Pour mieux retrouver son image - L'Infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012

 

ATELIER MAQUILLAGE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

À Caen, un atelier de maquillage médical correcteur a vu le jour grâce à la ténacité de quelques passionnés. En maquillant des visage abîmés, ils aident à retrouver le courage d’affronter le regard des autres et l’envie de vivre.

C’est à peine si on les remarque en entrant dans la pièce. Deux fauteuils pivotants placés face à des miroirs encadrés de néons, et, devant chacun d’eux, une tablette. Un peu comme dans une loge d’artiste, sauf que nous sommes dans une salle d’ordinaire dédiée à une consultation de chirurgie. Pourtant, chaque deuxième vendredi du mois, ce n’est pas un chirurgien qui consulte dans ce local de la clinique de la Miséricorde de Caen (Calvados), mais un atypique trio, composé d’un dermatologue, d’une infirmière et d’une esthéticienne. Avec pour outils de travail des accessoires de maquillage et des produits cosmétiques dermatologiquement sûrs des laboratoires La Roche-Posay, Avène ou Vichy, des blouses blanches, un appareil photo et des questionnaires de satisfaction, tous trois animent l’atelier de maquillage médical correcteur de cet établissement privé à but non lucratif.

Certaines participantes viennent parfois de loin pour apprendre à corriger elles-mêmes des imperfections cutanées plus ou moins marquées, dues à des maladies de peau, à des interventions chirurgicales ou à des accidents. Envoyées par un médecin généraliste, un dermatologue, un oncologue, un chirurgien, ou bien tout simplement informées grâce aux affiches et aux plaquettes de présentation de l’atelier, les personnes prennent rendez-vous auprès du secrétariat de la clinique pour une consultatioin gratuite. Dans un cadre détendu, chaque séance commence par un entretien aussi informel que possible : il s’agit de comprendre précisément ce qui gêne la personne dans son apparence. Une étape d’autant plus importante que la réponse n’est pas toujours évidente. Parfois, la lésion cutanée n’apparaît pas au premier coup d’œil, comme pour Tiffany, lycéenne de terminale, qui camoufle ses pommettes frappées d’intenses rougeurs sous une épaisse couche de fond de teint. Dans d’autres cas, ce qui semble le plus disgrâcieux au professionnel n’est pas ce qui incommode le plus la personne. « Il y a des lésions très importantes que les gens ne vivent pas si mal, et vice-versa », constate le dermatologue libéral Philippe Deshayes. Une fois au fait du but à atteindre, commence pour les professionnels un travail de tâtonnements pour trouver les produits dont la teinte et la texture conviennent le mieux à la peau considérée. Puis, l’esthéticienne ou l’infirmière procèdent au maquillage correcteur en commentant leurs gestes. « C’est toute une technique à apprendre, observe l’infirmière Marie Lami. On ne met pas ça comme une crème de jour ! » Il faut plutôt « tamponner grossièrement avec un pinceau ou les doigts, pour obtenir un effet homogène », continue-t-elle.

Image de soi

Le maquillage agit sur deux leviers, explique le Dr Deshayes : « Cacher, estomper la lésion, et attirer le regard vers une autre partie du visage que l’on souhaite mettre en valeur. » Une fois qu’il est réalisé, l’avis de la personne est systématiquement sollicité. Si elle est satisfaite, son visage est démaquillé afin qu’elle se remaquille elle-même à l’identique, guidée dans ses gestes par l’infirmière ou l’esthéticienne. Ces dernières sont supervisées par le dermatologue, qui répond par ailleurs volontiers aux questions et délivre de précieux conseils. Après le maquillage correcteur, un maquillage esthétique est systématiquement proposé, voire une épilation des sourcils. L’important est que la patiente reparte contente. Il en va de l’image de soi : certaines femmes ne s’étaient jamais maquillées avant l’atelier, d’autres avaient renoncé à le faire depuis qu’elles portaient une cicatrice. C’est donc un véritable « cercle vertueux » qui s’enclenche, où la participante, se trouvant d’un coup jolie, recommence à s’habiller, à sortir…, s’enthousiasme le Dr Deshayes. Au bout d’une heure, elle repart maquillée et munie de la liste des produits utilisés, elle connaît les zones où les appliquer et selon quelle technique.

