LES IDELS HÉSITENT ENCORE À LES PRESCRIRE - Ma revue n° 002 du 01/11/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

SUBSTITUTS NICOTINIQUES

J’EXERCE EN LIBÉRAL

ACTIVITÉ

Adrien Renaud  

Afin d’aider au sevrage tabagique, la loi Touraine de 2016 a étendu la liste des professions autorisées à prescrire des substituts nicotiniques, et y a inclus les IDE. Si nombre d’entre elles ont su saisir cette opportunité, les libérales, elles, sont largement restées à la marge.

Selon Santé publique France, 75 000 des décès qui surviennent chaque année dans le pays sont attribuables au tabac. On ne saurait manquer de bras pour lutter contre un tel fléau ; c’est ce qui a poussé les autorités sanitaires à élargir le club des professions habilitées à prescrire des substituts nicotiniques, en y faisant notamment entrer les infirmières diplômées d’État (IDE). L’idée, bien sûr, est de profiter des effectifs très importants que représentent les émules de Florence Nightingale pour faciliter l’accès au sevrage. Quatre ans plus tard, l’heure du bilan a sonné. Et celui-ci diffère en fonction du mode d’exercice des infirmières concernées.

Si, dans un premier temps, on considère l’ensemble de la profession, le tableau est loin d’être négatif. D’après le dernier rapport « Charges et produits » de l’Assurance maladie, 5 012 infirmières ont prescrit des substituts nicotiniques en 2019, soit presque cinq fois plus qu’en 2017, où elles n’étaient alors que 1 049 à l’avoir fait. « Les infirmiers deviennent ainsi la catégorie de professionnels la plus prescriptrice […] après les médecins généralistes, représentant désormais 5 % des prescripteurs », peut-on lire dans le rapport.

Il aurait été intéressant de savoir comment se répartissent ces prescripteurs infirmiers. Sont-ils salariés ou libéraux ? Travaillent-ils dans des centres spécialisés en addictologie ou abordent-ils la question du tabagisme au décours de soins dans d’autres domaines ? Contactée par L’Infirmière, l’Assurance maladie n’a pas été en mesure de fournir davantage de précisions. Mais tous les indices concordent pour laisser penser que, pour ce qui concerne les Idels, la situation est claire : elles sont, dans une large mesure, restées sur le bord du chemin de cette nouvelle prescription.

PAS DE RÉMUNÉRATION, PAS DE PRESCRIPTION

« C’est bien simple, on ne prescrit pas de substituts nicotiniques car il n’y a aucune rémunération », explique ainsi sans ambages Antoinette Tranchida, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil). En effet, la prescription d’un substitut nicotinique ne se résume pas simplement à la rédaction d’une ordonnance. « Il faut un échange, reprend la syndicaliste, et un échange, c’est une consultation qui n’existe pas dans la nomenclature. »

À ce défaut de rémunération s’ajoute probablement un défaut d’information. « Il y a beaucoup d’infirmières, notamment chez les libérales, qui ne savent même pas qu’elles peuvent prescrire des substituts nicotiniques, déplore Isabelle Hamm, présidente de l’Association francophone des infirmières en tabacologie et addictologie (AFIT&A). Nous avons un important travail à faire avec les associations professionnelles et l’ordre infirmier pour apporter cette connaissance. »

MIEUX VAUT ÊTRE INFORMÉE… ET FORMÉE

À la question de la connaissance s’ajoute celle de la formation. Car si, comme le reconnaît Isabelle Hamm, « vous ne pouvez pas faire mourir quelqu’un avec un substitut nicotinique », la prescription exige toutefois un minimum de connaissances, notamment pour pouvoir définir le dosage et déterminer le bon équilibre entre dispositifs transdermiques (patchs) et oraux (gommes), très souvent associés chez un même patient.

En soi, l’opération n’a rien de sorcier. « On pose principalement deux questions, celle de l’heure de la première cigarette, et celle du nombre de cigarettes par jour, ce qui en principe nous permet d’établir la substitution à apporter », détaille Isabelle Hamm. Mais en pratique, l’opération est un peu plus compliquée : il faut adapter au mieux la prescription au bien-être de la personne, et prendre en compte d’éventuelles complications, par exemple d’ordre psychiatrique…

Bref, on ne s’improvise pas prescriptreur, et les Idels l’ont bien compris. « Mon expérience personnelle montre que bien que la loi n’impose pas de formation, les infirmières la demandent, de façon à être le plus à l’aise possible dans la prescription », témoigne le Dr Anne-Laurence Le Faou, présidente de la Société francophone de tabacologie (SFT).

