Boussole des soins - L'Infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020

 

IPA EN PSYCHIATRIE

CARRIÈRE

PARCOURS

LAURE MARTIN  

Depuis un décret d’août 2019, la pratique avancée fait sa place en santé mentale. Les missions des IPA y sont variées, de la coordination des soins au renouvellement des prescriptions, le tout en lien avec les autres professionnels de santé.

Mon poste est transversal », souligne Marie-Astrid Meyer, faisant fonction d’IPA (infirmière de pratique avancée), qui travaille sur le site Sainte-Anne du GHU Paris psychiatrie et neurosciences au sein du pôle hospitalo-universitaire Paris XVe. C’est un décret du 12 août 2019 (venant modifier l’arrêté relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée paru au Journal officiel le 18 juillet 2018) qui a acté la pratique avancée en psychiatrie et santé mentale. Les missions de l’IPA dans ce domaine sont variées. « Elle effectue la première évaluation du patient sur orientation du psychiatre, elle analyse la sévérité des symptômes en recueillant les antécédents médicaux, les informations sur les traitements en cours, les effets secondaires, et propose ainsi un protocole d’organisation », indique Florence Vorspan, psychiatre et addictologue à l’hôpital Fernand-Widal (AP-HP), formatrice au sein du master de pratique avancée de l’université Paris-Diderot. Et de poursuivre : « Cette compétence permet de légaliser des pratiques qui ont déjà lieu dans certains centres médico-psychologiques (CMP) mais qui ne sont pas balisées. Elle vise aussi à fluidifier les prises en charge et permettre aux patients d’avoir plus rapidement accès aux soins spécialisés. »

C’est d’autant plus probant en libéral, notamment au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) en zones sous denses, « des territoires où les patients anxieux ou dépressifs, par exemple, ont des difficultés d’accès à la psychiatrie publique et libérale, ajoute le Dr Vorspan. Les délais de prise en charge pour les troubles de l’humeur sévères sont très longs. » Pallier les déserts médicaux est l’une des raisons ayant conduit à la mise en place de la pratique avancée, l’objectif étant de libérer le médecin de certains actes au profit de l’IPA, afin qu’il puisse se concentrer sur d’autres prises en charge.

AU CŒUR DE LA COORDINATION DES SOINS

Les missions de Marie-Astrid Meyer s’organisent principalement autour du parcours de soins du patient. « Les médecins font appel à moi pour des missions auprès de patients ayant un parcours complexe », explique-telle. L’IPA a alors accès au dossier médical et peut prendre contact avec le patient pour créer une alliance thérapeutique. « Je m’intéresse à lui, aux raisons de sa prise en charge, raconte-t-elle. Progressivement, je gagne sa confiance et je travaille avec lui sur différents objectifs à atteindre afin qu’il puisse identifier ses rechutes. »

Les médecins peuvent, par exemple, lui demander d’étayer la sortie d’hospitalisation d’un patient en assurant une prise en charge ponctuelle afin qu’il adhère aux soins et effectue son suivi avec son CMP. Elle peut également intervenir auprès de patients avec des problèmes somatiques. « Il peut arriver que les prises en charge assurées par les médecins psychiatres ne soient pas associées aux prises en charge des autres spécialistes, fait savoir Marie-Astrid Meyer. Je vais donc m’assurer que le patient bénéficie de ses soins, que les rendez-vous soient pris et qu’il s’y rende. »

Outre la possibilité de réaliser des séances de médiation thérapeutique ou de réhabilitation psychosociale, Marie-Astrid Meyer mène aussi des actions auprès des familles : en psychiatrie, les situations peuvent être complexes et les aidants ont une place importante dans le parcours de soins des patients, mais ils ne sont pas nécessairement bien informés, éduqués et accueillis. « Avec une psychologue, nous animons des séances en binôme auprès des familles, indique-t-elle. Nous les rencontrons à trois reprises, afin de leur expliquer l’hospitalisation de leur proche, obtenir leur ressenti, puis nous les orientons vers des associations de parents. » L’IPA assure d’ailleurs le lien entre tous les acteurs qui participent à la prise en charge du patient et de sa famille dans le cadre des parcours complexes.

