Coordonner, c’est soigner - L'Infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 307 du 15/09/2012

 

ORGANISATION

DOSSIER

Au quotidien, la multiplicité des acteurs caractérise la prise en charge des personnes âgées dépendantes. D’une meilleure communication à la création d’un réseau, des remèdes existent.

La fragmentation de la prise en charge, les différents statuts des acteurs (public, privé, libéral…), la diversité des rémunérations (à l’acte, à l’heure…), ainsi que leur mauvaise coordination, peuvent avoir de lourdes conséquences pour les personnes âgées dépendantes. Notamment, une complexité pour les proches, une iatrogénie médicamenteuse, des hospitalisations en urgence évitables, une difficulté à retourner à domicile, des perturbations de la personne vivant chez elle, des tensions dans la répartition des tâches… Entre la ville et l’hôpital, le service social a des missions de coordonnateur, commente Jeanne Lauroua, directrice de soins. « Les services sociaux des hôpitaux ont joué un rôle dans le progrès des retours à domicile, ajoute Nicole Faget, présidente d’honneur de l’Union nationale des associations et services de soins infirmiers(1). Nous constatons aussi une meilleure connaissance, à l’hôpital, du rôle des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). » À domicile, c’est le médecin généraliste qui est censé coordonner. Mais l’infirmière joue un rôle clé. Ce travail de la libérale commence d’ailleurs à être reconnu financièrement, avec la récente instauration d’une majoration dite de coordination, réservée, pour l’heure, à la prise en charge de certains patients, en soins palliatifs entre autres(2). L’infirmière est, selon la cadre de santé Josette Vuidepot, « la seule généraliste, alors que les autres intervenants dans la maison sont spécialisés. Elle a une vue plus globale, centrée sur la personne et sa situation, et pas seulement sur la maladie. » Son exercice de coordination passe par un questionnement permanent : “Est-ce que je laisse un mot ? Dois-je prévenir le médecin, la famille, le service social ?” » Selon une étude de l’Ordre national des infirmiers (Oni), 86 % des infirmières en charge de personnes dépendantes estiment faire de la coordination quotidiennement ou régulièrement(3).

L’aidant familial, acteur incontournable

En fait, il y a deux types de coordination, selon le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM)(4) : la synthèse médicale (faite de diagnostics, de prises de décision d’orientation sanitaire et sociale), et la coordination soignante et sociale (au quotidien). Une IDE peut assurer cette seconde mission. La Fédération nationale des infirmiers milite d’ailleurs pour l’institution d’un infirmier référent ou de famille(5). Le sociologue Loïc Trabut, quant à lui, note que l’aide à domicile constituant « le dernier recours, c’est sur elle que tout retombe quand les autres acteurs s’en vont ». Elle est aussi celle qui assure la plus grande autonomie de la personne, celle-ci étant en position d’employeur. Pourtant, elle est « la moins protégée et la moins reconnue ». Pire, nombre d’associations du secteur, hier en situation de quasi-monopole, souffrent de fragilité financière en raison de la concurrence d’entreprises privées employant, pour certaines, du personnel à de plus bas salaires.

Mais, tous s’accordent pour dire que le principal coordinateur est l’aidant familial, qui assure 85 % de l’aide(6). Au nombre d’environ quatre millions en France, ils sont peu reconnus, ne disposant dans notre pays que d’un congé de solidarité familiale de trois mois renouvelable et non rémunéré. Leurs situations peuvent être délicates. « Parce que les enfants sont très inquiets, qu’ils habitent loin, travaillent, culpabilisent ou ont du mal à accepter les risques de chute ou d’isolement inhérents au maintien à domicile, énumère Joëlle Servins, infirmière coordinatrice d’un réseau gérontologique à Saumur. Nous leur rappelons très souvent que le patient prend des risques, mais que c’est son choix. Nous disons à la famille : “Vous avez peur de la chute, mais, en institution aussi, ça peut arriver.” Nous aidons les proches à exprimer leurs craintes, nous les conseillons sur des téléalarmes ou des gardes de nuit itinérantes. Nous gérons aussi des conflits dans les familles, des choses qui apparaissent mais n’avaient jamais été dites, et pouvons discuter de la place de chacun. »

