L’esprit en alerte - L'Infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

RECOMMANDATIONS

DOSSIER

Face aux liens d’intérêts, apprendre à lire les recommandations avec un esprit critique semble indispensable pour les médecins et les infirmières.

Dans le domaine médical, les premières recommandations remontent aux années 1980. Et leur expansion a été émaillée de critiques. Dans son dernier livre - Santé, une explosion programmée, aux Éditions de l’Observatoire (2018) -, le président du Conseil de l’Ordre des médecins, le Dr Patrick Bouet, juge que « le système manque de souplesse » et préconise d’établir des référentiels professionnels sous forme « d’arbres décisionnels », qui « déterminent les conduites pratiques à tenir dans une situation, en tenant compte de l’environnement du patient ».

Souvent critiquées pour leur « caractère inadapté à la pratique » par les généralistes, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) le sont également par des représentants de médecins, en raison des liens d’intérêts de certains de leurs auteurs. Ainsi, le Formindep(1), une association de médecins créée en 2004 qui milite pour une « médecine fondée sur les meilleures preuves scientifiques et le seul intérêt du patient », avait obtenu, en 2001, l’abrogation d’une recommandation de la HAS sur le diabète de type 2 en raison du non-respect des règles de gestion des conflits d’intérêts des experts l’ayant écrite. « Il est démontré que lorsque les recommandations font intervenir des experts qui ne sont pas indépendants, elles ont plus de risques d’aller dans le sens de davantage de prescription », explique le Dr Armel Sevestre, médecin généraliste, membre du Formindep.

Attention à qui finance

La revue indépendante Prescrire a, pour sa part, passé au crible dix ans de production de la HAS. Verdict : sur 110 documents publiés entre 2007 et 2017, sept ont été jugés « intéressants », 21 « acceptables », 58 « inutiles » et 24 « mauvais ». « Quand vous lisez des recommandations de sociétés savantes, il est très important de regarder qui les finance », avertit le Dr Armel Sevestre. Un conseil qu’il assortit d’un exemple : l’expérimentation par l’Assurance maladie du programme Prado(2) de suivi en ville des plaies chroniques est présentée aux professionnels assortie d’un outil d’aide à la pratique, élaboré avec la SFFPC(3). « Cette société bénéficie de financements d’une dizaine de fabricants de pansements », prévient-il. Or, Prescrire a constaté que la plupart des essais randomisés de pansements chez des patients atteints d’ulcère veineux sont de faible niveau de preuve.

Et quand un guide de pratique clinique britannique et un guide écossais conseillent de privilégier des pansements simples faiblement adhérents, « les recommandations assorties au Prado incitent à l’utilisation de pansements onéreux, pas plus utiles d’après la science », commente le Dr Sevestre, qui invite à exercer son esprit critique. Signalons en outre une étude, analysée dans un article du Généraliste(4), qui passe au peigne fin une base électronique de recommandations de référence validées pour la médecine générale. Elle a montré que « moins de 20 % des recommandations […] reposent à la fois sur des critères cliniques de morbimortalité importants pour le patient et sur un haut niveau de preuve ».

L’importance du partage

Les recommandations sont-elles pour autant toutes à jeter ? Pour Christine Berlemont, responsable de la commission infirmière de la SFETD(5), elles doivent « s’alimenter à la fois de la pratique quotidienne clinique et de la recherche infirmière », afin de « pouvoir dire pour un soin ou une prise en charge ce qui est conseillé ». Il existe également un certain nombre de sujets, comme les douleurs neuropathiques ou l’algodystrophie, où la recommandation est pluriprofessionnelle mais avec un axe spécifique infirmier.

Le rôle de Christine Berlemont consiste notamment à faire le lien entre les groupes de travail et les infirmières douleur les plus pertinentes sur la thématique, et « qui ont beaucoup de pratique clinique ou ont participé à des recherches ». À la SFETD, « nous nous sommes lancés sur l’exercice de la recommandation à la commission infirmière, ce qui demande de la rigueur, des connaissances et de l’expertise, ajoute-t-elle. Ce n’est pas quelque chose qui s’improvise. » La recommandation doit ensuite être publiée dans des revues, être expliquée dans des conférences, partagée dans des newsletters et sur les réseaux sociaux. « La recommandation ne sert que si elle est lue et discutée, conclut Christine Berlemont. Elle aide les soignants à poser des points clés de ce qu’il faut faire ou de ce qui n’est pas indispensable. Elle peut servir aux équipes à parler. Dans tous les cas, c’est une base de réflexion. Et de cette façon, quelque part, on construit le soin de qualité de demain. »

1 - Pour une inFormation indépendante en santé.

2 - Programme d’accompagnement du retour à domicile.

3 - Société française et francophone des plaies et cicatrisations.

4 - Dr Santa Félibre, « Du bien-fondé des recommandations », Le Généraliste, mars 2018, n° 2828.

5 - Société française d’études et traitement de la douleur.

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