« La mutualisation fait réviser les pratiques » - L'Infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014

 

INTERVIEW : ALAIN MOURIER
ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’INSTITUT DU MANAGEMENT DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE (EHESP)

DOSSIER

L’intégration de la fonction achats comme métier à part entière dans le monde hospitalier, a un effet sur les soignants, entre autres, avec la mutualisation qui risque d’éloigner l’achat du terrain. Alain Mourier nous explique les enjeux des mutations actuelles.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment la professionnalisation des achats se répercute-t-elle sur les soignants ?

ALAIN MOURIER : Le programme Phare s’appuie beaucoup sur le dialogue prescripteur-acheteur afin de mieux définir les besoins, de trouver des pistes d’amélioration. Dans une logique de performance économique, il y a un vrai dialogue à créer avec les professionnels pour identifier les pistes de gain possibles : plus on est près des utilisateurs, plus on aura des propositions pratiques intéressantes.

L’I. M. : Comment la mutualisation touche-t-elle les soignants ?

A. M. : Elle pose la question de la place des professionnels de santé. Quand on mutualise les achats, la décision peut se prendre dans un établissement coordonnateur ou une structure de mutualisation. On éloigne, de fait, le lieu de décision des professionnels. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas associés d’une autre manière. Pour que l’achat réussisse, il faut que les soignants puissent se l’approprier. Dans le cadre d’un achat mutualisé, une double implication est donc nécessaire. En amont, le coordinateur doit associer les professionnels dans des réunions de préparation des marchés. Et, une fois le marché attribué, un travail descendant doit être effectué pour que les professionnels comprennent les choix. Ce n’est pas toujours évident à ce stade-là. Les responsables achats des établissements doivent représenter une courroie de transmission.

L’I. M. : Existe-t-il des produits plus sensibles à la mutualisation que d’autres ?

A. M. : Sur les dispositifs médicaux dépendants d’un seul opérateur, par exemple, il existe des techniques tel que l’accord-cadre multi-attributaire qui permet de sélectionner et de référencer quatre ou cinq fournisseurs.

Ensuite, les établissements adhérents peuvent réaliser un marché subséquent dans ce cadre-là. Et ils feront leur choix parmi les fournisseurs retenus. Cette formule à deux étages permet de laisser une part de choix au local. Pour les soignants, il existe des produits sensibles. Si l’on prend les matériels d’incontinence, le changement de fournisseur implique des changements de pratique. Un travail d’adaptation est à faire.

Que l’achat soit mutualisé ou pas ne change rien, mais il est plus facile pour un acheteur d’associer des professionnels de son établissement dans la préparation, dans les choix et dans les tests.

L’I. M. : Cette professionnalisation a-t-elle changé la manière de travailler des soignants ?

A. M. : Pour mutualiser, il faut forcément mettre tout le monde d’accord sur des standards et des références communes. Ce qui suppose de réviser les pratiques et les modes opératoires. En ce sens, l’effet peut être positif car c’est aussi l’occasion de faire un état de l’art, de choisir ce qui est le plus pertinent.

L’achat mutualisé peut permettre également de décloisonner les pratiques hospitalières. La tendance aujourd’hui, avec le taux de mutualisation en augmentation, va dans le sens d’une homogénéisation des pratiques. Toutefois, il ne faut pas caricaturer : il y a de la place pour des pratiques différentes.

L’I. M. : Comment a évolué le regard porté par les soignants sur les achats ?

A. M. : Ils sont davantage concernés. Cela, en raison de la réorganisation des hôpitaux en pôle, même si je ne suis pas sûr que toutes les infirmières se sentent concernées par ce changement de gouvernance.

On cherche à sensibiliser les professionnels du soin sur cette nouvelle organisation, à leur donner plus de marge d’action sur la gestion d’un pôle. Ils vont être plus exigeants en termes d’achats, car les dépenses qui leur sont imputées intègrent les achats pour une part non négligeable.

L’I. M. : Quel rôle peuvent jouer les infirmières et les cadres de santé ?

A. M. : Nous voyons apparaître des cadres de santé qui intègrent la fonction achats en tant qu’acheteurs ou conseillers pour apporter leurs connaissances du domaine concerné ou, plus largement du terrain, et une vision plus parlante de ce que l’on peut faire. Même s’il en existait avant, la tendance reste assez récente.