Expliquer, organiser, soigner

Pour aider les salariés en entreprise à mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle, des formations s’instaurent. Elles ont des vertus. « Un aidant renoue le contact avec un proche atteint de démence, un autre maîtrise son état de colère face à la situation, un autre, encore, est mieux armé pour s’enquérir des aides à obtenir, un autre, enfin, se positionne mieux face à des professionnels de santé pour prendre avec eux la bonne décision », observe Josette Vuidepot. Car des tensions peuvent se faire jour entre familles et professionnels. Certains proches se sentent à la merci des intervenants, ne comprenant pas ce qu’ils font. « On les rend méfiants, et ils se mettent très vite à avoir de mauvaises idées : il faut avoir une relation transparente. » Imaginons, en Ehpad, une personne devenant subitement incontinente. Si la famille n’a pas été informée de la possibilité d’une telle dégradation, elle est légitimement choquée quand elle découvre son proche souillé dans ses vêtements. Josette Vuidepot, à domicile comme en établissement, plaide pour un trépied entre le proche, sa famille et les professionnels de santé. « Les aidants familiaux sont des experts de la personne, les infirmières, des expertes des soins : il y a complémentarité. » En Ehpad, une infirmière référente, qui a la vision plus globale, peut intervenir comme médiateur(7). Le problème, c’est que cette activité de soutien aux aidants naturels « est souvent délaissée, faute de temps », remarque une IDE dans l’étude de l’Oni. Une meilleure coordination tient d’abord à une meilleure connaissance des autres acteurs, de leurs compétences, de leurs contraintes, de leurs limites. La coordination, réaffirmée dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires, « demande du temps et ne se décrète pas, souligne Nicole Faget. Il est possible, par exemple, de se servir de l’évaluation interne d’un Ssiad pour tisser des liens avec l’extérieur. » Le regroupement de structures peut être plus formel, notamment par des services polyvalents d’aide et de soins à domicile, encore rares. Initiative récente : les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer (Maia), structures de prise en charge destinées à des patients complexes, et généralisées depuis 2011 à toute personne âgée en perte d’autonomie fonctionnelle, avec l’instauration de gestionnaires de cas. Existent également, sur une partie du territoire, des réseaux de santé « personnes âgées », qui effectuent une évaluation gérontologique à domicile, prennent en charge la dépendance et accompagnent la fragilité. Disposer d’un tel regroupement de structures avec une équipe de pilotage légitimée par les partenaires permet de résoudre certains conflits. Ainsi, après deux ans et demi de réunions entre partenaires, le réseau nancéien Gérard-Cuny a réalisé une plaquette qui met au clair les rôles des aides à domicile, des aides-soignantes de Ssiad, des infirmières libérales(8). De même, en lien avec les Ssiad et les infirmières libérales, il a créé un numéro unique pour l’entrée d’un patient dans l’un des Ssiad de son territoire, évitant certaines anicroches. « Souvent, quand la personne hospitalisée a besoin de soins infirmiers à la sortie, le service hospitalier l’inscrit à un Ssiad même si elle a déjà une infirmière libérale », justifie le médecin coordinateur du réseau, Éliane Abraham. Comme au niveau politique, il ne s’agit pas forcément, au quotidien, sur le terrain, d’ajouter des acteurs, mais de mieux les coordonner. Parfois la communication passe par des gestes simples, par exemple l’indication, sur une affiche punaisée à un mur du domicile, des interventions de la semaine. Le HCAAM n’a pas tort : « Coordonner les soins, c’est encore soigner. »

1– www.unassi.fr

2– Dans cette même optique, la mise au point d’un nouveau dispositif d’intervention des libérales auprès des personnes âgées dépendantes a été annoncée avant le 31 décembre 2012.

3– Voir bit.ly/MY7xW2

4– Voir bit.ly/MY0D5c

5– Voir bit.ly/LHAv0n

6– En Europe. Voir bit.ly/N2UogV

7– Lire article de l’Anire : bit.ly/MpIIoS

8– bit.ly/LFEOLD.