LES COGITATIONS D’UN KINÉ INSPIRÉ - Ma revue n° 009 du 01/06/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 009 du 01/06/2021

 

JE RECHERCHE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Yoakim Furon, kinésithérapeute, s’est penché sur l’effet de l’entraînement des muscles inspiratoires à haute intensité en préopératoire sur la réponse inflammatoire périopératoire. Une démarche aux allures d’enquête.

C’est durant ses études en kinésithérapie que Yoakim Furon s’est familiarisé avec la littérature scientifique. Puis, un master 1 en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) a été l’occasion pour lui de s’y plonger de manière plus approfondie. Une habitude qui ne l’a plus quitté depuis : « J’ai travaillé en utilisant PubMed et ScienceDirect pour organiser ma pratique, explique le kinésithérapeute. Quand je m’interrogeais, je faisais de la recherche documentaire plutôt que de demander aux collègues. »

Lorsqu’il intègre le service de chirurgie cardiaque du CHU d’Angers, une question le taraude : comment prévenir les complications respiratoires postopératoires ? Car dans son service comme ailleurs, des exercices respiratoires sont pratiqués après une intervention. Mais la lecture scientifique lui apprend que cela n’a d’impact ni sur la morbidité ni sur la mortalité des patients. Une étude(1) montre même que l’arrêt des exercices n’a pas d’incidence sur la survenue de complications respiratoires.

SUR LA PISTE DE LA QUESTION DE RECHERCHE

Poursuivant ses recherches, le soignant découvre une étude néerlandaise(2) prouvant que l’entraînement des muscles respiratoires pendant au moins une semaine avant la chirurgie permet de réduire de moitié les risques de complications respiratoires et de diminuer la durée du séjour postopératoire. Le kinésithérapeute partage cette découverte avec le chef du service qui se montre intéressé. Mais avant de modifier les pratiques en cours, le médecin propose à Yoakim Furon de réaliser une étude dans le service pour tester l’efficacité d’exercices respiratoires préopératoires. « J’ai commencé à rédiger un projet de recherche, relate le chercheur. Mais au cours d’une de nos discussions, le chef de service m’a fait savoir que l’aspect musculaire n’était pas le seul élément à prendre en compte. La circulation extracorporelle mise en place lors d’une chirurgie cardiaque provoque une réponse inflammatoire majeure entraînant des complications cardiaques. Comme je suis un fervent croyant de l’activité physique, je me suis dit que le réentraînement des muscles respiratoires pouvait permettre de diminuer l’inflammation. » Ses recherches pour confirmer son intuition s’avèrent d’abord infructueuses. Des recherches(3) montrent qu’aucun lien ne peut être établi entre la force des muscles respiratoires et les complications postopératoires. Il faut alors changer de perspective : et si l’entraînement des muscles respiratoires (EMI) agissait aussi sur les capacités d’adaptation de l’organisme ? Le chercheur replonge dans la littérature. L’exercice physique intense provoque une réaction inflammatoire et, pratiqué avec régularité, celui-ci induit une adaptation de l’organisme au stress inflammatoire. Plusieurs études(4) démontrent qu’un exercice physique régulier a des effets bénéfiques sur l’inflammation systémique et apporte une meilleure réponse inflammatoire et immunitaire lors d’une intervention. Il a alors l’idée de s’intéresser à l’effet des exercices respiratoires à haute intensité, contre résistance. Ceux-ci provoquent une réponse inflammatoire. Ils pourraient avoir des effets comparables à ceux de l’exercice physique. Yoakim Furon tient l’hypothèse de sa recherche. L’entraînement des muscles inspiratoires peut-il diminuer le niveau inflammatoire des patients avant l’opération et limiter le niveau de la réponse inflammatoire au stress chirurgical, ou de la faire diminuer plus rapidement ?