OCCASION MANQUÉE ?

Pour la tabacologue, les infirmières libérales pourraient pourtant jouer un rôle important dans l’arrêt du tabac. « Parmi les patients qu’elles voient à domicile, que ce soit en cancérologie ou encore pour des plaies, il y a des fumeurs », remarque-t-elle. La praticienne ajoute qu’en plus d’améliorer la qualité de vie, l’arrêt du tabac peut, pour ces patients, être déterminant dans l’efficacité de certains soins et traitements. « On sait par exemple que la radiothérapie est moins efficace chez un fumeur », souligne-t-elle.

Les Idels doivent-elles se résigner à manquer cette occasion de participer à l’amélioration de la santé de leurs patients, et attendre une éventuelle modification de la nomenclature pour s’engager dans la prescription de substituts nicotiniques ? Ce n’est pas l’avis de Dorothée Nguyen Van Suong, infirmière puéricultrice, tabacologue et addictologue, qui exerce en libéral dans le 15e arrondissement de Paris.

LA DSI EN TABACOLOGIE

« Je ne fais que de la consultation », annonce-t-elle d’emblée. Alors, comment arrive-t-elle à trouver un modèle économique pour la consultation, là où d’autres estiment qu’il n’y a pas de cotation possible pour une telle activité ? La réponse tient en trois lettres : DSI, pour Démarche de soins infirmiers. « En général, le patient vient pour un premier rendez-vous, qui n’est pas pris en charge, détaille l’Idel. On fait un bilan, et j’adresse une lettre au médecin traitant lui demandant de prescrire une DSI. » Cela permet d’enclencher un nombre de consultations en tabacologie pouvant aller jusqu’à six ou sept, voire plus.

Mais Dorothée Nguyen Van Suong reconnaît que cette manière de coter est « assez complexe ». Il n’y a d’ailleurs, d’après elle, qu’une dizaine d’Idels qui l’utilisent en France. Autre problème : la DSI est à terme appelée à disparaître au profit du Bilan de soins infirmiers (BSI), centré sur la notion de dépendance. Voilà qui inquiète l’infirmière pari sienne, mais qui ne l’arrête pas pour autant. « Je vais peut-être tenter de monter un dossier d’appel à projet auprès de l’ARS (Agence régionale de santé), et demander une expérimentation pour étendre le concept de dépendance à la notion de dépendance à une substance », envisage-t-elle.

Reste la question des ressources disponibles pour les infirmières libérales qui souhaiteraient se former sur le sujet. « On peut faire un DU en tabacologie, mais c’est un peu consommateur de temps », reconnaît Anne-Laurence Le Faou. C’est pourquoi la présidente de la Société francophone de tabacologie annonce qu’un Mooc (Massive open online course, ou cours en ligne) sur la prise en charge du tabac sera bientôt de nouveau disponible sur le site de la société savante (lire encadré ci-contre). Mais elle estime qu’il faudrait également concevoir des outils pratiques, comme des ordonnances prérédigées. « Les infirmières sont tout à fait en mesure de prendre en charge le sevrage tabagique si elles sont bien formées », estime-t-elle. Avis aux amatrices…

Pour arrêter, mieux vaut s’y mettre à plusieurs… professions

Entraide. Voilà le maître-mot d’opérations telles que « Moi (s) sans tabac », qui misent sur la coopération entre fumeurs pour stimuler et booster leur motivation à arrêter. Mais face au tabac, les professionnels de santé doivent eux aussi faire preuve d’esprit d’équipe. Tel est le sens du projet « Bref, j’arrête de fumer », mené depuis 2019 par AVECsanté, la fédération qui rassemble les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) françaises.

« Ce projet a pour but d’accompagner les patients des MSP dans le sevrage », détaille Camille Bonneaux, responsable du projet chez AVECsanté. Concrètement, celui-ci consiste en la mise en place d’un protocole d’intervention auprès des patients fumeurs habituellement suivis dans 31 MSP de cinq régions, et qui manifestent leur envie d’arrêter. Après un entretien, ceux-ci sont rappelés par un professionnel de la MSP tous les mois, puis tous les trois mois, et ce, pendant un an. « Après six mois de suivi, 20 % des participants avaient arrêté de fumer, et 18 % avaient fait une tentative », annonce Camille Bonneaux, ajoutant qu’à ce jour, 1 139 patients ont été inclus.

