au médical. La logique aurait donc été que je fasse médecine après le bac, sauf qu’au moment de sauter le pas, j’ai paniqué, persuadée que je n’avais pas le niveau. Je me suis donc dirigée vers des études de droit que j’ai commencées à la faculté, pour terminer mon cursus en école de commerce, en Angleterre. Ensuite, tout s’est enchaîné : j’ai trouvé un emploi en salle des marchés à Londres, suivi d’un poste en marketing et événementiel dans une start-up et, à mon retour en France en 2009, j’ai travaillé dans un cabinet d’avocats d’affaires. Ça me plaisait. Je trouvais cela intéressant mais mon deuxième fils, né grand prématuré, a été hospitalisé pendant ses quatre premiers mois à cause d’une malformation de l’œsophage et des intestins. J’ai donc mis ma vie sur pause. Je passais toutes mes journées avec lui et j’observais les infirmières de réanimation dans leurs moindres faits et gestes. Je voulais tout savoir, tout décrypter. J’ai compris combien elles étaient utiles et surtout que j’étais faite pour ce métier plutôt que pour préparer des PowerPoint pour des associés qui n’en avaient rien à faire ! Sans le savoir, je venais de planter une petite graine dans ma tête qui a mis six ans à germer. Six ans pour me faire à l’idée qu’à 37 ans il n’était pas trop tard pour reprendre des études, me renseigner sur les possibilités et accepter de me donner une chance. D’autant que je ne voulais que l’Ifsi d’Ambroise-Paré et que je devais réussir le concours du premier coup, sinon cela signifiait que ce n’était pas ma voie. Je l’ai eu haut la main.

Avez-vous cherché à vous faire accompagner pendant cette période de réflexion ?

É. M. : Seul mon mari et quelques amies étaient au courant. Pour en avoir discuté avec une infirmière qui s’était elle-même reconvertie, je savais très bien que si je commençais à en parler, on allait me mettre des bâtons dans les roues. J’ai donc préféré me mettre dans ma bulle pour éviter d’être polluée par des réflexions du type “Mais tu es folle, c’est un métier super difficile, mal payé. Comment vas-tu faire avec tes enfants pendant les études ?”, etc. Des remarques que l’on m’a faites seulement après que j’ai obtenu le concours, ce qui n’a pas eu le même impact sur moi. Pour que ma reconversion ne perturbe pas trop l’équilibre familial, j’ai assumé toutes les restrictions. C’était ma décision, donc c’était à moi de gérer le frein budgétaire que ce changement de carrière occasionnait, même si, grâce à une rupture conventionnelle, j’ai pu toucher le chômage pendant les deux premières années de mes études. Reste que si mon conjoint n’avait pas assuré derrière, je n’aurais jamais pu me lancer dans ce métier. Si côté financier j’avais tout anticipé, en revanche, j’étais loin de m’imaginer combien ces années d’études seraient difficiles à vivre au quotidien. Pas forcément en termes de niveau, mais dans le fait d’avoir à réapprendre à apprendre et de me retrouver dans une posture de stagiaire, moi qui étais senior dans mon métier. Il faut vraiment le vouloir pour se reconvertir et reprendre des études à presque 40 ans ! J’ai aussi eu beaucoup de mal avec le rythme imposé par l’alternance. Un coup à l’école à prendre des notes toute la journée, un coup en stage, et chaque fois, il faut retrouver ses marques alors que les automatismes commencent à peine à se mettre en place. Toutefois, la palme de l’expérience la plus pénible a été remportée par mon dernier stage, que j’ai eu la bonne idée d’effectuer dans le service de réanimation adulte à Ambroise-Paré alors que le virus de la Covid commençait à faire des ravages en France.

Quels enseignements avez-vous tirés de cette première vraie expérience de terrain ?

