L’hématome : causes, types, traitements et complications - L'Infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

Alexia Lallemand  

IDE Cardiologie et pneumologie soins intensifs, CHU Montpellier

L’hématome peut concerner tout patient suivant un traitement anticoagulant mais les personnes âgées, qui cicatrisent moins bien, restent les plus exposées. Sa prise en charge doit être rapide, pour éviter la nécrose et les risques d’infections.

1. INTRODUCTION

Un hématome est une collection de sang dans un tissu, qui va s’organiser en un amas de caillots, faisant suite à un écoulement en dehors d’un vaisseau sanguin. On parle d’hématome sous-cutané quand cet amas de sang se situe sous le tissu sous-cutané ou hypoderme ; à différencier d’avec l’ecchymose, qui ne concerne que le derme.

Qui est concerné ?

Toute personne suivant un traitement anticoagulant (ou ayant une pathologie affectant la coagulation) peut être concernée. En effet, le risque hémorragique est une complication courante de ce type de médicaments. Malheureusement, aucune étude épidémiologique n’existe pour l’instant en France.

→ Cependant, les personnes âgées sont les plus concernées. En effet, la fréquence de ce type d’hématome va en augmentant chez les membres de cette population qui, du fait de leurs polypathologies (notamment cardiaques), suivent un traitement anticoagulant (antivitamines K, anti-agrégants plaquettaires, héparines). De plus, la peau des personnes âgées est particulièrement fragile en raison du vieillissement cutané naturel, qui peut être accentué par la prise de corticoïdes au long cours. L’atrophie cutanée liée au vieillissement de la peau et la fréquence de la dénutrition sont également des facteurs de risque de retard de cicatrisation.

→ La chute est l’une des principales causes de blessure chez la personne âgée. Selon le baromètre de santé des personnes de 55 à 85 ans(1), la majorité (56,5 %) des personnes ayant déclaré un accident au cours des douze derniers mois (7,8 % de la population entre 55 et 85 ans) a été victime d’une chute ayant nécessité une consultation médicale ou une hospitalisation. En outre, le risque de chute augmente avec l’âge.

Quelles sont les causes ?

Les membres supérieurs ou inférieurs peuvent être touchés. La prise d’anticoagulants ou la présence d’une coagulopathie vont avoir pour conséquence un saignement important, qui va se propager dans le tissu sous-cutané.

→ Les causes mécaniques : l’hématome est souvent la conséquence d’un traumatisme minime (choc contre un meuble par exemple) ou d’une chute. Plus rarement, il peut être associé à la diffusion d’un traitement intraveineux ou à une ponction artérielle dont la compression manuelle a été insuffisante, comme un gaz du sang, une coronarographie ou une ablation de cathéter artériel (voir photo ci-contre).

→ Une cause physiologique : la dermatoporose(2), terme apparu récemment dans la littérature médicale (2007). Par comparaison avec l’ostéoporose qui décrit la perte progressive de la densité osseuse du fait de l’avancée en âge, la dermatoporose peut être définie par un syndrome d’insuffisance cutanée chronique lié au vieillissement naturel de la peau.

Au fil du temps, l’acide hyaluronique, qui apporte ses propriétés structurantes et visco-élastiques à la peau (en se combinant avec les fibres de collagène), disparaît progressivement. Ce phénomène est accentué par l’exposition solaire répétée, le tabac ou la prise d’une corticothérapie au long cours, par exemple. La peau devient plus fine, s’assèche et perd son rôle de protection mécanique. Ainsi, chez les personnes âgées, la peau est particulièrement fragile et donc très vulnérable à la moindre déchirure.

