« De la coordination à l’intégration » - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 385 du 01/09/2017

 

PARCOURS DE SOINS

COORDINATION

DÉCRYPTAGE

Sandra Mignot  

Léonie Hénaut participe à plusieurs projets sur la coordination des soins et services aux personnes âgées et handicapées, et sur la structuration de l’aide aux aidants familiaux. Et nous livre ses conclusions sur les modèles aujourd’hui à l’œuvre.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Avez-vous connaissance de modèles de coordination étrangers qui pourraient inspirer une amélioration de la coordination à la française ?

LÉONIE HÉNAUT : Les porteurs de projets nationaux se posent toujours cette question des adaptations. Le dispositif Maia(1) a été importé d’un programme canadien à la fin des années 2000. Celui du médecin traitant, lui, est inspiré du médecin généraliste anglais. Mais bien sûr, il y a eu beaucoup d’exceptions introduites. Au final, on se retrouve avec des dispositifs très différents. Ne serait-ce que parce qu’en France domine encore largement l’exercice médical en cabinet individuel et la rémunération à l’acte. Cela a commencé à évoluer avec les maisons de santé pluridisciplinaires et la forfaitisation de certaines activités. Mais, en Angleterre, l’installation en groupe (practices ou surgeries) est encouragée depuis l’après-guerre, avec des infirmières en leur sein. Les patients n’y ont pas de praticien attitré. Et les professionnels sont rémunérés en fonction du nombre de patients enregistrés dans leur cabinet. Ils ont finalement intérêt à les voir le moins possible. Cela façonne la prise en charge, la relation et incite à concevoir des plans personnalisés de soins, à se projeter sur l’année qui vient, plutôt qu’à attendre que le patient vienne lorsqu’il a un problème. Alors on peut s’inspirer, bien sûr, mais il faut toujours penser aux différences quand on essaye d’adapter.

L’I. M. : Existe-t-il une coordination idéale et quelle serait-elle ?

L. H. : Du fait de l’organisation des politiques publiques en France, chaque domaine a en effet développé son dispositif de coordination : cancer, santé mentale, handicap, personnes âgées… Souvent, l’entrée par la pathologie est liée à des financements spécifiques (plans cancers, alzheimer, maladies rares…), permettant de penser des parcours particuliers. Pour les personnes âgées, la Maia a évolué par exemple. Initialement destinée aux patients Alzheimer, la méthode s’ouvre aux plus de 75 ans, susceptibles d’être concernés par la gestion de cas. Donc même avec une entrée par un type d’affection, on peut ensuite décloisonner. Dans la littérature, on trouvera quantité de typologies. Des coordinations horizontales (entre acteurs de terrain), des coordinations verticales (qui associent acteurs, financeurs, décideurs etc.). La coordination idéale doit s’articuler sur plusieurs niveaux. Les dispositifs Paerpa(2) et Maia sont pensés de cette façon : mise en commun et réflexion stratégique au niveau des financements, tentatives de créer de nouvelles formes de gouvernance associant le sanitaire, le social et le médico-social, le public et l’associatif, adjonction de nouveaux outils ou de nouveaux professionnels… En tout cas, il y a peu de chances que la coordination se noue si elle ne concerne qu’un seul niveau.

Prenons le niveau clinique par exemple. Il y a des choses qui existent. L’adressage vers le spécialiste, l’IDE, le travailleur social, ce sont des pratiques réelles, mais au cas par cas et dans la limite du réseau de connaissances de chaque professionnel de santé. Il suffit qu’un généraliste parte en retraite et fini les séjours temporaires qu’il parvenait à négocier localement avec l’Ehpad… Ce qu’il faut, ce n’est pas inventer ex nihilo, mais « pousser l’existant », le formaliser et le rendre automatique et systématique. Ce qui sera possible, par exemple, si, quand ce médecin quitte son cabinet, son remplaçant dispose d’un outil qui lui permet de connaître les places disponibles rapidement, ce qui a été mis en place par exemple dans le cadre du Paerpa dans les Hautes-Pyrénées, via un portail Internet… Il faut aussi une réflexion de moyen ou long terme pour savoir comment utiliser au mieux les ressources correspondant aux besoins d’une population et s’accorder pour qu’elles soient utilisées en fonction de priorités et orientations communes.

L’I. M. : Des modèles de coordination sont installés à l’hôpital, d’autres dans des conseils départementaux ou des réseaux de santé. Cela a-t-il un impact sur leur fonctionnement ?