EXPÉRIMENTATION EN ÉQUIPE

Le kinésithérapeute doit encore affiner sa démarche scientifique. Des échanges avec la méthodologiste de la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation (DRCI) lui permettent de structurer la rédaction de son protocole. Des rencontres avec les chercheurs du centre de ressources biologiques et du laboratoire d’immunologie et d’immunothérapie du Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes Angers l’aident à améliorer la méthodologie de sa recherche. En septembre 2016, il obtient un financement au titre de l’appel d’offres interne du CHU. Un an et demi plus tard, les premières inclusions peuvent débuter. Lorsqu’un patient a rendezvous en consultation pour une intervention programmée de la valve aortique, Yoakim Furon et l’infirmière de la DRCI (lire le témoignage page cicontre) viennent à sa rencontre. Souvent, le chirurgien ayant déjà évoqué l’étude au patient, celui-ci est prêt à y participer. Le chercheur lui explique donc le déroulement et formalise le consentement. L’infirmière réalise le premier prélè vement sanguin (lire le protocole de recherche ci-dessus), et le kinésithérapeute effectue une spirométrie et une séance d’entraînement des muscles inspiratoires. La personne repart ensuite chez elle avec l’appareil. Une fois par semaine, Yoakim contacte le participant pour savoir comment se déroulent les séances. La veille de l’opération, une prise de sang et une nouvelle mesure des capacités respiratoires sont effectuées. Yoakim Furon est souvent présent pour assurer le suivi des prélèvements. « L’avantage en tant que kiné, c’est qu’on peut gérer notre temps d’une manière assez souple, souligne le chercheur. On n’est pas posté dans un service. »

Le suivi du dernier patient inclus dans l’étude, nommée EMI HIPo(5), s’achève en juin 2019. Les échantillons biologiques, conservés au centre de recherche biologique, sont analysés. Les données recueillies passent ensuite entre les mains du statisticien de l’étude. « C’est important d’avoir deux regards en même temps pour pouvoir interpréter les données de la manière la plus pertinente possible », explique le soignant.

Si ses conclusions ne peuvent être délivrées pour le moment, l’étude laisse toutefois entendre que l’entraînement des muscles inspiratoires a un impact sur la réponse inflammatoire induite par l’intervention chirurgicale et un effet positif sur les complications respiratoires en postopératoire. Hasard du calendrier, depuis quelques mois des exercices inspiratoires sont réalisés en préopératoire dans le service de chirurgie cardiaque du CHU. Une mise en place qui a pu être plus rapide grâce à l’étude EMI HIPo. « Les chirurgiens se sont aperçus, à travers la lecture de la littérature scientifique, de l’intérêt de cet entraînement. Au niveau de la kinésithérapie, nous avions une proposition cohérente à faire. Au moment où le service a été prêt, cela a permis de changer les choses rapidement. »

EN QUÊTE DE PUBLICATION

Comme tout chercheur, Yoakim Furon souhaite publier les résultats de son étude. Une première soumission à une revue de rang A a été rejetée. « Il faut se faire retoquer plusieurs fois avant de frapper à la bonne porte, remarquetil, bon joueur. Il faut apprendre à s’y retrouver dans les revues en fonction de leurs centres d’intérêt et de la discipline. Mon étude est au croisement de la kinésithérapie, des sciences du sport et de l’exercice, de l’immunologie et de la chirurgie. Je reste sur la chirurgie, après on verra. S’ils ne veulent pas, j’essaierai peut-être des revues de kinésithérapie ou sciences du sport et de l’exercice. Pour le moment j’ai essuyé un refus, je ne vais pas planifier les cinq prochains. » Le chercheur ne désespère pas de décrocher une publication dans l’année. Toujours dans une revue de rang A, ce qui permettrait, comme il s’amuse à le souligner, de rapporter de l’argent à son établissement(6).

