La pratique de l’hypnose, comme une réponse au stress au travail en néphrologie et hémodialyse ? - Ma revue n° 008 du 01/05/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 008 du 01/05/2021

 

JE RECHERCHE

REVUE DE LA LITTÉRATURE

En 2015, en France, plus de 82 000 personnes(1) ont été traitées pour une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT). Celle-ci correspond à une clairance de la créatinine inférieure à 15 ml/min. Cette insuffisance rénale chronique terminale a une incidence de + 2 % par an, avec un taux de mortalité annuel de 10,6 %, ce qui correspond à 7 730 décès. À ce stade d’évolution de la pathologie, le choix thérapeutique proposé aux personnes malades consiste en deux orientations : la dialyse ou la greffe rénale.

La prise en charge de ces patients en hémodialyse met à l’épreuve à la fois le savoir-faire et le savoir-être du soignant, tant dans le domaine technique que relationnel. Le défi de maintenir l’adhésion aux soins de la personne soignée conduit le professionnel de santé à employer des techniques de communication, comme l’écoute active, la communication non violente ou encore la considération positive inconditionnelle, mais également à puiser durablement dans ses propres ressources psychiques.

En 2016, l’hypnose médicale a déjà fait son entrée dans les services de soins des établissements de santé. De nombreux articles et travaux de recherche ont étayé son efficacité dans la lutte contre l’anxiété et la douleur dans de nombreuses spécialités (chirurgie, cancérologie, etc.), tant chez l’adulte que chez l’enfant. Cependant, l’effet induit de l’hypnose sur les soignants qui la pratiquent à des fins professionnelles est moins bien décrit. D’où notre question de recherche : la pratique de l’hypnose influence-t-elle le stress du soignant « hypnothérapeute » exerçant auprès de patients insuffisants rénaux chroniques en néphrologie et en hémodialyse ?

Dans un premier temps, nous aborderons la méthodologie que nous avons suivie, qui a permis de fonder la recherche bibliographique. Puis, dans un deuxième temps, nous présenterons les résultats obtenus. Enfin, dans la discussion, nous nous attacherons à apporter des réponses et des perspectives à notre démarche.

MÉTHODOLOGIE

Équations et bases de données

En cohérence avec notre questionnement, nous avons initialement établi une équation à partir des mots-clés suivants : hypnose, stress, infirmier*, néphrologie, dialyse, lesquels ont ensuite été traduits en différents termes apparentés (ex : dépression, anxiété pour traduire le mot stress), autant en français qu’en anglais. L’étape suivante a consisté à vérifier que ces mots traduits existaient dans le thésaurus du catalogue HeTOP en termes MeSH (Medical Subject Headings) afin d’initier la recherche sur la base de données Medline (accessible depuis PubMed, spécialisé en biologie et en médecine, qui diffuse des articles de recherche publiés dans des revues dites indexées, c’est-à-dire enregistrées dans la plus grande base bibliographique Medline). Cependant, le rendu des équations de recherche sur les bases de données en lien avec la santé (ex : PubMed) et les sciences de l’homme (ex : Cairn) fut très pauvre.

Notre stratégie de recherche bibliographique (voir le tableau page ci-contre) a été réadaptée en une exploration pas à pas de la littérature scientifique. Dans le cadre de cette démarche, nous avons investigué selon trois angles complémentaires : le stress au travail chez les infirmières en néphrologie et en hémodialyse (équations 1 à 3), la pratique de l’hypnose en néphrologie et en hémodialyse (équations 4 et 5), et les bénéfices de la pratique de l’hypnose pour l’hypnopraticien. Concernant les deux premiers thèmes, nos ressources ont consisté principalement en PubMed, la base de données Psychology and Behavioral Sciences Collection (qui regroupe des publications en texte intégral traitant de thèmes comme la psychiatrie et la psychologie) et Babord+ (moteur de recherche documentaire des universités de Bordeaux et des établissements partenaires).

Pour le dernier thème, aucune des bases de données classiques n’ayant permis d’aboutir, nous nous sommes tourné vers la littérature grise (documents issus d’étudiants ou de rapports n’ayant fait l’objet d’aucune publication) et l’existence de travaux de thèse de doctorants. Sudoc (Système universitaire de documentation, catalogue collectif alimenté par l’ensemble des bibliothèques universitaires françaises et de nombreux établissements documentaires de recherche) et Dumas (portail d’archive de Dépôt universitaire de mémoires après soutenance) ont été les ressources de notre démarche (respectivement équation 6 et un motclé dans Dumas).

Critères d’inclusion

Sur le plan méthodologique, et pour chacun des thèmes, les critères d’inclusion avant lecture et analyse de l’article ont été respectivement la présence des mots-clés dans le titre, l’accessibilité en « free full text », le respect du thème dans le résumé et l’ancienneté de la publication (moins de dix ans si l’équation ramenait plus de trente articles sélectionnés au final). Ainsi, les publications discordantes avec ces critères n’ont pas été incluses dans la base documentaire.