Qualité de vie

Cet atelier, la clinique de la Miséricorde le doit à Philippe Deshayes. « Il y a quinze ans, on soignait la couperose au laser, ça provoquait des rougeurs. J’ai commencé à maquiller, j’étais le seul à le faire à l’époque », témoigne-t-il. Persuadé que le maquillage correcteur « améliore la qualité de vie » des patients, il participe à une formation au maquillage organisée par le laboratoire La Roche-Posay pour des dermatologues. C’est là qu’il rencontre le maquilleur professionnel Alain Barthélémy (disparu depuis), connu pour ses travaux avec les grands brûlés. Définitivement convaincu, le médecin n’aura de cesse, dès lors, de militer auprès de ses collègues, libéraux comme hospitaliers, en faveur du maquillage correcteur. Une bonne douzaine d’ateliers se sont ainsi créés en France, « le dernier à Créteil, le prochain à Nancy », détaille le Dr Deshayes. Le terme de « maquillage » ayant une connotation frivole, susceptible de rebuter certains patients – des femmes en majorité, mais également des hommes et des enfants –, ces ateliers devaient être accueillis dans un environnement médical, le plus souvent hospitalier, et animés par de rassurantes blouses blanches. Une logique qui a aussi conduit le dermatologue à vouloir s’entourer d’infirmières. « En matière de relationnel et d’hygiène, une esthéticienne ou une maquilleuse sont loin d’arriver à des résultats comparables à ceux d’une infirmière, habituée au contact avec un patient et non pas avec un client », argue-t-il. Certaines esthéticiennes sont réticentes à maquiller des personnes porteuses de lésions, refusant de toucher à une cicatrice fraîche ou à une acné purulente, observe-t-il. A contrario, une infirmière aura le réflexe de « nettoyer le crayon ou le pinceau entre deux personnes », souligne le spécialiste.

Souffrance psychique

Pour autant, côté soignants, la démarche n’a rien d’évident. Quand le Dr Deshayes a lancé l’appel à candidatures à la clinique de la Miséricorde, seules deux infirmières se sont manifestées. « J’étais très sceptique, se souvient Marie Lami. « Je me disaisJe ne suis pas esthéticienne, quand même!”, j’avais l’impression d’être rétrogradée », poursuit l’infirmière de 56 ans. « C’est une aide-soignante qui m’a finalement convaincue de postuler. Elle avait compris la dimension soignante de cet atelier », raconte-t-elle. « On travaille avec des gens qui ont été malades, c’est pour ça que le Dr Deshayes voulait une infirmière », comprend aujourd’hui celle qui manie allègrement mascaras, fars à paupières, crayons à yeux, pinceaux, coton-tiges, crèmes pigmentées et autres bâtons de rouge à lèvres. Car, sous des dehors physiques, le soin est largement psychologique. D’autant que la souffrance psychique n’est jamais loin, comme chez Sylvie, 32 ans, atteinte dans sa jeunesse d’un lymphome auquel elle doit une nécrose sous l’œil. Une simple question sur ce qui lui est arrivé déclenche une avalanche de paroles, bientôt mouillée de larmes, à l’évocation du « changement radical » qui a bouleversé sa vie « du jour au lendemain », de l’incompréhension de ses jeunes enfants en voyant leur mère porter « des lunettes noires en plein hiver », ou encore du regard de son mari… Il s’agit alors pour l’infirmière d’écouter et de trouver les mots justes, ou le juste silence. Marie Lami l’avoue, elle qui travaille pourtant à plein temps aux urgences : « Je ne pourrais pas faire ça tous les jours. Il y a une telle souffrance ! C’est très intense, et il faut prendre du recul. En fin de journée, je suis épuisée. »

Des liens d’amitié

Un soin à part entière donc, que l’infirmière, par ailleurs référente douleur de son établissement, a présenté avec succès au Centre de lutte contre la douleur. Pour cette ancienne comptable, qui, dans sa carrière d’infirmière, a travaillé « trois ans au bloc opératoire, où l’on ne peut pas parler, l’intérêt de ce travail, c’est le relationnel ». Elle entretient d’ailleurs une relation de nature quasi amicale avec deux habituées de l’atelier, dramatiquement blessées il y a plusieurs années. L’une a été brûlée par accident, et l’autre a subi une agression au vitriol, par un inconnu, alors qu’elle marchait tranquillement dans la rue. Ces deux femmes au visage atrocement mutilé, terriblement éprouvées dans leur chair, sont passées à deux doigts de l’anéantissement physique, psychique, familial et social. Leur courage et leur capacité de résilience forcent le respect et l’admiration de l’infirmière.