Les premiers symptômes cliniques de la dermatoporose peuvent apparaître vers 60 ans mais ils sont plus souvent décrits chez les personnes âgées de 70 à 90 ans. On observe, en premier lieu, une atrophie cutanée (la peau est fine et ridée) puis apparaissent des plaques de purpura sénile sur les zones largement exposée au soleil au cours de la vie (microhémorragie intradermique), évoluant vers des tâches brunâtres (du fait des dépôts de fer laissés par la dégradation de l’hémoglobine). Les pseudo-cicatrices stellaires résultent, quant à elles, de petites lacérations cutanées spontanées très localisées et signalent l’extrême fragilité de la peau.

Cet aspect du vieillissement cutané n’est pas uniquement esthétique mais dénote bien des premiers signes cliniques d’un processus conduisant vers l’insuffisance d’un organe vital : la peau. L’évolution de la dermatoporose est décrite en quatre stades progressifs (voir photos ci-contre).

2. DE L’HÉMATOME À LA NÉCROSE(3)

La constitution de l’hématome, dont le volume peut potentiellement être important si traitement par anticoagulants, va créer une force d’étirement élevée sur le tissu cutané (le « toit » de l’hématome) devenu aminci et peu élastique par la dermatoporose. La forme débutante fermée correspond à une tuméfaction, un œdème avec une coloration de peau normale, parfois jugée à tort comme bénigne. Ce gonflement peut évoluer et changer de coloration : l’érythème ou le violacé d’une ecchymose vont alerter le soignant. La peau est tendue sous l’œdème et devient lisse et brillante. À ce stade, l’hématome peut être confondu avec un érésipèle. Le patient ne présente bien souvent pas de fièvre.

Ce tissu cutané fragilisé, étiré par le volume de l’hématome et privé d’une partie de sa vascularisation par celui-ci, ne pourra pas résister longtemps et finira par nécroser, ce qui laissera une large perte de substance. La nécrose peut également atteindre les tissus situés sous l’hématome (le « plancher ») par ischémie après la compression des structures vasculaires.

La création d’une voie de drainage par fistulisation de l’hématome ou la déchirure du tissu cutané – spontanée ou par l’intervention d’un soignant – est également possible : on parle alors d’hématome ouvert.

3. TRAITEMENT DE L’HÉMATOME(3)

Quid des anticoagulants ?

Le premier traitement de l’hématome consiste à surveiller l’équilibre des anticoagulants. En effet, le surdosage de ces derniers favorise, en cas de choc, un risque d’hématome de plus grand volume. Il doit donc être corrigé le plus rapidement possible. Si besoin, un antidote est disponible pour certains anticoagulants, le problème se posant pour les anticoagulants apparus récemment, pour lesquels il n’existe ni surveillance biologique ni antidote en cas d’accident hémorragique (voir tableau ci-contre).

La question de l’intérêt du maintien du traitement anticoagulant doit être posée selon les risques thrombo-emboliques encourus par le patient s’ils devaient être suspendus : quels seraient les bénéfices pour quels risques ?

Surveillance locale(4)

Dès les premières heures d’apparition de l’hématome, une surveillance infirmière rapprochée (toutes les trente minutes pendant les deux premières heures puis toutes les heures pendant quatre heures) et un avis médical sont indispensables.

→ L’hématome doit être délimité à l’aide d’un feutre afin de vérifier sa progression. Sa couleur doit être décrite ainsi que l’aspect de la peau. La surveillance des pouls et le test de la sensibilité en aval de l’hématome permettent la recherche des signes de compression.

→ En cas d’efffraction cutanée accompagnant l’hématome, un pansement bactériostatique de type alginate pourra être utilisé après un lavage soigneux au savon et à l’eau.

Évaluation de l’hématome et examens complémentaires

→ Un avis médical et/ou chirurgical est indispensable. En premier lieu, il est nécessaire de bien examiner l’hématome : aspect et volume, douleur au toucher, présence de nécrose, d’un orifice de drainage, de signes infectieux… mais également l’état général du patient (âge, état nutritionnel, pathologie aiguë ou chronique sous-jacente, etc.).

→ Un bilan par imagerie peut être indispensable afin d’évaluer les structures touchées, notamment si le volume de sang est important. L’échographie des parties molles sera préférée au scanner ou à l’IRM (voir photos p. 40) pour sa rapidité d’exécution.

→ Lorsque l’hématome touche les membres inférieurs, un doppler artériel devra également être réalisé à la recherche d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Cette pathologie fréquente chez les personnes âgées (notamment si elles sont diabétiques) entraîne des retards de cicatrisation importants.

→ Un bilan nutritionnel (indice de masse corporelle, dosage sanguin de l’albumine, CRP…) complètera les examens complémentaires afin de dépister, d’évaluer et de corriger si besoin une possible dénutrition.

Traitement selon la situation clinique

L’hématome fermé non nécrosé

La prise en charge de cette plaie doit être rapide. Une surveillance rapprochée est indispensable dans les premières heures de l’hématome (voir p. 41).

→ Il est important de soulager le « toit » et le « plancher » de l’hématome en drainant les caillots sanguins, soit par l’orifice de drainage qui se sera créé naturellement, soit en incisant sur quelques centimètres de longueur la peau du « toit » afin de faire un orifice de drainage.

→ Pour les formes débutantes, peu étendues ou peu profondes, une détersion au lit du patient permet une prise en soin rapide et peu invasive pour celui-ci. L’évacuation des caillots permet d’atteindre la phase de bourgeonnement en seulement un soin.

→ Pour les hématomes plus volumineux (avec ou sans nécrose) et si l’état général du patient permet une anesthésie générale, une évacuation des caillots de sang ainsi qu’une mise à plat chirurgicale de l’hématome peuvent être nécessaires. En effet, un tissu de granulation de qualité ne pourra être obtenu qu’à la condition que la détersion de la plaie soit optimale.

→ Après mise à plat chirurgicale et selon le volume de la perte de substance, une cicatrisation dirigée avec l’aide de la thérapie par pression négative (TPN)(6) peut être nécessaire avant d’envisager une couverture de la plaie par greffe de peau. En effet, l’utilisation de la TPN permet de combler la perte de substance et d’obtenir un tissu de granulation richement vascularisé afin de favoriser la prise de la greffe.

L’hématome disséquant

Le terme « disséquant » qualifie le phénomène de progression de cet amas sous pression, qui crée ainsi un espace entre le fascia musculaire et l’hypoderme ( 1 et 2). Il peut s’agir d’une évolution rapide en cas de surdosage en anticoagulants. Par son volume souvent important et sa localisation profonde, sa prise en charge est souvent chirurgicale.

L’hématome nécrosé

La nécrose de l’hématome ( 3) survient lorsque la peau du « toit » a subi des dommages ischémiques du fait de son expansion par le volume de l’hématome mais également de la diminution de sa vascularisation par compression des capillaires sanguins. Elle résulte souvent d’un retard de prise en charge par sous-estimation de la gravité. Mais, parfois, l’état général du patient ne permet pas la prise en charge chirurgicale, en raison, par exemple, d’une contre-indication à l’anesthésie générale ou d’une instabilité hémodynamique.

→ Il s’agira alors de limiter les risques infectieux en retirant les tissus dévitalisés le plus rapidement possible (détersion en une fois si possible), lieu de prolifération privilégié des agents infectieux.

À cette étape, une détersion mécanique de la nécrose au lit par l’IDE ou le médecin peut être envisagée, notamment si l’état général du patient ne permet pas un passage au bloc opératoire. L’excision de cette nécrose se fait généralement sans douleur car il s’agit de tissus dévitalisés.

→ Une fois cette nécrose retirée par une détersion mécanique optimale, le tissu sous-jacent pourra évoluer vers la phase de bourgeonnement.

Selon l’importance de la perte de substance, une greffe de peau mince peut alors être envisageable si ce tissu est de qualité suffisante à la prise de la greffe. Si la greffe n’est pas possible (infection de la plaie, mauvais état général du patient, pas de peau de qualité pour la prise de greffe) ou à la suite de l’échec d’une greffe, une cicatrisation dirigée en milieu humide avec un pansement adapté sera poursuivie.

4. COMPLICATIONS POTENTIELLES

Risques hémorragiques

Si le volume de l’hématome est important (notamment en cas d’un important surdosage d’anticoagulants), il peut exister un retentissement hémo-dynamique avec des signes cliniques tels que la tachycardie et l’hypotension artérielle.

Infection

→ Toute effraction cutanée peut être source de prolifération bactérienne. La nécrose est un lieu de vie et de développement privilégié pour les bactéries car celles-ci se retrouvent dans un milieu chaud et humide, isolé des agressions extérieures par le capot nécrotique.

→ Les signes locaux d’infections sont une rougeur et une inflammation des berges de la plaie, un écoulement purulent et/ou malodorant. Ils peuvent être accompagnés de signes généraux tels que l’hyperthermie ou un syndrome inflammatoire biologique (hyperleucocytose, augmentation de la CRP…).

Syndrome des loges

En cas de prise en charge tardive ou d’un volume important d’épanchement sanguin, il y a un risque de destruction du « plancher de l’hématome » par compression avec ischémie des muscles voire des nerfs : il s’agit du « syndrome des loges ».

→ Les signes cliniques d’atteinte nerveuse devant alerter les soignants sont principalement des engourdissements et des fourmillements en aval de la plaie.

→ Le traitement est principalement chirurgical avec de grandes excisions de nécroses laissant de grandes pertes de substances et une impotence fonctionnelle ( 4).

Retard de cicatrisation

Bien évidemment, si toutes les conditions favorables (bon état nutritionnel, vasculaire, diabète équilibré, absence d’anémie…) à une cicatrisation rapide ne sont pas réunies, un retard est à craindre. Ainsi, la plaie laissée par l’hématome va se chroniciser avec des soins sur le long terme (parfois plusieurs mois).

De plus, en cas d’hématome du membre inférieur avec la présence d’une AOMI non revascularisable par un geste de pontage chirurgical ou par un geste endovasculaire, la cicatrisation peut être compromise avec l’absence de formation du tissu de bourgeonnement et persistance de la nécrose. Il s’agira alors de limiter les risques infectieux et dans certains cas, une amputation pourra être envisagée.

En conclusion, la méconnaissance de ce type de plaie est malheureusement répandue chez les soignants du fait du manque de publications et d’études épidémiologiques, avec pour résultat un retard de diagnostic et donc, de soins. Il devient urgent d’élaborer un guide de formation et d’information à destination des soignants pour la prise en charge de ces hématomes.

1- « Les comportements de santé des 55 85 ans », Analyses du Baromètre santé 2010, INPES. bit.ly/2zkWskO

2- « Dermatoporose : un syndrome émergent », Dr Gürkan Kaya, PD. Revue médicale suisse, 30 avril 2008. Consultable sur : bit.ly/2Baukna

3- « Hématome disséquant, une pathologie fréquente méconnue », F.Fennira, H.Colboc, S.Meaume. Revue francophone de cicatrisation, juillet-septembre 2017, pp.59 à 63.« Plaies traumatiques » : points clés et bonnes pratiques. Consultable sur : bit.ly/2oXx2qb « Les chutes, les chocs et les hématomes chez les personnes âgées », Tarteaux et all, Journal des plaies et cicatrisations, n° 75, septembre 2010, pp. 30-32. Dossier « Les autogreffes cutanées », Revue francophone de cicatrisation, n° 1, volume 1, janvier 2007.

4- Lire p. 50.

5- Photos extraites de l’article « Dermatoporose : un syndrome émergent » (voir note 2).

6- Lire « Quand recourir à la TPN », L’Infirmière magazine n° 378, janvier 2017.

Stades d’évolution de la dermatoporose

Détersion d’un hématome fermé superficiel