RÉSULTATS

Les résultats obtenus ont été répertoriés dans un diagramme de flux élaboré à partir de l’outil Prisma 2009 de Moher(2), traduit par Gedda en 2015(3). 383 documents ont été identifiés par les catalogues classiques (PubMed principalement). Par ailleurs, six références supplémentaires ont été obtenues au travers de la littérature grise. La sélection (suppression des doublons, présence de textes intégraux accessibles, titres et/ou résumés concordant avec les mots-clés) nous a conduit à éliminer 368 références. Dans le détail, 207 documents ont été exclus car indisponibles en « free full text ». Les 181 données restantes ont fait l’objet d’une sélection sur titre et résumé : 159 d’entre elles traitant principalement du burn out et un article abordant les bénéfices de l’hypnose côté patient ont été écartés. Enfin 1 document en doublon a été supprimé. La sélection finale de notre base documentaire a réuni 21 études et leur lecture nous a conduit à les inclure dans notre synthèse qualitative. Celle-ci se compose au final de quatre études de cas, treize études diverses et quatre thèses.

Analyse

En synthèse, les soignants prenant en charge les patients IRC en néphrologie et en hémodialyse sont confrontés au stress au travail. Dans une revue systématique menée sur vingt articles, Böhmert(4) concluait sur un stress modéré touchant les professionnels de centres d’hémodialyse. Par ailleurs, dans une étude londonienne portant sur cinquante soignants exerçant dans deux secteurs de dialyse, leur âge et la durée de leur activité dans le secteur étaient associés péjorativement à l’épuisement professionnel, à la satisfaction au travail et à la détresse psychologique(5). En complément, il semblerait que les sources de stress soient différentes selon l’exercice en centre hospitalier ou en unité de dialyse externe (équivalent de l’autodialyse en France). En effet, dans une étude australienne de 2008, Domerdy et Bennett(6) ont comparé les sources de stress pour les professionnels travaillant dans ces deux environnements. Selon les auteurs, les infirmiers en centre semblaient plus stressés par le taux d’occupation, et ceux en unité de dialyse externe par les demandes et comportements des patients. Par ailleurs, le stress possède un caractère dommageable directement sur les professionnels, tant sur leur santé physique que psychique (7, 5, 8).

La population des patients IRC pris en charge en hémodialyse est reconnue comme ayant des sources de stress et d’anxiété multiples. Surman et Tolkoff-Rubin(9) ont réalisé une étude de cas de patients dialysés (trois femmes et deux hommes) en rapportant les diverses manifestations (algie, anxiété, frustration) et leurs conséquences (non-compliance, complications pharmacologiques). La mise en œuvre de séances d’hypnose a permis au mieux de réduire la symptomatologie, voire de permettre un nouvel accompagnement thérapeutique pour résoudre les problèmes de santé posés. Untas(10) a montré que, sur vingt-sept patients hémodialysés, l’anxiété diminue significativement après une séance d’hypnose (p inférieur à 0,01). Toutefois, le faible niveau de preuve des études proposées recommande d’être prudent quant aux effets de l’hypnose sur les malades en IRCT pris en charge en hémodialyse. Ces études suggèrent qu’il pourrait y avoir un bénéfice pour le malade, mais il reste à établir. Et qu’en est-il vis-à-vis de l’hypnopraticien ? L’ensemble des thèses retenues souligne le caractère innovant mais encore en cours de développement de la pratique de l’hypnose (groupe pratiquant – groupe non pratiquant). L’efficacité est reconnue tant dans la prise en charge de l’algie que de l’anxiété des patients. La relation entre la pratique de l’hypnose et différents facteurs, comme le stress, a été étudiée dans les documents retenus, selon diverses approches. Ainsi, Gout(11) montre, dans une étude comparative entre deux groupes de chirurgiens-dentistes, que le niveau de stress évalué dans le groupe formé à l’hypnose était plus bas que dans le groupe non formé (médiane 3 vs 5). De même, dans sa thèse, Terrat(12) rapporte que la pratique de l’hypnose a eu des effets bénéfiques sur huit des quarante-et-un médecins ayant participé à son enquête, avec une « sensation d’être moins stressés, plus apaisés, d’avoir plus confiance en eux ».

