Parenthèse enchantée - L'Infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013

 

AIDANTS

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

L’initiative est encore unique en France : le village de la Salamandre accueille près d’Angers des personnes handicapées et leur famille pour leur donner un vrai moment de répit physique et psychologique. Une formule salutaire pour tous.

En cette belle matinée de la fin juillet, la campagne angevine resplendit. Le soleil brille, la température est déjà agréable… Un cadre idéal pour profiter de ses vacances. Encore attablée pour le petit déjeuner, la famille Sire s’interroge sur LA question du jour : quel sera son programme du lendemain ? Optera-t-elle pour la visite d’une entreprise de fabrication de liqueur ou pour celle du château de Serrant ? Ici, comme dans n’importe quel lieu de vacances, les heures se succèdent tranquillement. Les activités ne sont que des prétextes pour profiter du temps passé ensemble, loin des obligations matérielles et professionnelles. À la différence près que, pour cette famille, ce qui semble simple et à la portée de tous aurait pu s’avérer trop compliqué… Au « Village répit familles » de la Salamandre, créé par l’Association française contre les myopathies et ouvert en janvier dernier dans les environs de Saint-Georges-sur-Loire, à vingt kilomètres d’Angers, tout est conçu pour rendre possible cette « parenthèse enchantée ». Les résidents accueillis sont atteints d’une maladie rare, neuromusculaire ou neurologique. Ils sont nécessairement accompagnés par des membres de leur famille. C’est là toute l’originalité de l’initiative qui doit se développer dans les prochains mois avec l’ouverture d’un second village répit à Saint-Lupicin, dans le Jura, au printemps 2014, et celle de trois autres structures du même type, ultérieurement. « Une enquête a été menée par l’AFM auprès des adhérents sur les besoins des aidants familiaux et a révélé une forte demande de ce temps de répit de la part des familles, explique Mireille Boisseau, responsable de la Salamandre. Nous sommes témoins d’une détresse physique et psychologique importante. Beaucoup de parents sont très fragilisés. Physiquement, ils peuvent souffrir de douleurs dorsales, aux bras, aux cervicales, aux lombaires… Par la prise en charge médicale de l’enfant ou du parent handicapé sur une semaine ou deux, durée maximale du séjour, on les soulage. Grâce à cet environnement sécurisant, car sécurisé, nous leur offrons un réel repos mental. »

Un répit indispensable

Apporter une réponse à la fatigue des aidants familiaux est un enjeu crucial pour l’association. « Plus tôt on agit en prévenant ainsi le burn-out des aidants, plus on permet de poursuivre une vie autonome », observe Pascal Melin, directeur de la résidence Yolande-de-Kepper, seul établissement géré par l’AFM, qui comprend notamment une maison d’accueil spécialisé (MAS) de 54 places et dont dépend le village répit. Les proches ne s’autorisent pas souvent ce moment de repos, poursuit ce dernier. Ce qui est dommageable. La semaine prochaine, nous recevons une famille qui, si elle avait bénéficié de ce temps, ne se serait sûrement pas retrouvée au stade d’épuisement où elle est… »

La famille de Bernard vient à la Salamandre pour la deuxième année. C’est dire si elle y a trouvé la formule idéale. « Au début des années 2000, nous avons passé des vacances en Dordogne, à Marciac, à Lourdes, raconte Bernard. Puis, nous ne sommes plus partis pendant cinq ans. Pour des questions d’ordre financier, et parce que nous avions trop peur des surprises concernant la configuration du logement et l’organisation pratique de nos vacances. Nous avons ensuite séjourné deux fois dans une maison familiale adaptée au handicap, en Bretagne. Il faut dire que j’avais moins de besoins spécifiques qu’aujourd’hui : je pouvais monter dans une voiture “normale”, me passer d’un lève-personne… Un gîte adapté mais relativement standard nous convenait. » La découverte du village répit et sa proximité du domicile familial, aux Herbiers, en Vendée, soit à une heure trente de route, sont arrivées à point nommé. Les huit logements du village sont vastes, ce qui permet de se déplacer en fauteuil électrique. Il y a quelques mois, trois fauteuils ont réussi à cohabiter dans un même gîte. Les largeurs de porte ont été étudiées et adaptées dans ce sens. Les portes se ferment par un système automatique. Tout l’environnement du site, accolé à la maison d’accueil spécialisé, offre des conditions de déplacement optimales. Un chemin a même été aménagé pour relier en toute sécurité le bourg de Saint-Georges-sur-Loire. Un chemin testé (et approuvé !) par la famille Sire la veille.

