Un enfant couvert de lésions - L'Infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 367 du 01/01/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Jacqueline Bréchat  

Découvert grâce à l’infirmière scolaire, un enfant victime de maltraitance est accueilli en urgence dans un foyer de l’enfance. La prise en charge, pluridisciplinaire, au sein de cette structure, se fonde sur une observation fine du comportement des enfants.

L’HISTOIRE

Antony est un petit garçon de 6 ans scolarisé à l’école maternelle mais il est peu présent à l’école depuis le début de l’année 2012.

→ Lors d’une visite, l’infirmière scolaire constate des hématomes sur le visage de l’enfant et une plaie au genou. Elle interpelle alors le médecin scolaire.

→ Le médecin scolaire découvre de multiples lésions lors de l’examen de l’enfant. Il établi un certificat médical en vue du signalement de maltraitance détaillant les observations cliniques et les propos de l’enfant :

– un volumineux hématome du front. L’enfant explique : « Je me suis cogné dans la baignoire. » ;

– un hématome de la joue gauche et sous mentonnier avec trois lésions et un hématome de la joue droite. L’enfant dit : « Je suis tombé de vélo. » ;

– des lésions érosives rondes du cuir chevelu, ainsi qu’une grosse érosion sur le genou droit non cicatrisée et inflammatoire.

De plus, l’enfant ne veut pas se déshabiller devant le médecin, car il a :

– deux gros hématomes au niveau des deux aines ;

– le dos couvert de multiples hématomes en voie de régression ;

– huit lésions érosives rondes au niveau de la colonne vertébrale.

L’enfant dit qu’il ne sait pas comment tout cela est arrivé. Il est pâle, triste avec de grands cernes.

→ Le médecin scolaire transmet toutes ces informations au procureur de la République (lire p. 54).

→ Devant l’extrême gravité des faits, le procureur de la République établi une ordonnance de placement provisoire (OPP) afin que ce petit garçon soit confié à la direction de la solidarité départementale qui dépend du conseil départemental. Il est placé dans un foyer de l’enfance qui le prendra en charge dans un premier temps.

→ Le juge des enfants est saisi de la situation dans les huit jours. Les parents et l’enfant sont convoqués à une audience. Le juge décide du placement judiciaire avec suivi. Une enquête sociale est en cours.

LE PLACEMENT

1. MISSIONS DU FOYER DE L’ENFANCE

Financé par le département, le foyer de l’enfance qui prend en charge le jeune Antony est une structure d’accueil ouverte tous les jours, 24 h/24, car elle peut être sollicitée en urgence. Il a pour mission l’observation et l’orientation de l’enfant. Dans un premier temps, il apporte une sécurité matérielle, physique et affective.

→ Le foyer prend en charge des enfants et des jeunes de la naissance à 18 ans, pour une durée limitée pouvant aller de 6 à 8 mois, soit :

– sur placement provisoire dans le cadre d’une OPP établie en urgence par le procureur de la République ;

– sur placement judiciaire : le juge des enfants statue sur la situation ;

– sur un accueil provisoire sur la base d’un accord entre le service enfance-famille du conseil départemental, les parents et les enfants. Il n’y a pas dans ce cas de décision de justice.

De jeunes mineurs isolés, étrangers en situation d’isolement et souvent sans papiers, sont aussi accueillis dans le cadre de la protection du jeune mineur.

Le foyer de l’enfance a également pour mission de recevoir les enfants nés sous le secret de la naissance en vue d’une adoption.

→ Différentes unités de vie reçoivent les enfants :

– une pouponnière (enfants de la naissance à 3 ans) et un jardin d’enfants (de 4 à 6 ans). La prise en charge des enfants y est assurée par des auxiliaires de puériculture et des éducatrices de jeunes enfants ;

– un service pour les scolaires et pré-adolescents (de 7 à 14 ans), pour les adolescentes (de 14 à 18 ans) et un autre pour les adolescents (de 14 à 18 ans). Au sein de ces trois services interviennent des moniteurs-éducateurs ou des éducateurs spécialisés.

L’équipe est complétée par des psychologues et une infirmière qui peuvent recevoir en consultation les enfants, à leur demande ou à celle du personnel.

2. PRISE EN CHARGE

Tout au long de la prise en charge, il faut faire sentir à l’enfant qu’il est une personne à part entière. On lui fait comprendre que les professionnels sont là pour entendre et recueillir sa parole, sa souffrance et ses symptômes, qu’il doit être porté et protégé.

