Que faire quand la famille d’un patient me demande d’assister aux obsèques ? - L'Infirmière Magazine n° 409 du 01/11/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 409 du 01/11/2019

 

RELATION DE SOIN

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

ALEXANDRE MANOUKIAN*   LISETTE GRIES**  


*psychologue clinicien en milieu hospitalier, auteur de « La relation soignant-soigné » (ÉD. Lamarre, 2008)

Plus fréquemment dans des services d’hospitalisation longue ou répétée (oncologie, gériatrie, néonatalogie, etc.) que dans des unités de court séjour, lorsqu’un patient décède, les soignants peuvent être conviés à assister aux obsèques. Mais, participer à une telle cérémonie, n’est-ce pas faire tomber les barrières de la distance professionnelle ? « Le soin est une relation, un contact humain, qui implique une certaine proximité, remarque Alexandre Manoukian. Dans une prise en charge qui dure plusieurs semaines, on entre dans le champ de la rencontre humaine avec le patient ou avec son entourage. » Autrement dit, les équipes sont déjà, de fait, entrées dans la sphère de l’intime. « Pour les familles comme pour les malades, les liens noués avec les soignants peuvent être très forts, et il faut respecter cette forme d’attachement, tant que ce dernier est cordial », ajoute le psychologue. Dans ce contexte, assister aux obsèques permet de poser, de façon rituelle, le dernier acte d’une prise en charge globale, qui a associé l’entourage et dans laquelle les soignants se sont impliqués. « C’est aussi une façon de montrer que le défunt a été soigné par des gens et non par des robots », précise Alexandre Manoukian. Puisqu’on est dans le champ de la relation humaine, pourtant, rien n’est systématique. « Nous n’avons pas les mêmes atomes crochus avec tous les patients ni toutes les familles », reconnaît Alexandre Manoukian. Ainsi, si les soignants ne souhaitent pas assister aux obsèques, il est toujours possible de se retrancher derrière son indisponibilité. « Il n’y a pas d’obligation, dans un sens ni dans l’autre. Mais quand la famille propose à l’équipe de venir à un enterrement, c’est qu’elle a déjà senti que les soignants seraient enclins à venir. »

Envoyer un courrier

→ Quand on ne peut pas assister aux obsèques, le service peut toutefois transmettre ses condoléances à la famille par un courrier. « Je pense qu’il faut le faire systématiquement, plaide Alexandre Manoukian. Mieux vaut personnaliser la lettre, même si elle peut reprendre certains éléments formels. Une vie humaine est une histoire, dont on a partagé la fin. En communiquant avec la famille, on rappelle qu’on n’a pas été là uniquement pour administrer des traitements. » Un mot de l’équipe compte beaucoup pour les proches, d’autant plus quand ils ont été impliqués dans les soins. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, cite Alexandre Manoukian. La science c’est la technique, la conscience c’est la morale, et même l’éthique, qui guide nos choix à cette étape de la prise en soins, lorsqu’il n’y a plus rien à faire. »

« On a le droit d’être affecté »

→ Certains soignants ont peur de montrer leur émotion lors des cérémonies d’obsèques. « Ce sont des moments intenses émotionnellement, et même si l’on peut avoir envie de se protéger en réprimant ses larmes, par exemple, ce n’est pas grave de se laisser envahir par un sentiment », rassure Alexandre Manoukian. La relation de soin repose sur une rencontre, a fortiori quand elle s’inscrit dans le temps, et le soignant a une perception intime de la situation de chaque patient. « Même si le travail d’un professionnel du soin est d’affronter la douleur en permanence, cela ne veut pas dire qu’il faille se cacher de cet affrontement, qui peut parfois remuer », ajoute-t-il.

→ En revanche, lors de la prise en charge, l’équipe est là pour assurer qu’on ne sombre pas si l’on est trop affecté par un cas. « Le soin peut se montrer vertigineux : on va parfois loin dans l’intimité physique, affective et psychologique des patients. Quand on se sent très impliqué, il est important de ne pas rester seul face à son ressenti, et éventuellement de passer le relais », conclut Alexandre Manoukian.

→ De même, lors des obsèques, on peut s’appuyer sur la présence d’au moins un collègue pour que ce dernier acte s’inscrive dans la continuité des soins.

LES BONNES PRATIQUES

→ On peut s’interroger sur son envie d’assister ou non àla cérémonie, dans la continuité des soins apportés au patient. Chaque situation étant singulière, il n’est pas possible de mettreau point un protocole précis à respecter.

→ Si l’on ne souhaite/peut pas assister aux obsèques, il est toujours possible d’adresser un courrier ou un mot à la famille pour que le lien avec l’hôpital s’achève sur une note humaine.

→ C’est en équipe qu’il faut déterminer s’il est opportun ou non d’assister aux obsèques. Les soignants s’y rendront au minimum à deux, afin de maintenir la notion du collectif de travail et de ne pas trop personnaliser cette participation hors service.

→ Il n’est pas anormal d’être touché par le décès d’un patient : la distance empathique des soignants leur garantit un certain détachement mais repose aussi sur leur sensibilité.