Il sera alors temps ensuite de poursuivre d’autres projets en lien avec cette première étude. Comme d’évaluer les effets aigus d’un EMI à haute intensité sur la réponse inflammatoire chez des sujets sains avant et après entraînement. Ou bien une étude multicentrique, en lien avec le monde libéral, sur l’impact de l’entraînement de patients en chirurgie cardiaque et abdominale sur les complications respiratoires et autres morbimortalités. Plus ambitieux, ce projet de recherche entrerait dans le cadre d’un PHRIP.

Depuis la rentrée, Yoakim Furon seconde le coordinateur de la recherche paramédicale du CHU. « Un des aspects importants de la recherche est de travailler avec beaucoup d’interlocuteurs différents, estime-t-il. On ne s’adresse pas à tout le monde de la même manière, ni avec les mêmes mots pour obtenir leur soutien. Il y a diverses manières de se faire entendre. Il faut aussi accepter que les autres n’ont pas forcément le même investissement que celui que l’on place dans son projet de recherche. » Une sagesse à partager avec des porteurs de projet moins aguerris.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Brasher P. A., McClelland K. H., Denehy L., Story I., “Does removal of deep breathing exercises from a physiotherapy program including preoperative education and early mobilisation after cardiac surgery alter patient outcomes?”, Australian Journal of Physiotherapy, 2003;49 (3):16573. En ligne sur : bit.ly/3xgCund

2. Hulzebos E., Helders P., Favié N., and al. “Preoperative intensive inspiratory muscle training to prevent postoperative pulmonary complications in highrisk patients undergoing CABG surgery: a randomized clinical trial”, Journal of the American Medical Association, 2006 Oct 18;296 (15):18517. En ligne sur : bit.ly/3ekvpcJ

3. Urell C., Emtner M., Hedenstrom H., Westerdahl E., “Respiratory muscle strength is not decreased in patients undergoing cardiac surgery”, Journal of Cardiothoracic Surgery, 2016 Mar 31;11:41. En ligne sur : bit.ly/3xgEwDR

4. Forti L. N., Van Roie E., Njemini R., and al., “Effects of resistance training at different loads on inflammatory markers in young adults”, European Journal of Applied Physiology, 2017 Mar;117 (3):511519. En ligne sur : bit.ly/3auxT7l

5. EMI HIPo : effet de l’entraînement des muscles inspiratoires (EMI) à haute intensité en préopératoire de chirurgie cardiaque sur la réponse inflammatoire périopératoire avec collection biologique assurée

6. Les revues scientifiques de rang A, c’est-à-dire les plus prestigieuses, apportent le plus de points Sigaps (Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques) déterminant le montant de la dotation budgétaire pour la recherche accordée à un établissement de santé

RÉFÉRENCES

Autres sources

• Araujo Barreto Bastos T., Valdinaldo Aragão de Melo V., Serra Silveira F., and al., “Influence of respiratory muscle strength in evolution of patients with heart failure after cardiac surgery”, Revista Brasileira de Cirurgia Cardiovascular, JulSep 2011;26 (3):35563. En ligne sur : bit.ly/3dIABYW

• Kasapis C., Thompson P. D., “The effects of physical activity on serum Creactive protein and inflammatory markers: a systematic review”, Journal of the American College of Cardiology, 2005 May 17;45 (10):15639. En ligne sur : bit.ly/3tLg6QL

SON PARCOURS EN SIX DATES

2007 Diplôme d’État de kinésithérapie et de rééducation à Saint-Maurice (Val-de-Marne).

2009 Master 1 Sciences et techniques des activités physiques et sportives, université Paris-Saclay (Essonne).

2015 Poste en chirurgie cardiaque et cardiologie, Centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers (Maine-et-Loire).

2016 Financement par appel d’offres interne du CHU d’Angers pour le projet de recherche EMI HIPo.

2018 Master 2 Recherche : physiopathologie et pharmacologie vasculaire, université d’Angers.

Depuis novembre 2020 Mi-temps pour la promotion de la recherche paramédicale, CHU d’Angers.

