À la santé des étudiants - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

MÉDECINE PRÉVENTIVE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

SANDRA MIGNOT  

À Paris, le service interuniversitaire de médecine préventive et de promotion de la santé se transforme progressivement en centre de santé, offrant consultations et soins infirmiers. Une nouvelle offre de soins qui en est à ses balbutiements.

L’infirmière parcourt tous les documents que lui remet l’étudiante : « Le résultat de votre sérologie anti-HBC est bon. Je ne vois pas de raison de vous refuser l’attestation », annonce-t-elle avec un grand sourire. Véronique Savoie vient d’effectuer la passation du questionnaire de santé permettant de confirmer l’aptitude de l’étudiante en soins infirmiers (ESI) belge assise en face d’elle à effectuer ses stages professionnels en France. Elle prend la tension, vérifie le poids et la taille, s’enquiert de la régularité de ses repas. « Vous savez, la pause du midi, c’est obligatoire, même pendant les stages », tient-elle à préciser, sachant que de nombreux ESI « sautent » l’heure du déjeuner, faute de temps.

Créé depuis plus de 30 ans, le service universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS) de l’université Paris Descartes a permis, au fil des années, de réunir et de transformer les services de médecine préventive intervenant dans quatre autres universités parisiennes en service interuniversitaire (SIUMPPS)(1). Et comme le veut désormais la législation, il propose l’examen de prévention obligatoire dans les trois premières années d’études, des visites médicales pour les étudiants paramédicaux des instituts sous convention, ainsi que des actions de prévention collective. à l’image de celle qu’organise Ludovic Turin, l’IDE du SIUMPPS responsable des animations et coordinateur de prévention, ce mardi après-midi dans le hall de la Faculté de médecine, sur le thème « Prévention des risques et détresse émotionnelle » : « C’est difficile d’arrêter les jeunes sur nos stands, car les étudiants en médecine sont de gros bosseurs. Parfois, tout ce qui compte, c’est d’arriver parmi les premiers au concours », note-t-il.

Il vient d’ailleurs de croiser un étudiant en médecine en larmes devant les panneaux d’affichage présentant les résultats provisoires du classement de la première année commune des études en santé. Malgré l’oreille bienveillante de l’IDE, le jeune homme s’éclipse rapidement. Mais cette présence est utile, comme en témoigne cette enseignante, responsable des masters, qui s’arrête un instant devant le stand : « C’est bien de savoir où vous êtes et que l’on peut vous adresser certains étudiants. On sent parfois qu’ils sont déprimés, qu’ils sont tristes. Et ils n’ont pas les moyens de consulter. » C’est la raison pour laquelle des psychologues assurent des permanences quotidiennes : « Cela représente un tiers de notre activité totale », observe Raphaëlle Badie-Perez, médecin coordinateur du SIUMPPS. Et s’il faut un suivi, nous orientons les étudiants vers le réseau et les bureaux d’aide psychologique universitaire (Bapu). » D’ailleurs, après les attentats du 13 novembre, l’ensemble du service avait bouleversé son organisation pour accueillir les jeunes en demande d’écoute.

Ludovic Turin intervient dans les cinq universités parisiennes et les établissements sous convention avec le SIUMPPS. Il met également en place des conférences sur différentes thématiques, en fonction des problématiques relevées par l’équipe lors des entretiens de prévention : sommeil, sport, gestion du stress, addictions… Des café santé sont également organisés, en début de matinée avec un petit-déjeuner et des conseils du médecin nutritionniste du service. « Cela marche toujours mieux quand on a quelque chose à leur offrir », observe l’infirmier.

Un centre de santé dédié

Depuis le 29 septembre 2015, le SIUMPPS de Paris a inauguré le centre de santé des Saints-Pères à l’université Paris Descartes. Outre ses missions de prévention et de santé publique, il propose désormais des consultations médicales ou de soins. « Nous sommes le seul service universitaire à proposer des consultations dans Paris, même si cela existe ailleurs en France, explique Raphaëlle Badie-Perez. Les étudiants souhaitent avoir tout sur place, ils en sont demandeurs ! D’autant plus qu’ils ont souvent un temps de transport non négligeable pour venir à la fac. » Le centre propose des consultations généralistes, gynécologiques, psychiatriques et dentaires (radio, caries et détartrage uniquement). Un médecin peut également proposer des conseils nutritionnels et des consultations de tabacologie. « Nous observons peu de troubles de santé sévères, résume Raphaëlle Badie-Perez. Néanmoins, il arrive que les étudiants - qui ne considèrent pas toujours la santé comme une priorité - viennent consulter tardivement, avec des pathologies évoluées. »

