Le soin des plaies à distance - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 370 du 01/04/2016

 

DOMOPLAIES

SUR LE TERRAIN

TÉLÉMÉDECINE

LISETTE GRIES  

Lancé en Languedoc-Roussillon et en Basse-Normandie, le dispositif Domoplaies met en relation des soignants de terrain et des experts en plaies et cicatrisation grâce à des tablettes et des smartphones. Des consultations en visioconférence qui ont amélioré la prise en charge des plaies chroniques.

À l’origine, un constat : les infirmières, libérales comme en structure, et les médecins traitants sont souvent « démunis » face à des plaies chroniques complexes (escarres, pied diabétique, ulcères, etc.). La cause : un défaut de formation dans les instituts de formation en soins infirmiers ou en médecine générale qui n’aborde que rarement la question des plaies et de leur cicatrisation. C’est ce qui a poussé le Dr Luc Téot, chirurgien spécialiste des brûlés au CHU de Montpellier, à lancer, avec d’autres, le réseau Cicat-LR, dès 1999. Un réseau « ville-hôpital » qui trouve vite son utilité auprès des professionnels de santé du Languedoc-Roussillon : des IDE se déplacent au domicile du patient ou dans les établissements pour conseiller et appuyer les soignants. « Nous ne pouvions couvrir qu’une zone géographique limitée, autour des centres urbains d’où partaient nos experts », souligne le médecin.

En 2011, une révolution numérique s’amorce : Cicat- LR s’associe à Telap, un réseau de télémé decine installé en Basse-Normandie, pour répondre à un appel d’offres lancé par l’Asip santé (Agence des systèmes d’information partagée). Domoplaies, leur projet, est retenu.

« Nos infirmières expertes ne se déplacent plus, elles donnent leur avis via un écran d’ordinateur », explique Christine Linet, IDE spécialiste en télémédecine au sein du réseau.

Ainsi, face à une difficulté dans la prise en charge d’une plaie, le soignant – médecin ou infirmière – compose un numéro unique. Un rendez-vous est alors fixé dans les 48 heures avec un professionnel spécialisé du réseau(1). Sur le terrain, une tablette est livrée au médecin ou à l’IDE « requérant », avec un code pour se connecter à une salle virtuelle. Les soignants peuvent alors faire participer le professionnel de santé « requis » de Cicat-LR à la consultation, grâce à la visioconférence. Ce dernier peut donner des conseils en direct, demander des compléments d’information, prendre en compte l’environnement du patient (chaussage, matelas, etc.) et répondre aux questions de ses confrères.

Patients isolés

Un compte-rendu et une proposition de protocole de soins sont ensuite rédigés par l’expert et envoyés à tous les professionnels (médecin traitant, IDE, cadre, médecin spécialiste, etc.) en charge du patient. Encore expérimental entre 2013 et 2015, Domoplaies fait désormais l’objet d’une étude médico-économique. Bien que les résultats ne soient pas encore connus, le succès du dispositif et les économies apparemment réalisées devraient lui permettre d’être pérennisé comme un service de télémédecine à part entière dans les deux régions pilotes.

Après une première téléconsultation, un suivi peut se mettre en place jusqu’à la cicatrisation complète. Les rendez-vous suivants se déroulent sur le même modèle, mais demandent moins de temps. « Avec Domoplaies, nous pouvons répondre à beaucoup plus de sollicitations », apprécie Marjorie Cabrol, infirmière coordinatrice du dispositif. Car en supprimant la majorité de leurs déplacements, les infirmières expertes peuvent traiter davantage de cas. De plus, les patients isolés géographiquement peuvent être inclus dans la démarche. « Nous traitons plus de 1 500 patients par an, en assurant une centaine de téléconsultations chaque semaine », détaille Marjorie Cabrol. Pour assurer ce service, une équipe de onze infirmières expertes, embauchées comme vacataires, un médecin à temps plein, un autre à mi-temps et deux à quart-temps se répartissent sur les grandes villes de la région.

En Basse-Normandie, trois infirmières expertes (une infirmière à temps plein et deux autres à mi-temps) et quatre médecins prennent en charge 760 patients par an au cours près de 200 téléconsultations. Dans environ 10 % des cas, la présence physique de l’IDE « requis » reste nécessaire : par exemple, un patient en fin de vie (la famille peut parfois ne pas accepter ou comprendre l’utilisation de la tablette dans cette situation particulière), un problème de connexion, une plaie particulièrement complexe… La consultation en présentiel est ainsi préférée dans les cas où la visioconférence ne permet pas de répondre à la situation complexe.

Coopération

« On constate une hausse du niveau de compétences des infirmières en plaies et cicatrisation », se félicite le Dr Jean-Pierre Blanchère, directeur du Telap. Même observation en Languedoc-Roussillon. Une IDE qui se sert de Domoplaies peut non seulement réutiliser les conseils qu’elle a reçus pour une situation similaire, mais aussi faire « tâche d’huile » auprès des autres professionnels de soin qu’elle côtoie. « En Languedoc- Roussillon, on remarque que la thématique intéresse. Les Ifsi de Montpellier intègrent désormais des modules de plaies et cicatrisation à leurs cursus et le DU rencontre un certain succès. Peu à peu, on remarque que les soignants prennent le réflexe de penser la plaie avant de la panser », souligne Marjorie Cabrol.

La télémédecine permet aussi d’éviter à des patients qui ont parfois des difficultés à se déplacer de faire des kilomètres. « On voit moins de personnes âgées arriver aux urgences pour des escarres », note Marjorie Cabrol. Pour les IDE libérales en zones isolées, c’est aussi la possibilité de s’inscrire dans une équipe et de bénéficier de l’appui de pairs. La coopération entre médecin traitant et IDE est aussi renforcée.