Approche éducative

Lors de l’arrivée au foyer, l’équipe s’attache à rassurer l’enfant, à lui expliquer le motif du placement – même s’il s’agit d’un nourrisson –, à mettre en mots le fait qu’il est hors de danger. Une observation est menée au quotidien. Elle est différente suivant les professionels constituant l’équipe en charge de l’enfant : éducateur, psychologue, infirmière… Cette approche permet ainsi une diversification des observations. Ces dernières sont ensuite étudiées et analysées en réunion pluridisciplinaire afin de cerner et de comprendre le mieux possible le comportement de l’enfant. Chaque élément du quotidien rentre en compte.

→ Le sommeil : l’endormissement est-il facile ou difficile ? Les nuits sont-elles agitées ou paisibles ? L’enfant fait-il des cauchemars, est-il pris de panique au moment du coucher ou, au contraire, se couche-t-il facilement ? On relève aussi les possibles énurésies, la posture en dormant.

• Cas d’Antony : le jeune garçon ne présente pas de difficultés à s’endormir et s’est bien approprié les doudous qu’on lui donne. Il dort bien. En revanche, il fait de grosses siestes d’1 h 30 que l’on peut expliquer par l’épuisement physique dû aux séquelles importantes et par un relâchement lié au fait qu’il comprend que le danger n’est plus là. Beaucoup d’enfants sont très craintifs, sursautent au moindre bruit.

→ Le repas : les éventuelles difficultés alimentaires sont notées, comme le fait de refuser de manger. Autres observations pendant le repas :

– l’enfant mange en grande quantité et rapidement ou normalement mais il vomit après les repas ;

– la posture à table, l’autonomie.

Cette observation permet de s’interroger sur le rapport de l’enfant face à la nourriture : était-il nourri correctement, mangeait-il à sa faim ?

• Cas d’Antony : il mangeait beaucoup dans les premiers temps et vomissait. Puis il s’est régulé. On peut supposer qu’il avait peur de ne pas avoir assez de nourriture parce qu’il a été privé de repas, par punition. Par ailleurs, Antony est autonome à table.

→ La toilette : on cherche à savoir si l’enfant apprécie le bain, le fait d’être dans l’eau. On évalue également son degré d’autonomie pour se laver et s’habiller. Autres observations :

– le déroulement du shampoing est-il facile ou pas ? ;

– l’enfant est-il pudique ou pas ? Aime-t-il son image dans le miroir ? Se regarde-t-il ? Prend-il soin de lui ? ;

– fait-il attention à sa tenue vestimentaire, prend-il soin de ses vêtements ?

• Cas d’Antony : il s’est montré autonome, sauf dans les premiers temps de son arrivée en raison d’un hématome. Au début, il ne voulait pas montrer son corps. Ensuite, il appréciait d’être habillé, coiffé.

→ Les jeux et activités : on regarde si l’enfant est capable, suivant son âge, de réaliser des puzzles, des coloriages, des encastrements, ou encore d’enfiler des perles. On observe ses aptitudes, son comportement lors de sorties à l’extérieur et dans le jeu :

– s’il sait jouer tout seul et avec les autres enfants ;

– s’il peut inventer ou imaginer des jeux ;

– s’il sait faire du vélo, grimper sur un toboggan ;

– s’il accepte les règles des jeux et s’il aime partager.

→ Le langage : on analyse la construction des phrases, le vocabulaire.

→ Les relations avec les autres enfants : l’enfant est-il bien intégré au sein du groupe, avec ses camarades ou, à l’inverse, isolé ? Est-il violent envers eux, meneur du groupe ou, au contraire, soumis ?

→ Les relations avec les adultes : on regarde si l’enfant a une attitude de méfiance ou s’il est en confiance, s’il recherche les câlins ou, au contraire, ne supporte pas le contact physique.

→ La scolarité : le comportement à l’école est scruté, en classe, avec ses camarades ainsi que la relation aux devoirs. L’enfant a-t-il plaisir d’aller à l’école ou pas ?

• Cas d’Antony : il peut jouer seul et avec les autres. Il est bien intégré au groupe.

→ La relation avec sa famille : comportement avant et après les visites de la famille, avant et après les appels téléphoniques. On note si l’enfant parle de ses parents et de la vie familiale, des visites médiatisées…

• Cas d’Antony : ce petit garçon montre de nombreux signes positifs. Il peut jouer seul comme avec les autres et il est bien intégré au groupe. Il faut signaler qu’il est l’aîné d’une fratrie auprès de laquelle il jouait vraisemblablement un rôle protecteur. Malgré son absentéisme scolaire, il a des connaissances et sait compter. Il parle très bien, avec des phrases construites. Il ne semble pas souffrir de manques au plan éducatif. Il avait besoin de comprendre qu’un adulte peut calmer, exprimer des marques d’affection. Il aime blaguer. Il est content d’être au foyer, enjoué, calme, et a bien intégré les règles de la structure.