Accès au tiers payant

Si cette nouvelle fonction de centre de santé change peu la mission des infirmières - seule Véronique Savoie peut délivrer des consultations de soins, le plus souvent pour la réfection d’un pansement, l’ablation de points, une éventuelle injection intramusculaire - le centre a néanmoins déjà enregistré environ 700 consultations de médecine générale depuis son inauguration en septembre dernier. Une affluence que la coordinatrice explique par la facilité d’accès au service : « Ils entendent parler du centre de santé au moment de la visite mé?dicale, qui est obligatoire depuis 2008, et reviennent facilement. » Une affluence qui peut aussi s’expliquer par l’accès au tiers payant proposé par le centre. « De plus, beaucoup débarquent à Paris, loin des parents. Ils ont perdu leurs repères en matière de suivi de santé et ne savent pas à qui s’adresser. Trouver son médecin référent à la fac, c’est facile. » Le centre propose d’ailleurs, aux étudiants étrangers, l’aide d’une psychologue bilingue français/anglais et d’un médecin parlant le chinois. Et pour plus de modernité, les rendez-vous peuvent être pris via la plate-forme de rendez-vous en ligne Doctolib.

10 000 consultations annuelles

Pour l’heure, l’essentiel de l’activité réside dans les entretiens de prévention et les visites médicales des étudiants paramédicaux, effectués par les médecins ou les IDE (un binôme est présent chaque jour). « Cela représente 10 000 consultations annuelles », précise Raphaëlle Badie-Pérez. En fonction des difficultés dépistées lors de ces entretiens, l’équipe peut proposer un rendez-vous avec un médecin nutritionniste, un tabacologue ou un psychologue. « Depuis deux ans, je trouve que les étudiants s’interrogent davantage sur la qualité de leur alimentation, et en consultation, ils osent dire qu’ils mangent mal, observe Madeleine Sarfati, médecin généraliste. Je pense que cela est lié à la médiatisation de cette problématique. » En parallèle pourtant, elle observe, lors des cafés santé, une dégradation marquée du contenu des repas : « C’est surtout lié à des problèmes financiers, même si nous observons une petite augmentation de la fréquentation du restaurant universitaire, où les repas sont plus équilibrés. »

Le service est également responsable de l’accueil des étudiants handicapés et recommande ensuite les aménagements nécessaires à l’intention du service des études. Quelque 400 consultations ont été réalisées sur l’année universitaire 2014/2015. « Si l’étudiant a besoin d’un tiers temps ou d’une aide technique, nous sommes généralement bien entendus par les établissements, note Raphaëlle Badie-Perez. Par exemple, nous avons récemment obtenu que l’éclairage d’une salle soit adapté au handicap d’un étudiant en arts. »

Et si le service perçoit de nouvelles sources de revenus, avec la facturation des consultations, la coordinatrice n’ose pas encore évoquer le développement de l’offre de soin : « Nous avons rencontré beaucoup de difficultés d’encaissement, donc nous n’avons pas projeté de modèle économique ». En revanche, la perspective de pouvoir proposer un service de prélèvement sanguin afin de compléter l’offre de santé est en réflexion, avec en ligne de mire, donc, de nouveaux actes infirmiers…

1 - Paris I (Panthéon-Sorbonne), Paris III (Censier-Sorbonne nouvelle), Paris V (René Descartes), Paris VII (Denis Diderot) et Paris IX (Dauphine).

ENQUÊTE

Le stress gagne les filles

La première grande enquête scientifique publique sur la thématique de la santé des étudiants a été lancée en 2013 et permettra de suivre durant 10 ans près de 30 000 étudiants. 10 000 participants ont déjà été recrutés via le site i-share.fr.

→ Parmi les premières données collectées, les étudiants se déclarent majoritairement en bonne ou très bonne santé. 70 % signalent néanmoins une période de symptômes dépressifs dans les douze derniers mois. Des troubles anxieux ou phobiques ont été diagnostiqués chez 15 % d’entre eux.

→ Les filles apparaissent plus exposées que les garçons, 13 % ayant un diagnostic de dépression contre 9 %.

→ 23 % des étudiantes ont déjà pris un médicament contre le stress ou l’anxiété dans les trois derniers mois (contre 10 % chez les garçons). Elles ont plus de troubles du sommeil et prennent plus fréquemment un médicament pour dormir (12 % contre 8 %).