Limites techniques… et financières

Mais pour que tout cela fonctionne, il faut que le réseau Internet ou 3G soit efficace… Or, en zones isolées, il fait souvent défaut. « Nous testons actuellement des liaisons satellites et nous avons mis en place des solutions déconnectées pour tablettes, mais aussi pour smartphones », avance Christine Linet. Les soignants sur le terrain font des photos et les envoient à Cicat- LR via l’appli sécurisée Domoplaies-LR dès qu’ils retrouvent du réseau. Les smartphones, souvent mieux maîtrisés par les soignants que les tablettes, sont plébiscités. « Nous travaillons à la mise au point d’une appli pour des téléconsultations en visioconférence sur téléphone », explique le Dr Luc Téot.

De plus, la tablette est livrée avant la consultation par un prestataire qui la récupère par la suite. Celui-ci a accès au planning et organise ainsi ses livraisons en fonction des demandes. Parfois, les infirmières la reçoivent la veille de leur visite à domicile. Et s’il s’agit d’une première utilisation, un temps de découverte et de prise en main de l’outil est nécessaire.

Autre problème soulevé par les IDE : la rémunération. Si les actes de télémédecine entrent doucement dans la nomenclature, seuls les professionnels « experts » peuvent y prétendre. Pour les soignants de terrain, et notamment les Idel, l’acte n’est pas valorisé. « Certaines viennent pourtant sur leur temps de repos car une téléconsultation peut prendre entre 20 et 40 minutes. Leur implication devrait être reconnue », regrette Christine Linet. Et Jean-Pierre Blanchère de renchérir : « Elles sont les oubliées de cette réflexion. Pourtant, la télémédecine ne pourra se développer que si l’Assurance maladie fait un effort pour honorer ces actes. »

1- Composé d’infirmières ou de médecins spécialisés en plaies, le réseau compte aujourd’hui onze IDE (chacune présente au moins une journée par mois, selon ses disponibilités) et six médecins (impliqués à des degrés divers : de 2 heures par mois à un TP).

TÉMOIGNAGE

PATRICIA GIRARD CADRE DE SOINS DANS UN EHPAD À LA GRANDE-MOTTE (34)

« Pour nous soignants, lexpertise est très intéressante »

« Le fonctionnement avec la tablette est très compliqué dans notre établissement, car nous avons de gros problèmes de réseau. Faire appel à Domoplaies était très chronophage, avant l’arrivée de l’application pour smartphone. Nous envoyons désormais des photos des plaies qui nous posent problème et le réseau Cicat-LR nous rappelle pour nous conseiller. Pour certains résidents, l’utilisation des nouvelles technologies est un peu problématique car ils préfèrent échanger en direct avec les professionnels de santé. Ils trouvent cela un peu impersonnel. Pour autant, pour nous soignants, l’expertise est très intéressante. Quand les plaies réappa raissent, on applique à nouveau le protocole de soins, sans attendre. Le compte-rendu envoyé au médecin traitant facilite aussi la prise en charge et accélère la prescription de certains examens complémentaires, par exemple, d’autant plus que le Cicat-LR est très réactif. Nous faisons appel à eux une à deux fois par mois environ. Cela devient un réflexe pour l’équipe. »

GÉRALDINE COUTURIER IDEL DANS LA RÉGION DE MONTPELLIER (34)

« Cela facilite nos échanges avec le médecin »

« J’ai découvert Domoplaies au cours d’un remplacement à l’été 2014. J’ai trouvé ça très avantageux : le patient était paraplégique, la consultation à distance lui a vraiment simplifié la vie. après ce premier rendez-vous, un suivi à distance a été mis en place tous les 15 jours. Depuis, j’ai eu l’occasion de faire appel à Domoplaies à plusieurs reprises et j’en ai parlé à des collègues. L’expertise du réseau est très utile. D’une part parce qu’elle nous permet à nous, qui ne sommes pas toujours formés en plaies et cicatrisation, d’apprendre de nouvelles choses et de bénéficier de réponses en direct. Et d’autre part, parce que cela facilite nos échanges avec les médecins généralistes. Les prises de décision sont plus rapides. Pour les patients et leur entourage, enfin, c’est rassurant de voir qu’une équipe de professionnels les entoure. Le seul bémol, c’est que tout cela représente du travail « gratuit ». Cela prend du temps de connecter la tablette, les rendez-vous sont plus longs que d’habitude. J’essaye toujours de les caler en fin de tournée pour ne pas prendre du retard auprès des autres patients. C’est dommage que cet investissement ne soit pas valorisé. »

RÉGLEMENTATION

La télémédecine dans les textes

Pour encadrer les actes de télémédecine, plusieurs textes réglementaires font foi.

→ L’article L. 6316-1 du code de la santé publique définit la télémédecine comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Le texte stipule qu’elle sert à mettre « en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical ». Dans le cadre d’un protocole de délégation, validé par l’agence régionale de santé et la Haute autorité de santé, les IDE peuvent cependant se voir confier certaines compétences médicales.

→ Le décret 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine distingue les catégories d’actes suivantes :

– la téléconsultation, « une consultation à distance (…) » ;

– la téléexpertise, qui permet « à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux » ;

– la télésurveillance médicale, qui a pour objet l’interprétation « à distance des données nécessaires au suivi médical d’un patient » voire la prise de décisions ;

– la téléassistance médicale, qui permet « à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ».

→ L’article 36 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2014 ouvre la possibilité à des « expérimentations portant sur la réalisation d’actes de télémédecine pour des patients pris en charge, d’une part, en médecine de ville et, d’autre part, en structures médico-sociales ».

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