Les IPA peuvent enfin intervenir en pédopsychiatrie. C’est le cas de Marion Fert, actuellement en stage IPA au CHU de Reims (51), où elle assure la liaison entre le service de pédopsychiatrie et les unités de maternité, d’urgences pédiatriques et de consultations directes. « Je fais de l’évaluation et du briefing sur des situations complexes, explique-t-elle. Par exemple, je peux être amenée à évaluer une dépression post-natale, les besoins de la maman et effectuer des préconisations de prescriptions. » Elle peut également assurer des consultations directes auprès de patients stabilisés, là aussi en évaluant les besoins, en assurant la prise en charge directe de l’enfant et de sa famille, en travaillant sur les forces et faiblesses de la communication intrafamiliale et sur les problèmes qui se dégagent dans le foyer face à la pathologie de l’enfant. « Je peux proposer une prise en charge à l’hôpital de jour, aider à remplir un dossier pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), assurer la coordination des soins entre l’hôpital, l’école, le médecin spécialiste en cas de comorbidités associées à la pathologie, énumère Marion Fert. La coordination des soins est très importante. »

UN RÔLE DANS LA PRESCRIPTION

Autre mission phare des IPA prévue par le décret : le renouvellement des prescriptions. Une mission que Marie-Astrid Meyer pourra accomplir lorsqu’elle sera diplômée IPA, à partir de juin 2020. L’infirmière de pratique avancée peut effectuer une analyse de la pertinence de la prescription, surveiller ses effets et sa tolérance, prescrire des examens biologiques de surveillance et adapter la posologie. Mais elle ne peut pas mettre en place un nouveau traitement « ni faire de primo-prescription, indique le Dr Vorspan. Et surtout, la liste des traitements auxquels elle a accès est précisée dans le décret. » Ce sont les antidépresseurs, anxiolytiques, hypnotiques, traitements symptomatiques des effets indésirables, régulateurs de l’humeur, antipsychotiques atypiques, neuroleptiques conventionnels, anti-épileptiques approuvés dans le traitement de troubles psychiatriques, ainsi que les deux traitements classés comme stupéfiants que sont les psychostimulants et les traitements de substitution aux opiacés.

Étant en stage IPA, Marion Fert travaille sous le contrôle du médecin. Elle a néanmoins été amenée à suivre une jeune maman ayant eu une grossesse compliquée avec un début de dépression à la naissance de son enfant. « Le psychiatre a mis en place le traitement et, désormais, j’effectue l’entretien avec la patiente et je gère le traitement en lien avec le médecin, rapporte-t-elle. C’est vraiment un plus de pouvoir le modifier si besoin, sans avoir à organiser un entretien médical. »

AUTONOMIE ET PLURIDISCIPLINARITÉ

L’autonomie des IPA est actée par l’arrêté qui prévoit notamment un travail en binôme avec le personnel médical. « Le médecin me fixe des objectifs vis-à-vis du patient mais je m’adapte à ce dernier pour les atteindre, fait savoir Marie-Astrid Meyer. À titre d’exemple, lorsque le psychiatre me demande de faire de l’éducation thérapeutique (ETP), sa temporalité peut différer de celle du patient. Je vais peut-être devoir commencer par un entretien motivationnel du patient et éventuellement de sa famille pour apprendre à chacun à gérer le quotidien avant de l’orienter vers des séances d’ETP. » Et de poursuivre : « Si je dispose de cette autonomie, c’est parce que j’exerce en collaboration avec mes cadres et les médecins, en toute transparence. » Outre les psychiatres et ses cadres, Marie-Astrid Meyer travaille également avec les ergothérapeutes, les psychologues, les assistantes sociales, donc « avec tous les professionnels qui gravitent autour du patient, indique-t-elle. Nous échangeons pour assurer sa prise en charge coordonnée. »

