Les écrits dans le dossier du patient - L'Infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR

GILLES DEVERS  

La rédaction du dossier du patient ne va pas toujours de soi. Les informations consignées ont-elles un impact sur la qualité de la prise en charge du patient ?

La qualité des soins est liée à la qualité du dossier du patient. En soins généraux ou en psychiatrie, sa prise en charge suppose une implication individuelle de chacun des acteurs et donc, une forte organisation du travail en équipe, ce qui rend l’écrit indispensable. De plus, cet accompagnement s’inscrivant dans la durée, il est important de pouvoir retrouver la trace des périodes de soins antérieures. Enfin, d’une manière générale, le patient a droit à ce que soit conservé la trace des actes qui ont été son histoire, durant un épisode difficile de sa vie.

On parle de « dossier médical » et de « dossier du patient ». Quelle est la bonne référence juridique ?

Dossier médical, dossier infirmier, dossier administratif, dossier social… Le patient analysé à partir d’un mille-feuille ? Non, la seule approche valable est le dossier du patient.

Le volet administratif, géré par les services administratifs de l’établissement, ne répond pas au même régime juridique, car les règles du secret professionnel jouent moins. Toutefois, on ne doit pas trouver un partage trop scindé entre l’administratif et le médical. Le patient est soigné parce qu’il existe une prise en charge par l’Assurance maladie et les services sociaux. Les deux volets ont des implications distinctes, mais un soignant doit avoir à l’esprit la vision globale du patient. Le partage fonctionnel dans la gestion du dossier doit se combiner avec la volonté de le décloisonner.

Juridiquement, les informations appartiennent au patient et l’hôpital en est seulement le dépositaire. Quand on gère un dossier, on rencontre des données réglementaires et d’autres relatives à la clinique.

Comment combiner les textes et les bonnes pratiques ?

Le dossier du patient est souvent présenté comme une résultante de la loi n°  2002-303 du 4 mars 2002 (1) qui a refondu la question pour permettre, notamment, l’accès direct du patient aux informations ; loi complétée par deux décrets : n°  2002-637 du 29 avril 2002 (2) et n°  2003-462 du 21 mai 2003 (3), l’ensemble se retrouvant dans le Code de la Santé publique (CSP). On dispose ainsi de références précises sur ce que l’on doit retrouver a minima, dans le dossier du patient, notamment avec son descriptif, l’article R1112-2 du CSP (4).

Ici, il faut bien s’entendre. Cette précision des textes est salutaire et les efforts faits pour renforcer le contenu formel du dossier sont très utiles. Mais, attention, sa source n’est pas le décret mais le patient ! Le dossier était évidemment pratiqué avant la loi du 4 mars 2002 et, compte tenu de ce que sont les pratiques médicales, la même qualité rédactionnelle serait exigible si cette loi n’avait pas été adoptée. Pour comprendre, il faut toujours repartir de la base : une pratique professionnelle au service d’un patient. Aussi, lorsqu’un service doit concevoir et gérer le suivi du patient, il doit d’abord se situer dans cette approche fondamentale de la relation de soins, pour ensuite la mettre en œuvre en fonction des outils techniques que donne le CSP.

Il y a un risque certain à voir des dossiers trop réglementaires, pratiquement rédigés selon des critères « médico-légaux ». Alors que dans le dossier, d’abord et avant tout, la contrepartie de la pratique des soins, par des professionnels qui s’engagent en fonction de leur savoir et de leur déontologie est primordiale. Ce qui doit ressortir de sa lecture, c’est avant tout cette implication personnelle. La mauvaise qualité des écrits dans celui-ci ne veut pas dire que les soins n’ont pas été faits, ou qu’ils n’étaient pas de qualité, mais elle prive le patient de garanties pour le suivi de sa prise en charge et fragilise la position des soignants en cas de recours en justice. Dans la même optique, le dossier doit être vivant, humain, partagé, précis, engagé… comme doit l’être la relation de soins. Un dossier qui serait correct sur le plan formel, mais focalisé sur les minima réglementaires et marginalisant la clinique, ne répondrait pas à ce qui est attendu.

La relation de soin est toute marquée par le secret professionnel. N’y a-t-il pas des risques liés aux écrits dans le dossier ?