SUIVI PROFESSIONNEL

AVECsanté insiste sur le caractère pluriprofessionnel de ce projet : bien qu’un binôme soit désigné comme référent au sein de la MSP, c’est l’ensemble des professionnels de la structure qui est amené à participer à l’appel régulier des patients. Et les Idels semblent assez impliquées dans cette activité. Au bout de six mois, elles avaient réalisé 41 % des inclusions (presque autant que les médecins généralistes, qui en avaient réalisé, eux, 44 %) et 62 % des suivis (loin devant les généralistes : 22 %).

Reste à savoir si la motivation financière (les MSP participantes ont reçu chacune 1 800 euros) associée au projet aura été suffisante pour assurer sa pérennité, surtout après la crise que le système de santé vient de traverser. Une question à laquelle on devrait prochainement connaître la réponse : une évaluation est en cours, et Camille Bonneaux en promet les résultats pour 2021.

Où se former ?

Plusieurs types de formation sont accessibles aux infirmières qui souhaitent acquérir des compétences en matière de tabacologie. L’AFIT&A en recense quelques-unes, et notamment celles organisées par le Réseau de prévention des addictions (Respadd) ou l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur le Repérage précoce et l’intervention brève en tabacologie (RPIB tabac). Ces formations d’une journée sont constituées « d’apports méthodologiques pour s’approprier l’approche intervention brève motivationnelle et de mises en situation à travers des simulations en jeu de rôle », indique le Respadd. L’AFIT&A signale par ailleurs que la SFT organise un Mooc intitulé « Tabac : Arrêtez comme vous voulez ! ». Une session de ce Mooc a eu lieu en 2019, mais il devrait reprendre prochainement. Enfin, pour les professionnelles qui auraient davantage de temps à consacrer au sujet, la SFT propose une liste de diplômes interuniversitaires (DIU) « Tabacologie et aide au sevrage tabagique » sur son site. Il s’agit d’enseignements s’étalant généralement sur un an, composés de plusieurs dizaines d’heures d’enseignement théorique et d’un stage pratique. Pour les accros à l’addicto !

LE CARNET DE BORD DE MARIE-CLAUDE DAYDÉ, infirmière libérale

[Cotation]

Nous avons un patient douloureux à la réfection de pansements lourds. Les antalgiques par voie orale ne le soulagent pas suffisamment. Pour essayer de mieux soulager cette douleur induite par le soin, le médecin a prescrit une analgésie locale par pommade, à appliquer 1 h avant le soin.

Cet acte est-il cotable ou doit on s’appuyer sur la famille ? Cet acte est doté d’une cotation, pour les pansements lourds et complexes, depuis le 1er juillet 2020. Il s’agit d’un AMI1.1 qui comprend la dépose du pansement, l’application de la crème analgésique (sous pansement occlusif, en fonction du produit) et la mise en attente. Dans votre cas, l’acte étant réalisé de manière isolée, vous pouvez également coter la majoration acte unique (MAU) ainsi que les frais de déplacement. Lors de la réfection du pansement, lors de la deuxième intervention, donc, vous cotez le pansement lourd et complexe AMI4 + MCI + les frais de déplacement.

Lorsque l’acte d’analgésie topique est réalisé dans la même séance que le pansement, les actes sont cotables à taux plein mais sans la majoration acte unique.

[Vu]

À PROPOS DE SOINS PALLIATIFS

La crise sanitaire actuelle a mis en difficulté des équipes de soins non préparées à la prise en charge de la fin de vie. Des familles n’ayant pu accompagner leurs proches révèlent des problématiques de deuil. Dans la médiatisation qui submerge notre quotidien, s’occuper des personnes en fin de vie n’apparaît pas comme prioritaire. En témoigne la discrétion avec laquelle a été relayé le communiqué de presse du Ministre de la Santé du 12 octobre dernier annonçant les travaux préparatoires du prochain Plan de soins palliatifs. Il prévoit de mieux faire connaître les droits de la fin de vie et de diffuser la culture palliative. Le développement de la formation et de la recherche devraient permettre de conforter l’expertise en soins palliatifs et de diffuser les bonnes pratiques. Il envisage également de s’adapter aux besoins de proximité en renforçant les coordinations et les prises en charge graduées, de structurer des modalités d’intégration précoce des soins palliatifs et de l’accompagnement de la fin de vie. Une feuille de route n’est annoncée que pour la fin du 1er trimestre 2021 alors que le Plan précédent a cessé en 2019 !