« L’IPA est le point central d’orientation des patients, insiste le Dr Vorspan. Elle peut effectuer des débriefings avec les autres professionnels de santé pour s’assurer que la prise en charge corresponde aux bonnes pratiques et orientations du service. » Elle peut mener des actions majeures de santé publique vis-à-vis des patients et des partenaires, avec un travail sur la formation et le dépistage. Pour acter ce travail collaboratif, une fois diplômée et en poste, l’IPA doit élaborer un protocole d’organisation qui en détermine les contours, définit les modalités d’échanges avec le médecin et les cadres dans le service, et les outils utilisés. Ce document, qui engage les signataires, est déterminant car il permet de bien définir les missions que remplira l’IPA au sein du service.

UNE FORMATION SPÉCIFIQUE

La formation en pratique avancée se déroule dans le cadre d’un diplôme d’État valant grade master avec des formations théoriques et des stages. La formation est accessible dès la fin des études en Ifsi, néanmoins, les infirmières doivent avoir trois années d’exercice professionnel pour pouvoir exercer en tant qu’IPA.

Marie-Astrid Meyer est diplômée depuis juillet 2016 d’un master de sciences cliniques infirmières en coordination des parcours complexes de soins de l’université d’Aix-Marseille, un master précurseur à la pratique avancée. « Lorsque j’étais en consultation, je me suis rendu compte qu’il me manquait des compétences pour la prise en charge des patients à risque d’entrer dans la psychose, témoigne-t-elle. J’ai alors voulu me former et j’ai suivi ce master. » Entre-temps, la réflexion sur la pratique avancée a évolué en France et, pour être reconnue comme IPA, elle effectue une validation des études supérieures (VES) au sein des universités Paris-Diderot et Descartes, et valide en un an son enseignement afin d’être reconnue infirmière de pratique avancée. « Mon master de sciences cliniques infirmières m’a permis de valider des unités d’enseignement (UE) et donc d’entrer directement en deuxième année, sans avoir à suivre l’ensemble des UE », explique-t-elle.

De son côté, Baptiste Gaudelus, infirmier en psychiatrie à l’hôpital du Vinatier à Lyon, a également suivi en 2016 le master de sciences cliniques infirmières en coordination des parcours complexes de soins à l’université d’Aix-Marseille et effectué une VES. « Il était important pour moi de suivre rapidement le cursus pour être reconnu IPA, témoigne-t-il. Tout d’abord parce que je pensais que le master que j’ai suivi en 2016 allait être valable pour être IPA mais le législateur en a voulu autrement… Je suis donc réellement dans l’attente. » Par ailleurs, une formation IPA mutualisant les facultés de Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon et Saint-Étienne, avec la spécialité santé mentale, va ouvrir cette année. « J’aimerais m’inscrire dans l’enseignement des futures promotions, explique Baptiste Gaudelus. Je dois donc moi-même être IPA. » Aujourd’hui, il est en deuxième année à l’université d’Aix-Marseille.

La spécialité psychiatrie/santé mentale s’organise autour de cours en présentiel quinze jours par mois, de septembre à décembre, puis de deux sessions de huit semaines de stage. « J’effectue mes deux sessions de stage à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), explique-t-il. Le choix de l’université a été de nous faire balayer les différents champs de la psychiatrie, j’exerce donc dans de nombreux services : autisme, trouble bipolaire, hospitalisation à domicile en psychiatrie. » En tant qu’infirmier diplômé et étudiant en pratique avancée, « mon positionnement en termes d’accueil dans les services est à construire à chaque stage », souligne-t-il. Il reçoit tout d’abord un encadrement infirmier, qui prend davantage la forme d’un partage entre collègues, afin d’échanger sur les spécificités de l’unité. « Parallèlement, nous sommes encadrés par les internes et les praticiens hospitaliers sur l’aspect médical, sur le volet évaluation clinique et apprentissage de la prescription, précise-t-il. Les médecins nous forment, nous testent et nous mettent en situation, car il s’agit de la seule occasion avant d’être en responsabilité sur cette question. »