Le secret professionnel répond à un cadre législatif fort, posé par le Code pénal [article 226-13 (5)], détaillé par des articles législatifs du CSP [article L1110-4 (6)], et reposant sur des jurisprudences solides, qui en soulignent le caractère d’ordre public. D’une bonne attitude dépend la capacité de recevoir les confidences, indispensables à la pratique des soins, car le malade ne peut se livrer que s’il a confiance dans l’intimité de la relation existant avec un professionnel.

Pour autant, bien des informations intimes doivent être partagées au sein de l’équipe médicale et le dossier est le lieu de référence du secret partagé. Ce partage de l’information n’a rien d’automatique. La loi prévoit une présomption, qui répond à une profonde logique. Lorsque je m’adresse à une équipe médicale pour une prise en charge, cette équipe va devoir partager un certain nombre d’informations confidentielles. Mais cette présomption doit être analysée avec circonspection et des confidences ne peuvent être partagées que si elles sont nécessaires à la prise en charge.

Le secret n’est pas opposable au patient et on ne peut envisager d’écarter du dossier des informations le concernant, au motif qu’il risque d’en prendre connaissance. Le patient doit être en mesure de recevoir toutes les informations le concernant, à charge pour les professionnels de toujours rester « soignants », avec l’accompagnement nécessaire pour que ces informations soient comprises. De même, le professionnel doit prendre en compte la volonté du patient de ne pas être informé de données concernant sa santé ou les risques auxquels il s’expose. Mais toutes les informations concernant son état de santé doivent figurer dans le dossier et, si un jour le patient demande à y avoir accès selon les formes prévues par les textes, il devra y trouver la trace complète du suivi et ce, même si cette lecture directe est déstabilisante.

À partir de quel stade des éléments factuels paraissent-ils suffisamment établis pour être considérés comme des informations et devant par conséquent figurer au dossier ?

La loi [CSP, article L1111-7 (7)] retient la formule d’informations « formalisées », ce qui est peu précis. Cette question renvoie à des critères factuels liés à l’approche de chaque professionnel et la loi ne saurait poser un critère général. Pour autant, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, les textes listent un certain nombre d’informations à reporter dans le dossier. Ces préconisations légales et réglementaires s’imposent, sans discussion. Par ailleurs, doivent figurer dans le dossier des données qui ne sont pas encore à strictement parler des informations médicales, entendues comme des faits établis et vérifiés. On peut donner un critère général, mais dans le processus décisionnel, qui se construit par étapes. Entre une première intuition et l’information médicale, il revient à chacun de déterminer le seuil d’élaboration à partir duquel les données deviennent suffisamment tangibles pour figurer dans le dossier. Bien entendu, ces données imparfaites ne seront pas traitées de la même manière qu’une information médicale confirmée par un examen ou un compte-rendu de réunion d’équipe. Tout ce qui peut participer à la qualité de la prise en charge, notamment par le témoignage d’interrogations ou d’incompréhensions, doit figurer dans le dossier. La prise de la décision médicale est difficile et, si le suivi n’a pas à retracer les états d’âme, il est logique que l’on retrouve les éléments du questionnement qui l’ont précédée.

À la suite des textes prévoyant la communication directe du dossier, se sont répandues certaines préconisations selon lesquelles seules devaient figurer les données objectives et vérifiables. Rien ne justifie cette approche psychorigide, sous la seule réserve que la lecture du dossier permette de distinguer ce qui relève du questionnement, de la constatation et de la conclusion. La capacité d’une équipe à s’interroger collectivement, à admettre des points de vue différents, à savoir mettre en doute ses analyses avant la prise de décision, en déterminera la qualité. Aussi, un dossier laissant apparaître, dans un cadre sérieux et organisé, plusieurs points de vue avant la prise de décision n’est pas un dossier incohérent mais, au contraire, le reflet d’une équipe qui sait travailler collectivement, en écoutant les uns et les autres, en se posant des questions, bref, en réfléchissant avant de décider.

La loi du 4 mars 2002 est célèbre pour avoir organisé l’accès direct du patient à son dossier médical. Quel est l’état de la réglementation ?