Pour ces survivantes, l’atelier a aussi été le lieu de la rencontre et du partage d’expériences, qui a permis à l’une de recommander une chirurgienne pour le plus grand profit de l’autre. Ces moments privilégiés ont été le théâtre de rapports humains chaleureux et empathiques qui, pour Marie Lami, constituent « une leçon de vie ». Encore mieux, sur le long chemin de la guérison, « c’est la cerise sur le gâteau ! », témoigne, pour sa part, Caroline, pétillante sexagénaire irlandaise, à l’humour intact malgré les nombreuses opérations et greffes de peau qu’elle a dû subir.

ZOOM SUR…

L’investissement de Marie Lami

Pour quelqu’un qui avait de gros doutes sur son envie de participer à un tel atelier, le moins que l’on puisse dire, c’est que Marie Lami s’investit dans la vie de l’atelier de maquillage médical correcteur de Caen. Avec une autre collègue infirmière, la soignante a d’abord dû suivre une formation en trois temps : « Une infirmière esthéticienne est venue pendant trois jours nous former aux produits et aux techniques ; Philippe Deshayes nous a formées aux pathologies dermatologiques (qu’est-ce qu’un cloasme, un angyome… ?), puis nous sommes allées deux jours à Paris chez un professionnel de l’esthétique », témoigne-t-elle. Il a ensuite fallu faire connaître l’atelier. Pour ce faire, Marie a participé à la réalisation d’une vidéo de 5 minutes (désormais visible sur le site Internet de la clinique), qu’elle a présentée, avec le Dr Deshayes, devant un large auditoire, lors du 10e Congrès de la Société française de traitement et d’étude de la douleur, en 2010, à Marseille. Sans compter la rédaction d’articles, les interventions en Ifsi, au centre anti-douleur du CHU de Caen ou au centre de lutte contre le cancer François-Baclesse, que l’infirmière prépare sur son temps personnel, sans rémunération additionnelle.

L’AVENIR EN QUESTION

COMMENT PÉRENNISER LES SÉANCES ?

Si un atelier de maquillage médical correcteur comme celui de Caen est facile à monter, sa pérennisation est en revanche moins évidente. Son fonctionnement, pour l’heure artisanal, repose essentiellement sur la bonne volonté des parties prenantes : le dermatologue libéral est bénévole, l’infirmière est détachée par son établissement, l’esthéticienne indemnisée. Le trio officie dans un local prêté par la clinique, avec des produits donnés par les laboratoires. Une petite subvention publique allouée dans le cadre du plan cancer régional permet de financer l’intervention de l’esthéticienne et l’achat de matériel de maquillage. Mais Marie Lami s’inquiète. « Il faut sans cesse se battre », confie-t-elle. En effet, en cas d’absence se traduisant par un manque d’effectifs dans l’établissement, l’atelier n’est pas prioritaire. Avant de prendre sa retraite, l’infirmière aimerait asseoir l’atelier et le développer, lui trouver un lieu dédié, « plus convivial et plus chaleureux » et, pourquoi pas, en augmenter la fréquence, voire les prestations. À cette fin, Marie Lami s’est rendue à Marseille fin avril, pour y suivre une formation de deux jours au tatouage médical (sourcils, lèvres, seins). À terme, le modèle économique de l’atelier devrait aussi changer. « Faut-il faire payer ? », s’interroge le Dr Philippe Deshayes. « Souvent, les gens nous demandent “combien je vous dois” ? », note-t-il. Et d’estimer qu’« il faudrait coder » cette activité « pour justifier le travail de Marie ». Mais comment faire ? À Nantes, cela entre dans l’éducation thérapeutique, observe le dermatologue.

CONTACT

Atelier de maquillage médical correcteur, à la Clinique de la Miséricorde, 15, rue des Fossés Saint-Julien, 14000 Caen. RV de 9 h à 17 h tous les 2es vendredis du mois.

Réservation au 02 31 38 50 29.

www.fondationmisericorde.fr