PROTOCOLE DE RECHERCHE

→ Essai clinique pilote, randomisé, en double aveugle, monocentrique pour une étude de l’impact de l’entraînement des muscles inspiratoires en chirurgie cardiaque.

→ L’hypothèse selon laquelle un entraînement à haute intensité diminue l’inflammation systémique préopératoire et améliore la réaction de l’organisme au stress d’ischémie-reperfusion provoqué par une chirurgie cardiaque est testée. On s’attend à ce que cet entraînement diminue le niveau des marqueurs inflammatoires en préopératoire et favorise une diminution précoce des marqueurs biologiques de l’inflammation après l’intervention, limitant ainsi la morbidité postopératoire.

→ 30 patients adultes programmés pour un remplacement de valve aortique sont inclus dans l’étude lors la consultation préopératoire. Ils sont divisés en deux groupes : un groupe recherche pratique un entraînement des muscles inspiratoires à haute intensité, et un groupe placebo réalise un entraînement de faible intensité.

→ L’entraînement, qui dure minimum trois semaines et ne dépasse pas six semaines, est pratiqué à domicile, à raison d’une séance le matin et le soir. Il s’agit de faire cinq séries de dix respirations dans un appareil d’EMI (Powerbreathe), à 80 % de la pression respiratoire maximale pour le groupe exercice. Du côté du groupe placebo, ces exercices sont réalisés à un niveau situé entre 30 et 40 % de la pression respiratoire maximale.

→ L’objectif est de mesurer l’effet de l’entraînement des muscles inspiratoires sur l’inflammation systémique préopératoire, et les effets sur la cinétique de l’inflammation post-chirurgie sur la masse mitochondriale diaphragmatique, la fonction respiratoire, la morbidité et la mortalité postopératoires, ainsi que les durées d’hospitalisation et de ventilation.

→ Les marqueurs mesurés sont les cytokines, et plus particulièrement l’interleukine 6 et le TNF alpha. Leur prélèvement est réalisé le jour de l’inclusion (V0), la veille de l’opération (V1), deux heures après l’arrêt de la circulation extracorporelle (après l’intervention) (V2), 24 heures après l’intervention (V3), puis 72 heures après (V4).

→ Durant l’opération, un échantillon de diaphragme est prélevé.

→ Mesure de la capacité respiratoire : une spirométrie est effectuée lors de l’inclusion (V0), la veille de l’intervention (V1), 72 heures après (V4) et sept jours après (V5).

TÉMOIGNAGE

“J’ai été son coup de pouce”

Sandra Ropers, infirmière à la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation du CHU d’Angers

« Yoakim est venu nous demander de l’aide. Il avait besoin d’une infirmière pour les bilans sanguins et le prélèvement durant l’opération s’il ne pouvait pas y assister. Il découvrait la recherche. Je l’ai orienté vers qui de droit au service informatique pour préconnecter les bilans sanguins. Puis, je lui ai montré comment déposer ces bilans au centre de recherche biologique. Pour le prélèvement au bloc, on a besoin d’azote. Comme je dispose d’une formation pour le manipuler, je sais où en trouver et où le ramener. J’ai été son coup de pouce pour l’aider dans son projet. Au début, il était question que je m’occupe de tous les bilans sanguins. Comme c’est une étude assez complexe sur trois services, c’est plus difficile à coordonner. Il avait donc besoin de quelqu’un de fixe pour l’inclusion et qui pouvait être présent dans les autres services si besoin. Du fait qu’il soit kiné, les infirmières auraient pu refuser de faire le prélèvement. Mais elles ont joué le jeu. C’était un beau travail d’équipe. C’est le deuxième projet paramédical auquel je participe. Dans ce cas, j’y mets encore plus de bonne volonté car j’ai le sentiment d’aider notre profession. Parfois, Yoakim m’appelait au dernier moment. Même si ça ne m’arrangeait pas, j’y allais. C’est comme ça quand il s’agit de nos métiers de cœur. »