La vie en pente douce - L'Infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 279 du 15/05/2011

 

MAISON DE L’AMITIÉ

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

À Albi, retraités et personnes âgées bénéficient d’un lieu d’hébergement, de partage et d’activités bien à eux. La Maison de l’amitié répond aux besoins de ses adhérents, dans un esprit de bientraitance.

Neuf heures. Dans les rues désertes, le passé historique d’Albi (Tarn) joue à cache-cache avec l’architecture aux accents méditerranéens. À cinq minutes de la cathédrale Sainte-Cécile et du cloître Saint-Salvy, la Maison de l’amitié(1) est en éveil. Certains résidents sont déjà sur le pont, tandis que d’autres prennent leur petit déjeuner « chez eux ». Pas de branle-bas de combat ; les toilettes pourront avoir lieu à toute heure de la journée. Chacun vit à son rythme, comme dans une vie ordinaire.

Lieu d’accueil et d’hébergement pragmatique, ouvert et laïque, la Maison de l’amitié propose et initie des projets de vie individualisés. L’établissement est composé de plusieurs bâtiments appartenant à la mairie d’Albi, inscrits à l’inventaire des monuments historiques et disposés autour d’une cour intérieure. Un Ehpad, un foyer logement et un centre d’accueil de jour autonome (« Le Petit Cantou ») y cohabitent. Résidents et visiteurs partagent activités, repas ou moments de détente, entourés de bénévoles retraités. Nicole Camboulive est le maître à bord de cette structure protéiforme. Militante et humaniste, elle dirige, depuis près d’un quart de siècle, ce paquebot ouvert à tous, amarré au cœur des rues piétonnes. À l’intérieur comme à l’extérieur de la Maison, l’animation fait partie du quotidien.

Ce matin, dans l’une des salles communes de l’établissement, ça sent la fleur d’oranger et le beignet. Comme chaque mercredi matin, une poignée de très jeunes enfants de la crèche L’Oiseau bariolé viennent passer quelques heures au centre d’accueil de jour, qui peut recevoir 15 personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés. Ils se mêlent aux aînés dans un échange joyeux. « Les petits ne voient pas la maladie, et les malades les considèrent comme leurs petits-enfants. Ils retrouvent une posture : tout cela ­s’inscrit dans la mémoire émotionnelle. Ce qui est bien se traduit par du bien-être. Ici, on est dans la pacification des troubles émotionnels », explique la directrice.

Générations rassemblées

La Maison de l’amitié est née en 1972, sous l’impulsion d’un groupe de retraités animés par un esprit de solidarité et d’entraide. Avec une équipe de bénévoles (la Maison en compte environ 130 actuellement), ils décident de récupérer cartons, chiffons, bric-à-brac pour les vendre à des entreprises de récupération. « Ça a permis de rénover la Maison, puis de créer un restaurant ouvert à tous les adhérents afin qu’ils puissent, pour une somme modique, manger de façon équilibrée. » Aujourd’hui encore, les repas, variés et proposés en self-service, sont un des repères essentiels de l’établissement. Nicole Camboulive ajoute : « À 80 ans, qu’est-ce que ça peut faire que l’on ait envie d’une pâtisserie tous les jours ? Dimanche, on ne sera peut-être plus là… »

Pas question qu’une personne âgée finisse ses jours dans la frustration. Il n’est pas rare que des proches, jeunes ou moins jeunes, viennent s’attabler au foyer-restaurant. On retrouve parfois quatre générations assises côte à côte. D’ailleurs, la famille vient quand elle le veut et a la possibilité de rester dormir dans l’appartement de son parent.

