Une relation de confiance | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

PSYCHIATRIE

DOSSIER

L’accueil en psychiatrie a considérablement évolué ces vingt dernières années. Illustration au travers des expériences de l’EPS Erasme à Antony et du pôle psychiatrie du CH de Mantes-la-Jolie.

Point de départ d’une prise en charge bien faite ou non, l’accueil en psychiatrie a considérablement évolué ces dernières années : désinstitutionnalisation massive des patients, développement rapide de l’ambulatoire, individualisation de la prise en charge, nouvelles molécules, etc. « J’ai connu la période où le patient arrivait, il passait à la douche, on le mettait en pyjama et puis au lit », rappelle Jean-François Popielski, directeur des soins à l’EPS Erasme d’Antony (92). Progressivement, les établissements sont passés d’un système collectif à individuel, du dortoir à la chambre simple, des sanitaires partagés au cabinet de toilette individuel. « Et bientôt, les chambres pourront être fermées à clef (par le patient), poursuit-il. Toutes ces évolutions nous poussent à expliquer beaucoup plus ce que nous faisons au patient. Mais ce processus de diffusion des droits des usagers n’est pas réservé à la psychiatrie. »

Pour autant, et même si tous s’accordent à dire que « l’accueil devrait être considéré comme un temps aussi important dans l’ensemble des services », le secteur présente certaines spécificités. « L’accueil en psychiatrie prend plus de temps, car il s’agit de créer un climat de confiance sans lequel le patient risque de rester très en retrait - ce qui nous amènerait à ne traiter que des symptômes, détaille Jean-François Popielski. Cela demande un savoir-faire, un certain tact, mais c’est un moment qui permet de montrer que nous entendons combien le patient souffre et que nous sommes là pour l’aider. » Et comme l’ajoute une cadre de soin : « Le temps de l’accueil est une rencontre et la façon dont il se déroule conditionne la prise en charge et l’acceptation de la thérapie. » Un point d’autant plus important que la poursuite du soin aura de plus en plus souvent lieu en ambulatoire via les centres médico-psychologiques (CMP), centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et autres accueils de jour. « Nous traitons des personnes avec de pathologies au long cours qui nécessiteront ensuite la rencontre d’autres acteurs de soins, insiste le directeur des soins. La mise en confiance initiale est d’autant plus cruciale. »

Nécessaire adaptabilité

« L’adaptabilité est aussi spécifique, évoque Brigitte Lescaux, cadre du pôle psychiatrique du centre hospitalier de Mantes-la-Jolie (78). Il faut savoir être bref quand c’est nécessaire, évaluer si le patient appréciera un accueil en binôme, ou préférera avoir affaire à un seul soignant, etc. » À Mantes, le service a emménagé depuis six ans dans des locaux à proximité du centre hospitalier. « Nous avions longuement travaillé sur ce déménagement, qui a profondément modifié notre accueil », développe Brigitte Lescaux. Tout d’abord, parce que les patients de Mantes étaient auparavant hospitalisés aux Mureaux, soit à 25 km de leur bassin de vie : « Beaucoup de choses n’étaient pas possibles là-bas : les dortoirs de quatre empêchaient l’entretien en chambre, les visites des familles (ainsi que les permissions) étaient plus rares du fait de la distance, le dialogue avec les urgences n’était pas le même. »

Actuellement, un binôme psychiatre/IDE du service est disponible en permanence pour se rendre aux urgences lorsque c’est nécessaire. « De ce fait, l’accueil des patients débute aux urgences », résume Stéphanie Chaix-Le Monnier, cadre de santé au pôle psychiatrie de Mantes. À l’arrivée, une unité de crise et de négociation de soin accueille les cas les plus délicats, pour 72 heures, avant une orientation vers les deux unités du pôle : polyclinique ou psychiatrie générale. Dans le département des Hauts-de-Seine, c’est une unité intersectorielle d’admission (UIA) qui a été mise en place à l’EPS Erasme pour l’ensemble des entrants depuis déjà une dizaine d’années. Les deux projets permettent de bénéficier d’un personnel plus étoffé à l’accueil.

