« Les patients sont des “GPS du soin” » - L'Infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020

 

INTERVIEW : CATHERINE TOURETTE-TURGIS FONDATRICE ET DIRECTRICE DE L’UNIVERSITÉ DES PATIENTS, UNIVERSITÉ DE LA SORBONNE (FACULTÉ DE MÉDECINE)

DOSSIER

L.G.  

Professeure à l’université de la Sorbonne, chercheure au Cnam, Catherine Tourette-Turgis a fondé en 2009 l’Université des patients. Elle insiste sur l’importance de former des patients partenaires, qui sont des leviers incontournables de l’amélioration des pratiques et des organisations de soin.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : À qui s’adresse l’université des patients ?

CATHERINE TOURETTE-TURGIS :

Cette université abritée à la Sorbonne s’adresse à des patients atteints de maladie chronique, qui veulent développer une expertise à partir des savoirs acquis par l’expérience de leur pathologie et ses traitements. Nous proposons trois DU, en ETP, en démocratie sanitaire et en cancérologie. Les enseignements sont assurés par des professeurs de renom et des patients experts. Le très haut niveau des enseignants concourt à la qualité des diplômes. Entre 10 et 15 % de nos étudiants poursuivent ensuite leur parcours diplômant ; certains vont même jusqu’au doctorat, notamment grâce à un partenariat avec le Cnam.

L’I.M. : Quels sont les débouchés possibles pour les étudiants ?

C.T.-T. : Ils peuvent devenir patients experts en association ou établissement, travailler avec des instances ou des centres de formation. Ils peuvent participer à la rédaction de recommandations de pratiques professionnelles, collecter des données auprès d’autres patients, assurer un accompagnement individuel pour les patients ou les proches… Ou encore co-animer des programmes d’ETP, dispenser des formations en Ifsi, en faculté de médecine ou en formation continue. Autre débouché du côté politique : ils ont un rôle de sensibilisation des experts en santé publique, des agents des ARS, des élus… Ces voies professionnelles peuvent d’ailleurs leur permettre de se réorienter, notamment quand ils ont perdu leur emploi en raison de leur maladie.

L’I.M. : Quand l’expertise des patients peut-elle être utile ?

C. T.-T. : Les professionnels du soin ont besoin de leur expertise pour mieux comprendre le vécu de la maladie : les effets indésirables des traitements, les symptômes au quotidien, les répercussions sur la vie courante, les états émotionnels du malade… La maladie impacte la vie sociale et les patients ont besoin de discuter de leur maladie avec les proches, les collègues… Les soignants peuvent d’autant mieux enseigner ces pratiques de communication que d’autres patients ont partagé leur expérience. Pour les instances de décision en santé, l’expertise des patients est utile pour répondre au mieux aux besoins spécifiques des différentes maladies. Il y a dans chaque maladie des douleurs souvent passées sous silence, sur lesquelles les patients ne sont pas interrogés. Si on les laisse s’exprimer, ils pourront nous éclairer sur tous ces besoins.

L’I.M. : pourquoi est-il nécessaire de passer par une formation ?

C. T.-T. : La formation permet de prendre du recul et d’analyser son expérience, souvent traumatique. C’est une bonne façon de reprendre en main son histoire, souvent bouleversée par la maladie. Notre objectif est de transformer la plainte en objectifs ou en propositions, et de faire évoluer le témoignage individuel en témoignage à visée pédagogique. Nous consacrons aussi un module à la psychologie des soignants, et nos patients sont formés à prendre soin des équipes professionnelles qu’ils côtoient… Les services ne veulent pas voir arriver des patients qui seraient dans la critique de tout. Il faut savoir trouver la bonne posture. Le diplôme garantit aux équipes d’accueil que le patient expert qui vient travailler avec eux est dans une démarche constructive.

L’I.M. : Finalement, ces patients sont amenés à représenter une forme de “voie du milieu” entre les professionnels et les malades…

C. T.-T. : Oui, ils ont un rôle de médiation. Leurs fonctions sont complémentaires de celles du personnel soignant… C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont bien accueillis par les équipes qui font de l’ETP : elles ont compris que les deux approches se complètent. Le patient partenaire connaît le choc de l’annonce de la maladie, la complexité des parcours de soin et de leur coordination. Il comprend les problèmes d’adhésion aux traitements. Il est spontanément en empathie avec les autres malades, et il peut les aider à mieux accepter certaines contraintes. Ils sont de véritables “GPS du soin”, qui aident les autres à naviguer dans tous les aspects de la prise en charge et de la vie avec la maladie.

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