Laure Bacabe est l’infirmière des lieux : « Ici, on apporte de la bientraitance. Dans un établissement, on peut mettre de la douceur. » Une infirmière libérale vient le week-end. On veille particulièrement à ce que la collectivité ne crée pas de barrières : horaires, obligations, contraintes. L’objectif ? Le résident ne doit pas perdre le sentiment qu’il contrôle sa vie. « Une vie peut être longue, constituée d’étapes ; à chacune d’elles, il y a de l’espoir à créer. Quand quelque chose finit, quelque chose d’autre commence », ajoute la directrice. Ici, pas de « vous ne pourrez plus » ou de « vous devez » : à la vieillesse, la maladie ou la précarité ne vient pas s’ajouter le renoncement. Chacun reste une entité, quelqu’un, avec sa propre histoire, ses choix, ses envies. « C’est à nous d’apporter notre petite pierre, de faire avancer les choses », poursuit l’infirmière. Et puis, personne ne reste couché dans la journée. Verticaliser les résidents est un maître mot dans ces lieux. Un management particulier, prenant en compte la personne âgée tout entière et pas seulement ses besoins vitaux, a été mis en place. Les blouses sont interdites au personnel, et les résidents arrivent avec leurs affaires à eux : « C’est un bienfait de dormir dans ses propres draps ! », commente une aide-soignante. Ils peuvent également changer le papier peint de leur appartement ou amener leur animal de compagnie s’il ne nuit pas à la tranquillité des voisins. Dans ce milieu de vie « ordinaire », comme se plaît à le spécifier Nicole Camboulive, le projet d’établissement est porté par l’ensemble des acteurs : conseil d’administration, résidents et familles. Un médecin coordonnateur passe régulièrement et travaille en lien avec l’infirmière et les médecins référents de chaque résident, dont les pathologies sont le plus souvent en rapport avec la vieillesse : diabète, cancer, désorientation, maladie d’Alzheimer et troubles apparentés…

De joyeux moments

Sous un ciel uniformément bleu, Albi est en fête. C’est le carnaval et, dans les rues, les enfants défilent en costumes. Dans la cour de la Maison, Roger fume à l’ombre d’un arbre, tandis que Simone et Gisèle tricotent sous l’œil attentif d’une aide médico-psychologique. Quant à Sabrina Corre, autre AMP, elle prépare sa petite troupe de six résidents à partir en balade, accompagnée par Virginie, auxiliaire de vie stagiaire. La doyenne, âgée de 96 ans, est installée dans une chaise roulante, tout de rose vêtue. « On organise des sorties chaque semaine, c’est toujours un moment joyeux, mentionne Sabrina, et c’est très bénéfique. Avec une vie réduite au minimum, le syndrome de glissement serait difficile à rattraper. » Un seul but : répondre aux besoins de la personne. Chaque intervenant de l’équipe travaille onze heures par jour sur un roulement de 14 jours, soit 6 jours et demi de travail en discontinu et 7 jours et demi de repos. Tout le personnel s’inscrit dans une démarche spécifique de bientraitance, au-delà des soins techniques : écoute, communication verbale et non verbale, regard, toucher, respect. « Quand je rencontre un futur intervenant, remarque Nicole Camboulive, je lui demande quels sont ses talents. Couture, coiffure, lecture… Chacun est riche de quelque chose et peut l’apporter à une personne âgée. »

Accompagnement au quotidien

Les adhérents de l’association bénéficient de 90 ateliers ou activités inter-âges proposés chaque semaine par les bénévoles. Les personnes en souffrance psychique font l’objet d’un accompagnement spécifique et ne sont pas soumises à une contention chimique. En accord avec le médecin coordinateur, les référents et la famille, l’équipe a mis au point des stratégies pour éviter les comportements d’agitation pathologique. Enfin, la gestion de la nuit est particulière pour les 23 résidents de l’Ehpad : collations et activités nocturnes occupent les insomniaques, les lits sont descendus au niveau du sol pour permettre des levers libres… « Avec l’infirmière, nous définissons une organisation pour l’accompagnement de chacun, explique Magali Fieffé, gouvernante depuis vingt-deux ans à l’Ehpad et au foyer logement. Et l’équipe se réunit le mercredi. Chaque intervenant met tout en œuvre pour retarder la perte d’autonomie : stimulation à la marche, utilisation restrictive des fauteuils roulants, mobilisation accrue pour éviter la fonte musculaire… « La mémoire s’use de ne pas servir et le corps qui ne sert pas s’ankylose », souligne Julien Bacabe, AMP. Il aide deux résidentes à descendre des marches, cannes à bout de bras. Inutile de prendre l’ascenseur : « On peut à la fois être dépendant et garder son autonomie, c’est à ce carrefour que se définit toute l’exigence de l’établissement. » Et puis, il y a les projets, ceux qui font rêver. « Nous avons organisé un voyage à l’île de la Réunion pour huit ? résidents de l’Ehpad et du foyer logement. On s’est endettés pour des années et on aurait pu s’en passer…, reconnaît Nicole Camboulive. Mais Saint-Exupéry n’a-t-il pas écrit : “Si tu veux qu’ils apprennent à s’aimer, fais-leur construire une cathédrale” ? »

1 – Association La Maison de l’amitié. 14, place du Palais, Albi. Tél. : 05 63 49 17 00 www.maisondelamitie.123.fr

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