Hospitalisation encadrée

Mais la grande spécificité de l’accueil en psychiatrie demeure l’hospitalisation de patients non consentants. « Là, tout va dépendre de la symptomatologie de la personne », observe Brigitte Lescaux. Depuis 2011, un nouveau dispositif législatif est d’ailleurs venu encadrer ce type d’hospitalisation. Ses droits doivent être notifiés au patient dans les 24 heures suivant son admission, puis au bout de 72 heures, et renouvelés tous les mois. Il lui est ainsi fait part de ses possibilités de recours auprès du juge des libertés et de la détention, de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) et de la commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC) de l’établissement de santé, de sa capacité de prendre un avocat et de saisir différentes instances, etc.

La transmission de ces informations, obligatoire depuis l’été 2011, représente une obligation que les équipes ont dû s’approprier. « Cela a été assez lourd, explique Brigitte Lescaux. Quand le patient arrive, il est plutôt inquiet, alors évoquer le juge des détentions, cela le terrorise parfois. Après tout, ce ne sont pas des délinquants. Et leur demander de signer le document prouvant qu’ils ont été informés de la décision d’hospitalisation sans consentement crée la confusion et laisse à penser que cette signature les engage dans la procédure d’admission. » Les patients ne sont en outre pas toujours en état de bien comprendre ce qui est formulé et certains refusent de signer ce qu’ils pensent être une autorisation d’hospitalisation. « Mais nous avons affiné notre façon d’exposer les choses, poursuit Stéphanie Chaix Le Monnier. Nous expliquons que la signature n’est pas un consentement, mais uniquement la preuve que l’information a bien été délivrée. Nous sélectionnons les termes employés, répondons aux nombreuses questions posées, etc. »

Soignants aux avant-postes

À Mantes-la-Jolie, ce sont les cadres qui gèrent cet aspect de l’hospitalisation, « même si nous avions initialement pensé que cette mission revenait au médecin », se souvient Brigitte Lescaux. Alors qu’à Créteil, ce sont des IDE (lire encadré ci-contre). La loi étant la loi, les équipes, tant bien que mal, s’adaptent, même si cela, encore une fois, nécessite du temps. Certains professionnels commencent même à y voir un avantage : « C’est quand même intéressant que le patient se voit communiquer ses droits, remarque Jean-François Popielski. Même si au bout de 24 heures ou 72 heures, c’est parfois trop tôt. Mais la possibilité de rencontrer un juge, maintenant que ceux-ci ont été formés, cela offre une autre oreille, non soignante, également disponible pour les familles. »

Les retours des patients via des courriers ou des échanges au quotidien dans l’unité doivent interpeller les soignants sur l’accompagnement qu’ils proposent. « Et quoi qu’il en soit, l’accueil est quelque chose qui se travaille en permanence, conclut Stéphanie Chaix Le Monnier. Et il faut accepter de se remettre en question régulièrement. »

HOSPITALISATION SANS CONSENTEMENT

UN LIVRET COMME COMPLÉMENT

Dans les établissements de l’AP-HP, une brochure spécifique à destination des personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement a été élaborée avec la direction des affaires juridiques. « Les équipes avaient émis le besoin d’un document pour ouvrir le dialogue. Nous avons travaillé sur une brochure accessible au plus grand nombre en terme de vocabulaire, résume Audrey Volpe, juriste à l’AP-HP. Il a été soumis aux représentants des usagers qui ont proposé quelques modifications. » Ce livret de six pages mentionne la situation juridique du patient, ses droits, garanties et voies de recours, et précise les adresses postales des instances auprès desquelles il peut porter ses réclamations. « Bien entendu, la brochure ne décharge pas les équipes de leur mission d’information orale », poursuit la juriste. Mais chaque patient se voit remettre le document à son arrivée. « Si besoin, nous le leur lisons, explique Laure Yvon Richet, IDE au service de psychiatrie Albert Chenevier (Créteil). C’est une brochure bien faite, claire et précise à laquelle ils peuvent se reporter durant tout leur séjour. »