L. H. : L’ancrage du dispositif imprime sa marque, sanitaire ou sociale. Si cela vient de l’hôpital, ce sera à coup sûr une approche où le patient est défini par sa pathologie, un vocabulaire sanitaire et un processus qui va lui permettre d’accéder à des services (accueil de jour, action sociale, ateliers dans les Clic(3), groupes de parole, etc.). L’ancrage hospitalier est aussi souvent réfléchi seulement entre deux modes de prise en charge : par exemple le passage de la gériatrie à l’hôpital, de la gériatrie à l’accueil de jour, le retour au domicile, etc. Quand il y a des Maia dans des conseils départementaux, en revanche, l’ancrage est davantage social ou médico-social. C’est une façon de favoriser une approche populationnelle, par territoire, où l’on va davantage se préoccuper de comment la personne vit avec son affection, son isolement et les étayages que l’on peut lui apporter globalement. Actuellement plutôt que « coordination », on parle d’intégration, ce qui recouvre une ambition plus large. C’est l’idée qu’il faut gommer les spécificités liées à l’ancrage pour mieux répondre aux besoins des populations.

L’I. M. : Ces divergences expliquent-elles les difficultés qu’ont les deux secteurs à travailler ensemble ?

L. H. : Oui. Ce ne sont pas les mêmes approches. Il y a une hiérarchie des savoirs et des expertises. Les médecins ont tendance à penser que les travailleurs sociaux vont les décharger, comme s’ils ne possédaient pas une expertise propre. On observe une forme de délégation de tâches qui traduit la réalité des niveaux de diplômes. C’est classique en sociologie des professions. Ce qui est intéressant, c’est que dans certains dispositifs observés – notamment Paerpa –, le rôle des travailleurs sociaux est très important pour ouvrir les médecins à une forme de pluriprofessionnalité. Ils se mettent « à leur service » pendant un temps au moins. Ils vont gérer l’administratif, pré-remplir le plan personnalisé de santé (PPS), par exemple, et seront ensuite un bon levier pour faire que le plan soit mis en place de manière pluriprofessionnelle.

L’I. M. : Qu’est-ce qui facilite le fonctionnement de la coordination et évite tant les frictions entre catégories professionnelles que les flottements ?

L. H. : L’unité géographique du dispositif doit parler aux acteurs. Ici, la bonne dimension peut être celle d’un département, ailleurs ce sera celle d’un « pays » où déjà, les professionnels se connaissent, se parlent et ont des modes de fonctionnement proches. Après, il y a deux types de situations problématiques. Celui où personne ne veut assurer l’activité de coordination. Et les cas de redondance. En sociologie, on appelle cela les luttes de juridiction. Chacun considère qu’une situation est de son ressort. Mais les différents professionnels ont été socialisés et formés d’une certaine manière à repérer les problématiques de leurs patients/usagers. Cela se joue également entre spécialistes et généralistes, et entre différents spécialistes à l’hôpital. Après, la difficulté est de leur faire comprendre qu’ils ont avantage à travailler ensemble. Les travailleurs sociaux sont certainement les plus ouverts à la collaboration. Ils s’en remettent au médecin, sollicitent facilement d’autres compétences (professeur d’éducation physique adaptée, ergothérapeute, psychologue, etc). Les médecins, eux, entrent dans la pluriprofessionnalité par la délégation de tâches, ce qui est différent de l’adressage ou de l’ouverture à la délibération avec les autres professionnels. Puis, quand au bout de quelques expériences, ils voient l’intérêt du travail en coordination pour leurs patients, ils vont finalement se saisir du dispositif. Quelque chose s’est enclenché. Il faut parfois beaucoup de persévérance pour embarquer le médecin qui a des réticences à ouvrir le colloque singulier avec son patient. Les infirmières, les kinés sont aussi très partants. Certains deviennent coordinateurs de parcours. C’est une fonction très proche de leur pratique, les visites à domicile, les démarches téléphoniques. Certains souhaiteraient même être les initiateurs des PPS, parce qu’aller au domicile, découvrir l’environnement du patient, se rendre disponible, c’est déjà dans leur façon de travailler. Mais pour l’instant, le médecin a la main.

L’I. M. : Pourquoi l’hôpital n’intègre-t-il toujours pas largement ces dispositifs de coordination ?

L. H. : On observe quand même que les sorties d’hospitalisation sont de mieux en mieux organisées. Les hôpitaux ont des travailleurs sociaux pour cela. Ici aussi, ils sont des facilitateurs de la relation. Mais les rapports de sortie ne sont pas systématiquement faits. Les médecins traitants ne les reçoivent pas. Et nous avons noté les difficultés au sein de l’hôpital à repérer la fragilité alors que c’est une priorité des Paerpa. Bien sûr, la taille des établissements joue un rôle. Mais aussi le fait que c’est une organisation hiérarchique – avec un agenda déjà très chargé récemment en termes d’évolution des pratiques – où il faut convaincre tous les échelons (cadres, cadres de pôle, directions, etc.) avant de se lancer dans une expérimentation.

1- Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie.

2- Personnes âgées en risque de perte d’autonomie.

3- Centres locaux d’Information et de coordination.

LÉONIE HÉNAUT

CHERCHEUSE AU CNRS, RATTACHÉE AU CENTRE DE SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS À SCIENCES PO