Tous ces éléments sont consignés dans les rapports de comportement présentés lors de l’audience chez le juge des enfants, ou lors des synthèses faites au sein du foyer avec l’ensemble des partenaires qui gèrent la situation de l’enfant et de sa famille.

Approche médicale

Dans le cas d’Antony, la prise en charge médicale s’est faite en plusieurs étapes :

– accompagnement à l’hôpital pour une expertise des diverses lésions avec descriptif et photos et dans le service de radiologie pour une radio du squelette complet à la recherche du syndrome de Silverman (voir diagnostic différentiel p. 49) : recherche de fractures multiples d’âge différent. La manipulation de l’enfant pour effectuer les radios a été très douloureuse à cause des plaies et des hématomes ;

– accompagnement auprès d’un médecin spécialisé pour déterminer la nature de certaines plaies ;

– les soins quotidiens des lésions : ils réactivaient les souffrances de cet enfant car les pansements étaient douloureux ;

– l’écoute des maux du corps pour mettre des mots sur la maltraitance.

Dans ces situations, il est primordial pour les professionnels – infirmière, psychologue… – de penser l’enfant dans son unité d’être humain : corps et psychisme.

Approche psychologique

La psychologue propose des consultations à visée thérapeutique aux enfants ou aux adolescents victimes de violences, que celles-ci soit physiques, psychologiques ou sexuelles. Le but de ces consultations est de permettre à l’enfant une mise en mots des scènes de violence traumatique envahissante sur le plan psychique. Les consultations s’inscrivent dans une temporalité définie par le professionnel au regard des besoins émotionnels, affectifs et des défenses psychiques de l’enfant ou des jeunes adolescents.

Le travail psychologique peut, lorsque l’enfant est en état de sidération, utiliser des médiations : livres, poupées, dessins. Le cas de maltraitance relaté ici est une maltraitance physique, plus « facile » à détecter car elle laisse des marques sur le corps ; elle peut être décrite, photographiée et analysée. Néanmoins, cela peut prendre du temps, les parents déployant des stratégies pour cacher les faits comme changer de médecin, ne jamais présenter le carnet de santé…

Il existe d’autres formes de maltraitance comme les violences sexuelle ou psychologique (lire p. 50) pour lesquelles la prise en charge psychologique a une importance capitale pour que les enfants ou les jeunes aient un espace individuel de parole et d’écoute.

EN PRATIQUE

L’art de l’observation

Tout est important dans l’observation, surtout chez les tout-petits car ils ne peuvent verbaliser. On regarde le corps, les gestes, les attitudes : un raidissement au moment du change, le comportement dans les bras (enfant en hypertension), les mouvements pendant le sommeil.

À la faveur du détail

Au jardin d’enfants, il faut savoir capter les mots au milieu des phrases pendant les temps individuels. De même, chez les plus grands, on va repérer ce qui est dit quand l’enfant est au milieu des autres. Tout seul, il ne dira rien. L’éducateur va ainsi relever une phrase (par exemple un enfant qui substitue aux paroles d’une chanson des mots à connotation sexuelle). Il interpellera plus tard l’enfant qui saisi alors que l’on a compris quelque chose. On attrapele petit bout de la pelote, et on la laisse se dérouler. Petit à petit, l’enfant va se confier.

L’observation s’acquiert par l’expérience et doit s’exercer dans les détails. Il faut savoir différencier un enfant ou un bébé captivé par quelque chose, comme des poussières dans un raie de lumière, d’un enfant qui se fait oublier, prend le lit pour refuge, s’isole.

Nécessaire pluridisciplinarité

Par l’observation, on voit comment on peut gagner la confiance de l’enfant afin qu’il puisse dire les choses. C’est souvent compliqué. Tout ne doit pas être interprété comme de la maltraitance. L’expérience et la pluridisciplinarité sont à cet égard essentiels. Ainsi, chacun a son ressenti et capte des choses différentes selon qu’il est éducateur, psychologue, infirmière…

De même, les enfants ne voient pas la même chose dans chaque adulte qui les entoure. Ils ont une faculté extraordinaire à repérer et puiser dans les personnes ce qu’elles peuvent leur apporter – un éducateur qui cadre, un autre pour les câlins, etc. – et arrivent à se construire. Ils vivent des choses difficiles, outre les violences subies, la séparation avec la famille, la vie en collectivité et, malgré cela, ils sont capables de chanter, de plaisanter. C’est leur force, de s’adapter, de continuer à vivre. Ils sont parfois bien plus forts que les adultes.