Le droit à la parole jusqu’à la fin - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

Anne Perrault-Soliveres Cadre supérieure de santé, chercheur en sciences sociales et membre du comité de rédaction de L’Infirmière magazine

EXPRESSION LIBRE

“Entre acharnement thérapeutique et arrêt des traitements curatifs, les patients sont souvent soumis au diktat des convictions des médecins qui les traitent, mais également de celles de leur entourage, parfois dramatiquement partagés quant à la décision à prendre. Les circonstances de la fin de vie de Madame Z. en disent long sur les tergiversations des soignants face à certaines décisions, surtout lorsque les proches viennent ajouter de la confusion à des moments déjà fort difficiles. Madame Z. était hospitalisée en réanimation à la suite d’une complication de sa pathologie respiratoire. Elle était en fin de vie et son fils, médecin, insistait pour qu’un traitement soit institué afin « qu’elle ne souffre plus » et qu’on la fasse dormir. Ce n’était pas du tout le désir de sa fille qui, elle, souhaitait qu’on sorte sa mère de cette décompensation et qu’on la « sauve ». Madame Z. avait déjà un traitement antalgique et ne se plaignait pas. Le chef de service, heurté dans ses propres convictions par cette demande, mais incapable de se positionner face au fils, décida d’instituer officiellement un traitement fortement calmant, tout en demandant aux infirmières de n’exécuter que la moitié de sa prescription…

L’infirmière de nuit, prévenue oralement par sa collègue de jour (cette « consigne » n’était pas écrite) refusa de transgresser la règle du respect absolu de la prescription et demanda que celle-ci soit revue afin de correspondre à la décision du chef de service. Le réanimateur de garde refusa de modifier la prescription de son supérieur hiérarchique et conseilla à l’infirmière de délivrer la dose prescrite, ce qu’elle se prépara à faire, la mort dans l’âme. Elle se rendit dans la chambre de la patiente afin d’injecter le reste de la dose et revint aussitôt, bouleversée. « La malade n’a pas voulu que je lui fasse sa deuxième injection, nous dit-elle, elle dit qu’elle ne souffre pas et qu’elle n’a pas envie d’être trop abrutie. »

Cette anecdote éclaire une situation encore trop fréquente chez certains soignants qui abordent volontiers la question de la fin de vie d’une personne avec son entourage, mais évitent soigneusement d’avoir cette discussion avec le patient lui-même. Or, en l’occurrence, si le médecin avait fait cette démarche avec la patiente, pleinement consciente et tout à fait capable de décider elle-même, il n’aurait pas eu besoin de faire semblant de répondre à la demande du fils puisqu’il aurait pu lui opposer la décision de sa mère.

Lorsque les médecins évoquent la question de l’arrêt du traitement ou l’institution d’une démarche palliative, il leur est parfois très difficile d’affronter un patient qui a encore envie de se battre. C’est alors qu’il serait bon que la parole de l’humain reprenne ses droits sur la médecine et que les interlocuteurs, patient et soignant, puissent aborder cette question ultime d’égal à égal, dès lors que l’état du malade le permet, en laissant la décision finale au seul concerné…