Le soin se construit à deux - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

Marie-Ange Rousselet-Gousseau Infirmière et auteure de Comment le dire ? ouvrage consacré à la personne dépendante et à la relation d’aide, éditions Edilivre, 2014.

EXPRESSION LIBRE

Le soignant voit s’alourdir la pénibilité de sa mission d’heure en heure. Il s’épuise à faire, s’agite dans tous les sens, perd le fil de son action, transgresse les règles et va jusqu’à oublier l’individu au fond de son lit ! Ne pourrait-il en être autrement ? Dorénavant, il ne contrôlera pas tout, ne concevra pas à la place du soigné ; son autorité lui échappe ! Il sera accueillant, adoptera une attitude empathique et laissera à la personne son libre arbitre.

Le soin se partage et c’est en se respectant mutuellement que nous y parvenons. Il n’y a plus de dominé ni de dominant, seulement deux êtres qui se comprennent et qui vivent l’instant présent, sans préjugés, sans jugement. La relation nous amène petit à petit dans une dynamique de soins, une complicité animée entre celui qui donne et celui qui reçoit. C’est la personne soignée qui vient au secours du soignant. Elle va lui servir de guide. Les rôles s’inversent, laissons lui la parole :

« Si vous me regardiez, m’écoutiez un peu, je pourrais vous soumettre ce que je suis en capacité d’accomplir, les actes pour lesquels j’ai besoin de votre contribution et ceux pour lesquels j’ai besoin d’une aide totale. Il n’y a jamais rien d’acquis chez moi, soyez indulgent, essayons, renouvelons nos efforts aujourd’hui et demain encore. Se comprendre, se connaître demande du temps, ne cédez pas aux conclusions hâtives ! Je ne suis pas une marionnette ! Il n’est pas nécessaire de tirer sur ma jambe ou sur mon bras pour me mettre en mouvement, de plus vous me faites mal ! Vous êtes venu pour moi, alors soyez avec moi, adressez-vous à moi, votre collègue peut repartir. Quel besoin avez-vous, instinctivement, d’entrer à deux dans ma chambre pour prodiguer un soin ? Avez-vous peur de notre rencontre, êtes-vous en panique à chaque fois que je vous demande de l’aide ? En me suppléant, vous m’excluez du soin et vous m’empêchez d’exister.

Vous vous immiscez dans mon discours car je mets trop de temps à m’exprimer, cela vous agasse mais en attendant, vous me censurez ! Dans ces moments de grande solitude, je m’agrippe, je me raidis et je souffre de vos agissements. Votre voix, seule, peut m’accompagner, m’envelopper, me sécuriser. En vous adressant à moi, vous m’éduquerez, me conseillerez, m’encouragerez et dédramatiserez des situations anxiogènes. Avec ma participation et mon aval, vous vous trouverez apaisé, métamorphosé. Votre comportement et votre langage se modifieront, votre pouvoir de soignant s’effacera au bénéfice de mon savoir. »

C’est en considérant le patient que le soin, autrefois purement technique, va s’enrichir d’une relation d’aide et de confiance vouée à l’accomplissement du soignant et du soigné.