La pratique prouve que, s’il n’en a pas résulté une déferlante, les demandes de copies de dossiers interviennent désormais régulièrement. Ses modalités de transmission résultent de procédures précises, parfaitement connues auxquelles il convient de renvoyer. En revanche, deux points doivent être notés. Tout d’abord, si la loi a créé cette nouvelle procédure d’accès direct, les patients ont toujours pu préalablement accéder à leur dossier. Cela se faisait dans le cadre de l’expertise judiciaire, ou par une procédure simple engagée devant le juge des référés qui en ordonnait la communication, souvent comme préalable à la décision du patient d’engager, ou non, un recours en justice. Ainsi, la loi a fait passer une étape, sous forme d’une simplification, mais elle n’a pas changé le principe, de telle sorte que cet accès direct ne doit pas modifier les pratiques.

Par ailleurs, sous réserve des dispositions techniques qui visent à écarter du dossier transmis les informations concernant les tiers, il est certain que sa lecture directe peut être de nature déstabilisante pour le patient, quels que soient les soins, mais notamment en psychiatrie (Code de la Santé publique, article L1111-7 alinéa 4, permettant la présence d’un médecin pour les hospitalisations sous contraintes). Cette lecture d’observations professionnelles, à l’état brut, est nécessairement une épreuve. Mais la loi a créé le cadre de cette épreuve, et des patients – pour des raisons qui leur appartiennent – engagent cette procédure. Aussi, c’est leur choix et les professionnels ne doivent pas limiter leurs écrits en pensant que, si un jour le patient a un accès direct, cela pourrait lui être néfaste.

Existe-t-il un statut légal aux notes personnelles ? Peuvent-elles être non consignées dans le dossier du patient ?

Les « notes personnelles » posent un véritable débat. Il n’existe pas de régime légal et la jurisprudence, rare, ne supplée pas. Aussi, c’est par rapport à l’analyse des principes qu’il convient de raisonner. En réalité, tout dépend de la définition de cette notion de notes personnelles. C’est la question des impressions, du ressenti, des interrogations du professionnel de santé, à savoir le chemin de la compréhension d’une situation clinique, évoqué plus haut. À partir de quel moment ces analyses sont suffisamment solides pour figurer dans le document ? Les questionnements, dès lors qu’elles ont un certain contenu, doivent y figurer, en distinguant bien sûr cette phase préparatoire, marquée par le doute et la décision. Le suivi doit être vivant et retracer la méthode de travail de l’équipe. Une bonne démarche inclut les interrogations et le doute.

En revanche, à partir du moment où apparaît dans le dossier des éléments qui permettent de comprendre comment a été prise la décision, il reste objectivement une phase de réflexion qui peut être intuitive, ou d’ordre général, ou de l’aide-mémoire, qui peut amener à rédiger des notes personnelles. Bref, on peut tout à fait défendre qu’il existe pour un professionnel de santé un espace pour des interrogations en conscience qui, à partir de faits peu établis, conduisent à des réflexions et à des interrogations et il peut avoir recours à des notes, non inscrites, car elles sont d’abord une réflexion personnelle du praticien. Quoi qu’il en soit, cette mise à l’abri n’est envisageable que si l’on retrouve dans le dossier médical tous les éléments nécessaires pour comprendre la prise de décision. Une dernière remarque : pour un procès, on se satisfait en règle générale du registre, tel qu’il est géré dans les structures. Mais, dans le cadre d’une enquête pénale, le juge dispose de la possibilité de saisir tous les documents susceptibles d’éclairer l’enquête et ce, y compris les notes personnelles. Le juge devrait justifier que cette mesure, très intrusive, est nécessaire pour la procédure qu’il doit instruire, ce qui est possible, car son instruction concerne les faits eux-mêmes mais également la personnalité.

On entend souvent qu’il ne faut pas trop écrire dans le dossier pour ne pas engager sa responsabilité. Que faut-il en penser ?

En fait, la réalité est exactement l’inverse : c’est l’insuffisance du dossier qui aggrave le risque. La responsabilité repose sur la faute dans la pratique des actes de soins, qui a causé un dommage corporel. Lorsque la justice examine une situation litigieuse, son approche sera radicalement différente selon que l’on trouve un dossier bien tenu ou non. Si le document est mal tenu et que les renseignements sont faibles, le tribunal sera amené à tirer des présomptions à partir des éléments aggravants subis par le patient, pour déduire que les soins n’ont pas été de qualité. L’équipe sera en difficulté pour se défendre, car il lui manquera les éléments basiques de la preuve. De plus, elle apparaîtra négligente dans la tenue des dossiers, ce qui accrédite qu’elle puisse être négligente dans la pratique des soins. Aussi, il est déplorable que cette idée de ne pas trop remplir les dossiers pour ne pas engager sa responsabilité, sur le mode « pas vu, pas pris », puisse encore avoir quelque crédit… Les professionnels doivent donc être bien avisés qu’un dossier mal tenu est le premier pas dans la démonstration de la faute.