Outre les conditions d’hébergement, la présence de personnel soignant spécialisé dans le public handicapé est devenue essentielle pour Bernard et son épouse, Roselyne. Le programme de prise en charge a été élaboré en amont de l’arrivée sur place. Y sont notés par la famille les besoins en soins (par exemple, le passage ou non du kiné), le choix pour les repas, la présence d’une personne la nuit… Un dossier médical complété par le médecin traitant est également demandé, auquel sont joints les comptes-rendus médicaux. Les professionnels libéraux qui interviennent éventuellement à la maison sont sollicités de la même manière. Le premier matin, une rencontre avec le médecin de la MAS est prévue. Ce dernier s’assure que la prise en charge est adaptée et refait les prescriptions qui serviront au personnel soignant. Pour Bernard, le suivi organisé au village est l’équivalent de celui dont il bénéficie chez lui. En réalité, c’est une version « light ». Comme souvent pendant leur séjour, les résidents « se mettent en vacances » de certains soins. L’après-midi à Saint-Georges-sur-Loire est ainsi entièrement consacré à sa femme et à sa fille, Rachelle.

Petit-déjeuner en famille

Soucieux de voir sa femme bien profiter de ce temps de répit, Bernard regrette de ne pas avoir demandé une aide humaine pour l’aider à se coucher. Cette intervention l’aurait pourtant bien soulagée puisque c’est elle qui s’en occupe le reste de l’année. Pour le reste, rien à changer : le passage d’une aide-soignante pour le lever, et de l’infirmière recrutée spécifiquement en juin pour le village répit(1), qui se charge d’effectuer la première piqûre d’insuline, permet à la petite famille de se retrouver autour du petit-déjeuner. Un deuxième passage est planifié pour la toilette et l’habillage. Et, en fin de matinée, l’infirmière revient pour contrôler à nouveau la glycémie. Ce midi-là, c’est Floriant Chevalier, jeune infirmier recruté à la résidence Yolande-de-Kepper en décembre dernier, qui passe en l’absence de sa collègue. « J’ai déjà travaillé auprès de personnes handicapées, à leur domicile, explique-t-il. Je retrouve donc cette relation. Dans ce contexte de “répit”, notre intervention, qui nous place d’emblée entre l’aidant et la personne handicapée, doit permettre à cette dernière de retrouver des liens réellement familiaux. Sinon, quand les parents se chargent d’une grande partie des soins, les relations sont souvent bouleversées. Durant le séjour, les aidants se focalisent sur la relation. Je me souviens d’une famille venue en juillet. La maman a eu du mal à lâcher prise. Elle surveillait ce que nous faisions, nous donnait des conseils… Et puis, progressivement, elle s’est mise en retrait. C’est salutaire aussi pour la personne handicapée, qui se rend compte qu’elle peut ainsi “protéger” son parent. »

Quelle que soit la nature de la prise en charge médicale, parfois très lourde, avec des pansements de gastrotomie, des changements de canule pour trachéotomisés, par exemple, l’idée est bien d’assurer le suivi médical sans trop perturber ce temps de relations privilégiées intra-familiales. Pour Roselyne, mention spéciale à l’organisation des repas. « J’apprécie particulièrement le fait de ne pas devoir m’occuper de la cuisine !, se réjouit-elle. On prend nos repas à la cantine de la MAS. L’autre famille, présente en même temps que nous, a préféré faire porter ses repas au gîte. Chacun peut faire comme il veut. » Les lits prêts à leur arrivée ont également bien plu à l’épouse de Bernard. Un contexte favorable au repos, en somme.

1– Avant juin, une convention signée avec le centre de soins infirmiers de Saint-Georges-sur-Loire cadrait les interventions libérales.