Jurisprudence : morceaux choisis - L'Infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

CARRIÈRE

GUIDE

GILLES DEVERS  

AVOCAT À LA COUR DE LYON

Voici un coup d’œil sur des décisions significatives rendues par les tribunaux ces derniers mois, dans la diversité juridique que crée la pratique des soins dans les établissements de santé.

Se pencher sur la jurisprudence, c’est connaître le droit tel qu’il se pratique, dans la réalité des situations vécues. Dans un procès, il s’affirme de part et d’autre des positions légitimes, mais il y a un conflit et le juge doit trancher. Démonstration à travers une sélection de décisions(1) concernant des établissements de santé.

Cause inexpliquée du décès

Si la cause du décès reste inexpliquée, un recours en responsabilité est voué à l’échec.

• Faits. Un patient, qui était alors âgé de 76 ans, a bénéficié, le 2 janvier 2007, d’une ablation d’une tumeur de la queue du pancréas au sein du service de chirurgie viscérale d’un centre hospitalier. Le 6 janvier suivant, à 0 h 15, l’infirmière de nuit a constaté son décès par embolie gazeuse consécutivement à l’injection sous pression d’oxygène par la tubulure de perfusion.

• Expertise et enquête. L’enquête judiciaire sur les causes de la mort n’a pas permis d’élucider les circonstances du décès et plusieurs causes sont possibles : faute professionnelle d’un membre du personnel, maladresse de la victime ou d’un tiers, suicide ou acte de malveillance.

• Analyse. La famille reproche à une infirmière d’avoir omis de retirer au bout de vingt minutes, ainsi qu’il était prescrit, un aérosol à oxygène sur le visage du patient la veille du décès, à 21 h, laissant ouverte l’arrivée d’oxygène qui l’alimentait. Toutefois, le maintien de cet aérosol au-delà de la durée prescrite n’a pu constituer qu’une simple gêne pour le patient et la circonstance qu’une arrivée d’oxygène soit demeurée ouverte ne présente pas, en elle-même, de lien direct et certain avec les causes du décès. De plus, cette arrivée d’oxygène était également utilisée pour les lunettes nasales, et son branchement était inadapté à la tubulure de perfusion. La famille reproche par ailleurs à l’équipe d’avoir négligé la surveillance médicale et non médicale. En réalité, l’état de santé du patient ne nécessitait aucun suivi particulier. Il disposait d’un « bip malade » pour prévenir le personnel en cas de besoin. Son décès est intervenu de nuit, avec un personnel soignant réduit, devant faire face à une charge de travail importante. Or, le décès survient rapidement en cas d’injection d’oxygène dans le circuit sanguin.

CAA de Bordeaux, 25 septembre 2018, n° 15BX03622.

Chute d’un patient et surveillance infirmière

En l’absence de nécessité d’une surveillance particulière, la chute d’un patient n’engage pas la responsabilité de l’infirmière.

• Faits. Une patiente, âgée de 74 ans, a été admise le 17 juin 2015 dans un centre hospitalier pour une décompensation respiratoire. Elle a fait une chute dans sa chambre le 22 juin 2015 à la suite de laquelle une fracture du col du fémur a été diagnostiquée, qui a nécessité une opération le 23 juin 2015 pour la pose d’une prothèse de la hanche. Son fils fait valoir que sa mère ne pouvait se lever, qu’elle a été laissée debout le temps d’aller chercher une lingette et qu’ainsi, il y a eu défaut de surveillance de celle-ci.

• Analyse. Le matin du 22 juin 2015, lors de sa toilette pour laquelle elle était assistée par une aide-soignante et une infirmière, la patiente, qui avait été assise sur la chaise percée des toilettes, a glissé sur les fesses et a chuté mécaniquement alors que l’IDE s’était écartée brièvement pour prendre le matériel nécessaire pour la nettoyer à la salle de bain. L’état de santé de la patiente ne nécessitait pas une surveillance particulière, notamment lorsqu’elle était aux toilettes et donc en position assise. Cette chute, purement accidentelle, ne révèle aucune faute de la part de l’IDE.

CAA de Douai, 20 novembre 2018, n° 17DA00293.

Acte suicidaire peu après une hospitalisation

Un acte suicidaire, intervenu peu après une hospitalisation mais sans signes évocateurs, n’engage pas la responsabilité de l’équipe médicale.

• Faits. Un homme né en 1981 a été victime, le 23 mai 2013, d’un malaise suivi d’un important état d’anxiété ayant nécessité une hospitalisation au service des urgences d’un centre hospitalier. Les examens réalisés à la suite de ce malaise n’ayant pas permis de détecter d’anomalie, le patient a été autorisé à regagner son domicile. Le 27 mai 2013, il a été admis dans le service des urgences d’un CHU pour un nouvel épisode d’angoisse avec impression de mort imminente. Le patient a été gardé en surveillance, en vue d’une réévaluation de son état psychique, dans le service des urgences pour la nuit avec un traitement anxiolytique. Le 28 mai, vers 6 h 45, il a tenté de se suicider en se défenestrant.