Côté salaire, selon la grille indiciaire des IPA dans la fonction publique hospitalière publiée au Journal officiel, à l’échelon 1, le salaire net devrait être de 2 085 € bruts. La motivation est ailleurs…

COMPÉTENCES

Engagées dans la recherche

L’arrêté définissant les rôles des IPA dans chacun des quatre domaines d’intervention (pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes en soins primaires ; oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ; santé mentale et psychiatrie), précise également qu’un temps de leur travail doit être dédié à l’enseignement des étudiants (Ifsi, master, DEIPA (1), DU) et des autres infirmières, ainsi qu’à la recherche. « En tant qu’IPA, je vais désormais avoir une compétence dans le domaine de la recherche, indépendamment de la personne qui m’encadre, se félicite Baptiste Gaudelus, infirmier en psychiatrie à l’hôpital du Vinatier à Lyon. C’est l’une des dimensions qui m’a poussé vers le master et j’entends, à l’avenir, évaluer l’impact de l’implantation des IPA dans le système sanitaire français. » Marie-astrid Meyer fait partie de la fédération de la neurostimulation et travaille sur l’amélioration des prises en charge lors du soin par l’électroconvulsivothérapie (Ect). « En formant les IPA à l’université, l’objectif est de créer un corps d’infirmières capables de mener des projets de recherche sur la pratique des soins, rapporte le Dr Vorspan. Les IPA sont formées à concevoir des projets de recherche, à obtenir des financements et à conduire ces projets jusqu’à publication. À terme, elles pourront devenir enseignantes-chercheures en sciences infirmières. »

1- Diplôme d’État d’infirmier de pratique avancée.

ASSOS, SYNDICATS, SOCIÉTÉS SAVANTES…

Mobilisés pour la profession

Depuis l’officialisation de l’existence de la pratique avancée en France, plusieurs organismes ont été créés.

→ Tout d’abord, l’union nationale des infirmières en pratique avancée (Unipa), présidée par Tatiana Henriot, qui a vu le jour en février 2019, afin de représenter les étudiantes et les IPA salariées comme libérales. Son objectif : défendre les intérêts des IPA concernant leur rémunération, leur statut ou encore leur formation. En tant que syndicat, l’Unipa représente ses adhérents sur leur lieu de travail, accompagne l’implantation de la pratique avancée dans les lieux de soins, représente les intérêts des professionnelles auprès des structures où elles exercent ou encore, promeut l’autonomie de la profession. Ayant moins de deux ans d’ancienneté, la législation ne permet pas encore à l’Unipa d’être représentative de la profession dans le cadre des négociations conventionnelles.

→ Depuis novembre 2019, les IPA peuvent également devenir membres de l’association nationale française des infirmières en pratique avancée (Anfipa), présidée par Sophie Chrétien, IPA à l’hôpital Bichat (Paris). L’Anfipa représente les étudiants en pratique avancée et les infirmières diplômées. L’association s’est fixé pour objectifs de promouvoir et défendre la qualité des soins des IPA, participer au développement de la pratique avancée en France et à l’international, au développement et à la diffusion de l’enseignement ainsi que de la recherche en pratique avancée, ou encore de produire et diffuser les savoirs en pratique avancée.

→ Enfin, la société française de recherche des infirmières en pratique avancée (Sofripa) est une société savante indépendante. Fondée début 2020 et présidée par Sébastien Chapdaniel, elle a vocation à produire, évaluer et diffuser les savoirs scientifiques de la profession des IPA.