1- Loi n°  2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : (suivre petitlien) http://petitlien.fr/79uk

2- Décret n°  2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé en application des articles L. 1111-7 et L. 1112-1 du Code de la Santé publique : http://petitlien.fr/79ul

3- Décret n°  2003-462 du 21 mai 2003 relatif aux dispositions réglementaires des parties I, II et III du Code de la Santé publique : http://petitlien.fr/79um

4- Article R1112-2 du Code de la Santé publique : http://petitlien.fr/79un

5- Article 226-13 du Code pénal : http://petitlien.fr/79up

6- Article L1110-4 du Code de la Santé publique : http://petitlien.fr/79uq

7- Article L1111-7 du Code de la Santé publique : http://petitlien.fr/79ur

RÉFÉRENCES

Contenu et consultation du dossier : que dit la loi ?

CSP, Article L1111-7

→ Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et des établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre les soignants, notamment des résultats d’examen, des comptes-rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et des prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, des feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels, à l’exception des informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers.

→ Le patient peut accéder à ces informations directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et, au plus tôt, après qu’un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé. Ce délai est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de cinq ans ou lorsque la commission départementale des soins psychiatriques est saisie en application du quatrième alinéa.

→ La présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire, pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance, sans accompagnement, ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations.

→ À titre exceptionnel, la consultation des informations recueillies, dans le cadre d’une admission en soins psychiatriques décidée en application des chapitres II à IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du présent code ou ordonnée en application de l’article 706-135 du Code de Procédure pénale, peut être subordonnée à la présence d’un médecin désigné par le demandeur en cas de risques d’une gravité particulière. En cas de refus du demandeur, la commission départementale des soins psychiatriques est saisie. Son avis s’impose au détenteur des informations comme au demandeur.

CSP, Article R. 1112-2

→ Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé. Ce dossier contient au moins les éléments suivants, ainsi classés :

1°- Les informations formalisées recueillies lors des consultations externes dispensées dans l’établissement, lors de l’accueil au service des urgences ou au moment de l’admission et au cours du séjour hospitalier et, notamment :

a) La lettre du médecin qui est à l’origine de la consultation ou de l’admission ;

b) Les motifs d’hospitalisation ;

c) La recherche d’antécédents et de facteurs de risques ;

d) Les conclusions de l’évaluation clinique initiale ;

e) Le type de prise en charge prévu et les prescriptions effectuées à l’entrée ;

f) La nature des soins dispensés et les prescriptions établies lors de la consultation externe ou du passage aux urgences ;

g) Les informations relatives à la prise en charge en cours d’hospitalisation : état clinique, soins reçus, examens para-cliniques, notamment d’imagerie ;

h) Les informations sur la démarche médicale, adoptée dans les conditions prévues à l’article L. 1111-4 ;

i) Le dossier d’anesthésie ;

j) Le compte rendu opératoire ou d’accouchement ;

k) Le consentement écrit du patient pour les situations où ce consentement est requis sous cette forme par voie légale ou réglementaire ;

l) La mention des actes transfusionnels pratiqués sur le patient et, le cas échéant, copie de la fiche d’incident transfusionnel mentionnée au deuxième alinéa de l’article R. 1221-40 ;

m) Les éléments relatifs à la prescription médicale, à son exécution et aux examens complémentaires ;

n) Le dossier de soins infirmiers ou, à défaut, les informations relatives aux soins infirmiers ;

o) Les informations relatives aux soins dispensés par les autres professionnels de santé ;

p) Les correspondances échangées entre professionnels de santé ;

q) Les directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11 ou, le cas échéant, la mention de leur existence ainsi que les coordonnées de la personne qui en est détentrice.

2°- Les informations formalisées établies à la fin du séjour.

Elles comportent notamment :

a) Le compte-rendu d’hospitalisation et la lettre rédigée à l’occasion de la sortie ;

b) La prescription de sortie et les doubles d’ordonnance de sortie ;

c) Les modalités de sortie (domicile, autres structures) ;

d) La fiche de liaison infirmière ;

3° Les informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers.

→ Seules sont communicables les informations énumérées aux 1° et 2°.