• Analyse. Le 23 mai 2013, le patient, qui ne présentait pas d’antécédents psychiatriques, a été examiné par les médecins du service des urgences du premier établissement, qui lui ont uniquement prescrit un traitement anxiolytique à sa sortie du service pour traiter sa crise d’angoisse. Selon les déclarations au service de police du psychiatre qui a examiné le patient dans la soirée du 27 mai 2013, celui-ci était anxieux et avait peur de mourir mais ne présentait pas de « désorientation tempospatiale, il n’exprimait pas d’idées tristes ou d’idées suicidaires ». Ce constat est également partagé par l’infirmière de garde, qui indique, dans un procès-verbal, qu’« à aucun moment, il n’a fait état d’un désir de mourir », et qu’il a été gardé sous surveillance pendant la nuit, placé dans un box du service des urgences et a été examiné à plusieurs reprises. Si, à 5 h, il a remis une lettre au personnel infirmier sur laquelle figurait la mention « Adieu mes amours », le verso de la lettre comportait aussi des projets de vie de telle sorte que cette lettre ne pouvait alerter le personnel soignant quant à une éventuelle aggravation de son état d’angoisse. À 6 h 20, l’infirmière de service qui s’est présentée au patient a pu constater une amélioration de son état psychique. Ainsi, le comportement de l’intéressé ne révélait ni un état d’énervement particulier ou une attitude agressive ni un état de détresse justifiant un traitement spécifique pour des troubles psychiatriques ou une orientation vers une structure d’accueil spécialisée. Aucune faute résultant d’une erreur dans le diagnostic et dans l’orientation du patient ne peut être retenue à la charge du centre hospitalier. En l’absence de prescription médicale de mesures particulières de surveillance ainsi qu’en l’absence de circonstances pouvant laisser prévoir son geste dans les moments qui l’ont précédé, le fait que le patient ait pu accéder à une fenêtre qu’il était possible d’ouvrir et qu’il n’ait pas fait l’objet d’une surveillance constante ne peut être regardé comme constitutif d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

CAA de Lyon, 8 novembre 2018, n° 16LY03125.

Licenciement pour faute d’une aide-soignante

Des fautes professionnelles méritent une sanction disciplinaire, mais elles doivent revêtir une gravité avérée pour justifier un licenciement.

• Faits. Une aide-soignante, agent dans un Ehpad, a été licenciée pour faute.

• Analyse. L’Ehpad fait grief à l’agent de ne pas avoir établi de fiche de transmission concernant la chute d’une résidente survenue le 13 janvier 2014 vers 20 h, à la fin de son service, et de ne pas avoir prévenu l’infirmière présente au moment des faits alors que cette chute a entraîné une luxation de l’épaule de l’intéressée, qui a dû être réduite au bloc opératoire, au sein de l’établissement. Mais, en tout état de cause, le protocole de prévention de chute qui lui est reproché de ne pas avoir appliqué n’était pas au nombre des protocoles validés au sein de l’établissement. Toutefois, en s’abstenant de remplir immédiatement une fiche de transmission, l’aide-soignante a fait obstacle à la continuité des soins et à la traçabilité de cette chute. Dès lors, ces faits caractérisent une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. De plus, l’Ehpad fonde sa décision sur le manque de respect dont l’aide-soignante aurait fait preuve à l’égard de sa hiérarchie à la suite de cet incident. Il lui est reproché, d’une part, d’avoir exprimé verbalement et avec violence son désaccord à l’infirmière référente puis d’avoir poursuivi cette dernière dans le couloir de service, d’autre part, d’avoir opposé à l’argumentation purement professionnelle du cadre de santé une attitude agressive et des propos aussi véhéments qu’insolents. Il ressort des rapports établis par l’infirmière référente puis par le cadre de santé que l’aide-soignante a effectivement eu un comportement inapproprié lors des entretiens qu’elle a eus avec cette IDE et ce cadre de santé et que ce comportement caractérise également une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. Toutefois, la sanction de licenciement apparaît disproportionnée à la gravité des fautes alors que l’établissement pouvait prononcer une sanction alternative, notamment une exclusion temporaire de fonction.

CAA de Bordeaux, 20 novembre 2018, n° 16BX01562.

Viol d’une patiente par son psychiatre

Le fait pour un médecin psychiatre d’imposer des relations sexuelles à sa patiente, par surprise puis sous emprise, constitue un viol.

• Faits. Un médecin psychiatre a imposé des rapports sexuels à une jeune femme, qui était sa patiente, notamment à l’issue de séances de yoga. À la surprise du premier rapport sexuel lors de la première séance, a succédé un état de contrainte morale sur la jeune fille, compte tenu de l’emprise psychologique sur sa personne, liée à sa position de psychiatre et à la thérapie et aux soins qu’il prétendait lui prodiguer.

• Analyse. La vulnérabilité de la jeune femme résulte de l’expertise d’un psychiatre, qui fait état de troubles de l’organisation de la personnalité et d’un ensemble de difficultés psychiques d’une certaine intensité au moment des faits. Cet état de vulnérabilité résulte également du parcours de vie de la victime, des déclarations de témoins, des constatations que l’accusé relate lui-même avoir effectuées et de la demande de soins de la victime. Le psychiatre ne pouvait donc pas ignorer cet état de vulnérabilité. Ainsi, la cour d’assises a retenu que le psychiatre avait imposé des rapports sexuels à cette jeune femme, se trouvant dans un état de vulnérabilité connu de l’auteur, lequel avait exercé sur elle une contrainte morale, dans le cadre d’une emprise psychologique liée à sa qualité de psychiatre et à la thérapie qu’il prétendait lui prodiguer, et la qualification de viol doit être retenue.

Cour de cassation, chambre criminelle, 17 octobre 2018, n° 17-83958.

1 - Extrait d’un article paru dans la revue Objectif Soins & management, n° 267, février/mars 2019, p. 15.

SAVOIR PLUS

→ Claude Rambaud, Georges Holleaux, La responsabilité juridique de l’infirmière, Éd. Lamarre, 2014.

→ Gilles Devers, Droit et pratique du soin infirmier, Éd. Lamarre, 2013.

→ Sous la coordination de Jean-Pol Depoix, Droits et place des personnes soignées à l’hôpital, Éd. Lamarre, 2019.

→ Marie-Claude Daydé, Alain Derniaux, Nathalie Fabvre, Sigolège Gautier, L’interdisciplinarité en pratique, Éd. Lamarre, 2018.