É. M. : Quand l’épidémie de Covid est arrivée en mars 2020, le service de réanimation adulte s’est transformé en réanimation Covid. J’ai été réquisitionnée du jour au lendemain et j’y ai passé trois mois. Le contexte étant exceptionnel, mon statut était un peu hybride : à mi-chemin entre l’aide-soignante et l’infirmière. L’idée, c’était que pour éviter de véhiculer le virus de chambre en chambre en rentrant et en sortant plusieurs fois par jour, tous les binômes infirmière/stagiaire devaient s’arranger pour regrouper l’ensemble des soins. Résultat : je pouvais aussi bien m’occuper de la toilette et des soins de confort que préparer des seringues d’adrénaline ou réaliser les prélèvements sur les cathéters artériels. Si j’ai beaucoup appris en un temps record, j’ai aussi eu l’impression d’être la petite main corvéable à merci, pas chère et facile. Je comprends que les directions aient voulu préserver leurs personnels soignants, mais je trouve cela injuste qu’on nous ait laissés aussi souvent en première ligne. J’ai dû tout apprendre sur le tas, avec la détresse que cela peut engendrer. Personne ne m’avait préparée à vivre autant de situations traumatisantes, même si, sur le coup, j’étais en mode machine. Voir tous ces patients, âgés comme jeunes, se dégrader aussi rapidement sans pouvoir les aider, mais surtout tous ces morts… Pour autant, j’ai tenu bon, j’ai obtenu mon diplôme d’État et, deux mois plus tard, j’ai décroché la place de mes rêves dans l’équipe de suppléance de jour de l’hôpital Necker, un poste normalement réservé à des infirmières plus chevronnées.

Par contre, qu’on ne me demande pas de retourner un jour en réanimation Covid, je rendrais mon diplôme !

Bien qu’a priori très éloignée, considérez-vous que votre première vie professionnelle dans la finance est un atout dans votre métier actuel ?

É. M. : Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’ai pas l’impression d’avoir fait un virage à 180 degrés. Je le vois plus comme une corde supplémentaire à mon arc. Si j’avais dû faire le parcours inverse, à savoir du monde médical à celui du juridique ou de la finance, je pense que cela aurait été plus compliqué. Ça me donne un regard très différent sur l’hôpital par rapport à ceux qui baignent dedans depuis le début de leur carrière. Il y a tellement de petites choses qui pourraient être mises en place pour gagner du temps, être plus efficace et améliorer la rentabilité ! De façon générale, cette reconversion m’a donné de l’assurance, comme si, depuis que j’étais infirmière, je valais un peu plus. En un an, j’ai appris plein de trucs, sans doute plus que certaines qui sont restées dans le même service pendant six ou sept ans. Et puis j’ai de l’énergie à revendre, alors que la plupart des soignants sont usés et cherchent à faire autre chose. Sans compter que, contrairement à mon ancien métier, j’ai l’impression d’avoir un champ des possibles professionnels énorme, comme faire une carrière à l’hôpital en passant le concours de directeur, par exemple, exercer en libéral ou même retourner à mes premières amours dans la finance si, pour une raison ou pour une autre, il fallait que je le fasse. Mais honnêtement, j’aime trop mon nouveau métier pour envisager cette possibilité. Les jours où je ne travaille pas, je déconnecte complètement. Je peux m’occuper de mes enfants, j’ai du temps, et ça, c’est très nouveau pour moi. Avant, j’avais toujours un pied dans le travail, le soir comme le week-end. Désormais, quand je me lève le matin, je suis contente d’aller bosser, et ça c’est hyperagréable !

POURQUOI ELLE

Si quelqu’un l’avait prévenue que son baptême du feu aurait lieu en réanimation adulte en plein Covid, sans doute n’aurait-elle même pas reculé devant l’épreuve ! Pour avoir écouté sa vocation plus que sa raison, Édith Müller s’est lancé le pari fou d’endosser la blouse, quand d’autres aspirent à la raccrocher. Une reconversion courageuse, parfois traumatisante, qui l’a conduite à sa place : dans les rangs des soignants. Au-delà de son parcours atypique, qui mérite à lui seul que L’Infirmièr.e s’y attarde, la vision aiguisée de cette quadra au franc-parler fait mouche.

BIO EXPRESS

1997-2004 Études de droit à Paris puis école de commerce en Angleterre.

2004-2017 Carrière dans la finance entre Londres et Paris.

2011 Passe quatre mois en réanimation avec son fils malade.

2020 Diplôme d’État à l’Ifsi Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Exerce en suppléance de jour à l’hôpital Necker (AP-HP), à Paris.