DISCUSSION

Le niveau de preuve des conclusions de cette revuede la littérature est modeste pour différentes raisons. Tout d’abord, d’un point de vue général, les études retenues ne sont ni randomisées ni multicentriques, parfois peu comparables avec des pratiques occidentales, voire issues de thèses non publiées. Il s’agit aussi beaucoup d’études de cas qui soulignent en particulier l’efficacité de l’hypnose dans des situations particulières de patients IRC. Ensuite, seuls les documents accessibles ont été analysés, sans requête préalable auprès des auteurs ou de la bibliothèque universitaire. Enfin, quelques études de la littérature grise suggèrent que la pratique de l’hypnose pourrait bénéficier à l’hypnothérapeute lui-même. Mais aucune de ces études n’a été menée en néphrologie-hémodialyse. Le développement de formations à cette pratique destinées aux soignants de néphrologie-hémodialyse pourrait aboutir de manière collatérale à renforcer la qualité de vie au travail en agissant sur le stress professionnel.

CONCLUSION

La revue de la littérature est la pierre angulaire de la démarche de recherche. Sous son couvert, plusieurs constats se proposent à nous. En premier lieu, cette démarche conduit l’auteur à se défaire de ses idées reçues, prototypes et représentations sociales dans un champ qui peut lui sembler a priori maîtrisé. Ensuite, la méthodologie optimise l’exploration globale et la rend transposable à d’autres chercheurs qui souhaiteraient en reprendre la trace.

Ce travail passionnant sera poursuivi autant que les circonstances le permettent, et cette méthodologie fait partie aujourd’hui de nos compétences pour explorer avec rigueur ce que la littérature scientifique peut nous apporter comme argumentation et ainsi donner du poids à nos choix et nos décisions.

RÉFÉRENCES

1. Gueguen J., Barry C., Hassler C., Falissard B., « Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose », rapport Inserm, juin 2015. En ligne sur : bit.ly/2P621y2

2. Moher D., Liberati A., Tetzlaff J. and al. “Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses : The PRISMA Statement”, Plos Medicine, 2009 Jul; 6 (7). En ligne sur : bit.ly/3vAy7CC

3. Gedda M., « Traduction française des lignes directrices Prisma pour l’écriture et la lecture des revues systématiques et des méta-analyses », Kinésithérapie, la revue, janv. 2015; 15 (157): 39.44. En ligne sur : bit.ly/3eXvh50

4. Böhmert M., Kuhnert S., Nienhaus A. and al., “Psychological stress and strain in dialysis staff : a systematic review”, Journal of Renal Care, 2011 Dec; 37 (4): 178-89. En ligne sur : bit.ly/3vGkCkN

5. Ross J., Jones J., Callaghan P. and al., “A survey of stress, job satisfaction and burnout among haemodialysis staff”, Journal of Renal Care, 2009 Sept; 35 (3): 127.33. En ligne sur : bit.ly/2QpTNBz

6. Dermody K., Bennett P. N., “Nurse stress in hospital and satellite haemodialysis units”, Journal of Renal Care, 2008 Mar; 34 (1): 28-32. En ligne sur : bit.ly/2OHeEji

7. Tajvar A., Ghanbarnejad A., Saraji G. N. and al., “Occupational stress and mental health among nurses in a medical intensive care unit of a general hospital in Bandar Abbas in 2013”, Electron Physician, 2015 Jul; 7 (3): 1108-1113. En ligne sur : bit.ly/3vCuOep

8. Kemper K., Bulla S., Krueger D. and al., “Nurses’experiences, expectations, and preferences for mind-body practices to reduce stress”, BMC Complementary Medicine and Therapies, 2011 Apr 11; 11:26. En ligne sur : bit.ly/3vKikBw

9. Surman OS, Tolkoff-Rubin N., “Use of hypnosis in patients receiving hemodialysis for end stage renal disease”, General Hospital Psychiatry, 1984 Jan; 6 (1): 31-5. En ligne sur : bit.ly/3lw0VHO

10. Untas A., Chauveau P., Dupré-Goudable C. ans al., “The effects of hypnosis on anxiety, depression, fatigue, and sleepiness in people undergoing hemodialysis : a clinical report”, International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 2013; 61 (4): 475-83. En ligne sur : bit.ly/3vK5yma

11. Gout J.-C., « Apport de l’hypnose dans la pratique quotidienne du chirurgien-dentiste », thèse pour le diplôme d’État de docteur en chirurgie dentaire, soutenue le 2 mai 2016, Université Toulouse III – Paul Sabatier. En ligne sur : bit.ly/3vEFdpH

12. Terrat J., « Pratique de l’hypnose en médecine générale : enquête descriptive auprès de 41 médecins généralistes en France », thèse pour le diplôme d’État de docteur en médecine, soutenue le 26 janvier 2016, Université Paris Descartes. En ligne sur : bit.ly/3vRWYlI

ARTICLE RÉALISÉ PAR :

JEAN-PHILIPPE JULIEN

Cadre de santé, secteur d’hémodialyse, service de néphrologie, transplantation, hémodialyse et aphérèse, CHU de Bordeaux

jean-philippe.julien@chu-bordeaux.fr

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux.

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

EMMANUELLE CARTRON

IDE, Ph. D., coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Nantes, membre de la CNCPR.

emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr

EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE