« On ne soigne pas une plaie mais une personne » - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

ÉTHIQUE

RÉFLEXION

RELATION DE SOIN

HÉLÈNE COLAU  

Détersion, pansement, puis surveillance de la cicatrisation… Derrière ces gestes techniques, il y a avant tout un être humain. Évelyne Ribal, Idel, et Rose Sonzogni, cadre infirmière, nous livrent leur questionnement éthique.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelles sont les questions éthiques relatives au traitement des plaies en soins palliatifs ?

ÉVELYNE RIBAL : La première, c’est jusqu’où aller dans le soin de la plaie ? La détersion des escarres, par exemple, peut parfois être considérée comme une atteinte à l’intégrité inutile en phase de soins palliatifs. Il est donc important de s’accorder en équipe sur l’objectif du soin, qui ne sera peut-être pas la cicatrisation, mais la propreté et le confort du patient.

La deuxième est comment lutter contre la douleur ? Le protoxyde d’azote, par exemple, ne peut pas être utilisé au domicile ni en Ehpad. De même, la sédation ne peut être envisagée partout. La question éthique qui se pose alors concerne le lieu : peut-on maintenir ce patient à domicile ? Une prise en charge algique adaptée passe parfois par une hospitalisation.

Enfin, l’éthique est centrale dans le cas d’un patient refusant une amputation nécessaire. Quand la personne est très âgée, faut-il se battre pour qu’elle accepte ?

ROSE SONZOGNI : Le premier principe éthique, c’est qu’on ne soigne pas une plaie, mais une personne qui porte une plaie. Dans le cas d’une personne en toute fin de vie présentant une escarre, une compétence en soins palliatifs peut faire préférer de simples soins de confort à la détersion, un choix peu orthodoxe mais adapté à la situation. Il peut aussi être question d’éthique dans le cas d’une plaie qui défigure un patient, comme une plaie ORL. La question qu’on se pose alors est comment contribuer à la dignité de la personne ? Cela peut passer par la qualité esthétique d’un pansement, discrètement placé dans le cou. Autre problème : les odeurs liées aux plaies, qui sont associées à de la malpropreté et qui peuvent devenir un motif d’isolement. L’éthique impose de rendre l’odeur vivable pour l’entourage.

L’I.M. : Comment répondre au mieux à ces questions ?

É.R. : Le mieux est de se mettre autour d’une table avec l’équipe médicale, chirurgicale, les anesthésistes, quand c’est possible. Ce ne sont pas les infirmières, bien sûr, qui prennent la décision de pratiquer ou non un geste tel qu’une amputation, un arrêt de soin… Elle appartient aux médecins et au patient. Et de toute façon, éthiquement, rien ne se passe sans l’accord du patient ou de la personne de confiance. Mais il est important d’en parler de façon pluriprofessionnelle. Des groupes de partage, des évaluations des pratiques professionnelles, des formations spécifiques peuvent aider les soignants.

R.S. : Depuis que je travaille en équipe mobile, j’ai passé le DU plaies et cicatrisation, car lors de mes interventions, on me posait souvent des questions éthiques. À ce sujet, l’article de Frédéric Gros sur l’éthique du soin(1) est très éclairant. Il parle de la sollicitude pour la personne comme étant le fondement de l’éthique du soin. Cette sollicitude va au-delà de la compassion, car elle appelle un retour de la part du patient. Ainsi, j’ouvre toujours le dialogue sur la question des odeurs. Je suis choquée quand une infirmière met son masque pour entrer dans la chambre sans dire au patient pourquoi.

L’éthique nous impose aussi de choisir le pansement le moins douloureux. Pour cela, il faut être confortable soi-même quand on effectue les soins : c’est une garantie de qualité. De même, certains pansements contemporains permettent de diminuer la fréquence des soins et, ainsi, d’éviter des douleurs.

Enfin, la spécialisation que j’ai reçue en plaies et cicatrisation m’a permis d’ouvrir la porte dans des situations délicates, par exemple quand la pudeur des patients est en jeu. On peut alors présenter le soin sous l’angle de l’amélioration qu’il apportera. Je pense à une femme qui présentait une plaie périnéale malodorante. Je l’ai abordée du point de vue des odeurs et elle l’a bien pris.

L’I.M. : L’infirmière peut-elle discuter avec le patient de ces questions éthiques ?

É.R. : Bien entendu, tant qu’elle ne dévoile pas des informations qui n’auraient pas été partagées par le médecin. Elle peut reformuler les choses, prendre le temps d’écouter, proposer un suivi par un psychologue… Et ne pas juger. On a parfois un chemin personnel à faire pour conserver cette dimension éthique du respect du choix du patient dans notre attitude et notre discours de soignant.

R.S. : Un jour, on m’a appelée dans un service pour une plaie cancéreuse suintante au niveau d’un sein. La patiente n’avait pas voulu se faire opérer. En lui parlant, j’ai appris que dans son histoire personnelle, une proche était morte pendant une telle opération. J’ai aussi compris qu’elle était adepte de la médecine naturelle. Je lui ai alors expliqué que les pansements alginates venaient des algues, dont les pêcheurs bretons avaient constaté les pouvoirs cicatrisants. Elle a ainsi accepté ce soin. Par la suite, une infirmière m’a dit qu’il était ridicule qu’elle accepte le pansement parce qu’elle croyait qu’il y avait des algues dedans… Mais c’était vrai et ce dialogue était intéressant !

L’I.M. : L’éthique impose-t-elle parfois de renoncer à des soins ?

É.R. : En soins palliatifs, on évalue en permanence le pronostic vital et le projet de vie du patient. Alors oui, je pense que l’éthique peut imposer de renoncer à des soins « déraisonnables ». Comme suspendre des séances de dialyse en phase terminale ou renoncer à réaliser un acte chirurgical chez une personne trop fragile. Récemment, j’ai eu l’exemple d’un patient âgé présentant une escarre de stade 4 au talon. Une revascularisation aurait été nécessaire et possible, mais sa situation cardiaque a été évaluée trop précaire pour supporter une anesthésie. Des soins de propreté lui seront prodigués et la décision prise me semble éthique.

Je vois régulièrement des patients arriver avec des gangrènes, par exemple au niveau des membres inférieurs. Va-t-on les amputer sans garantie de cicatrisation sur le moignon ? Mais la décision est compliquée, car une gangrène qui s’installe et progresse est difficile, en partie en raison de l’odeur… La question éthique prend là tout son sens. Je ne pense pas qu’il y ait une réponse unique à ces situations.

R. S. : Parfois, on a le choix entre plusieurs produits analogues ; or certains provoquent une répulsion chez le patient. Si l’un est vraiment meilleur, on va tenter d’expliquer pourquoi. Mais parfois, on va aussi attendre que la personne parvienne à surmonter sa répulsion.

L’I.M. : Quels sont les principaux écueils à éviter en matière d’éthique ?

É.R. : D’abord, un manque de partage et de communication au sein de l’équipe sur les projets de vie des patients peut conduire à des incompréhensions. Or, on peut discuter des décisions qui ont été prises, mais certainement pas les remettre en question ou les dénigrer.

On assiste parfois à un débat entre équipes : l’une va par exemple déterger activement les plaies, pensant que la précédente a fait de l’abandon thérapeutique, alors que son choix se situait davantage dans la propreté du corps… Il est capital d’avoir un projet commun et que chacun y adhère. Pour le partage d’expériences, en dehors des services de soins palliatifs, où tout cela est bien organisé, il faut savoir interpeller les réseaux spécialisés. Rompre l’isolement professionnel pour ne pas rester sur une mauvaise expérience qui conduit à se dire : « Plus jamais ça. » Une autre erreur pourrait tout simplement être d’ignorer les questions éthiques qui touchent notre profession. Certaines sont pourtant bien médiatisées… Mais que dit la loi ?

R. S. : L’approche à éviter, selon moi, est l’absence de dialogue. Le dialogue est le seul moyen de comprendre les représentations des personnes concernant les soins, leur adhésion ou non à ce qu’on leur propose. Or elles ont le droit d’avoir des informations justes, mais aussi adaptées, pour accepter – et si possible choisir – ce qui convient le mieux à leur situation du moment.

1- « Le soin au coeur de l’éthique et l’éthique du soin », Recherche en soins infirmiers, 2007/2 (n° 89), Arsi.

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