La force d'aimer autrement - L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010

 

autisme

Reportage

Nicolas est autiste. à 42 ans, il vit au centre Oméga, lieu de vie et de travail, où avec d'autres adultes autistes, il partage un quotidien rythmé par les troubles de chacun et les repères de la vie collective.

«C'est très difficile d'aimer un enfant autiste. Un enfant qui vous tape dessus, vous griffe, vous mord, vous réclame tout le temps, et qui est absolument tyrannique. Il faut aimer autrement. On apprend à aimer autrement », confie Ghislaine Meillier, mère d'un enfant autiste aujourd'hui âgé de quarante-deux ans. Nicolas avait dix mois quand sa mère a compris qu'il ne pouvait pas communiquer. Elle a dès lors consacré sa vie à essayer de soulager ses souffrances.

Ghislaine Meillier, résolument volontaire, s'est battue alors que l'autisme n'était pas bien connu et, surtout, avant qu'il ne soit reconnu comme handicap en 1994. Elle s'est battue contre la médecine, d'abord, qui prescrit du calcium à Nicolas, jugé « paresseux » parce qu'il ne se tient pas debout à l'âge de treize mois. Contre l'éducation nationale qui, le jour des six ans de son fils, le dispense de scolarité obligatoire parce qu'elle est dans l'incapacité d'accueillir un enfant qui perturbe la classe. Contre les fortes posologies de neuroleptiques qui altèrent les capacités physiques et communicatives de son enfant. Contre le placement systématique des personnes autistes en hôpital psychiatrique « qui n'est pas toujours d'une prescription intéressante pour eux », comme le note le Pr Pierre Delion, chef de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Lille. Et « il y a très peu de professionnels, d'éducateurs, d'enseignants, de psychiatres qui savent ce qu'est l'autisme », regrette Ghislaine Meillier.

Culpabilité

Ghislaine s'est aussi battue contre un fort sentiment de culpabilité : « Quand on a un enfant qui ne va pas bien, on se demande quelle a été notre erreur », explique-t-elle. À l'époque, la psychanalyse décèle derrière l'autisme de son fils une psychose liée à une relation de « mauvaise qualité entre la mère et l'enfant ». Cette culpabilisation des parents pèse encore lourd sur la manière dont les soignants abordent les familles : le corps soignant doit tenir compte de la connaissance profonde que toute famille a de son enfant.

S'intéresser aux adultes

Enfin, cette mère de famille se bat encore aujourd'hui contre les représentations réductrices, presque caricaturales de l'enfant recroquevillé sur lui-même, fermé au monde. Ou encore celle présentant l'autiste comme un être génial, une sorte de « savant fou », tel Dustin Hoffman dans Rain Man. « Les gens sont très compatissants avec les enfants, remarque Ghislaine, surtout les beaux petits enfants autistes qui ressemblent à des chérubins. Mon fils aussi a été un chérubin. Mais on est petit pendant quinze ans et adulte pendant plus de cinquante ans... Et il faut assumer ça. Les gens ne s'intéressent pas aux adultes et encore moins aux adultes difficiles. Il faut assumer. »

Et comment prendre en charge les autistes qui peuvent être dangereux pour eux-mêmes et pour les autres lorsque les instituts médico-éducatifs ne les acceptent pas ? En 1991, Ghislaine Meillier et Janine Vidal-Sallei parviennent à créer Oméga, l'un des rares centres de vie spécialement destinés à l'accueil des adultes autistes en France, au sein du réseau Sésame autisme Nors-Pas-de-Calais. Un foyer d'accueil médicalisé qui n'a pas seulement « une fonction d'hébergement mais une ambition thérapeutique ». Le centre Oméga, près de Lille, est un espace protégé, mais ouvert sur le monde extérieur, et qui implique résidents, familles et soignants, car tous doivent être en accord avec le projet de vie proposé.

Lieu de vie et de travail

« Éduquer ce n'est pas imposer une série de comportements, mais aider à se construire », résume Janine Vidal-Sallei. Dans le réseau Sésame autisme Nors-Pas-de-Calais, tous les acteurs des centres, de l'administrateur à la lingère, du cuisinier à l'éducateur infirmier, s'impliquent dans la démarche éducative. Les murs de l'institution sont porteurs de sens. Ils sont unité d'hébergement et unité de jour : c'est-à-dire lieu d'habitat et lieu de travail. Ses résidents sortent cinq jours sur sept, soit pour les ateliers d'apprentissage, soit pour rejoindre Alter Ego, un groupement d'appartements thérapeutiques, véritable accès à la vie sociale et à l'autonomisation.

Repères

« Depuis dix-huit ans qu'il y vit, Nicolas progresse en communication. Il comprend, peut répondre et s'adapter aux situations. Même s'il reste violent, qu'il continue à s'automutiler, il est heureux d'être là », témoigne Ghislaine Meillier.

Chaque journée est préparée, structurée et ordonnée. Car le changement effraie les autistes. Et leurs angoisses génèrent parfois des accès de violence incontrôlable. Notre monde est incompréhensible à leurs yeux, et le leur incompréhensible au nôtre.

Le centre Oméga procure aux adultes autistes des repères visibles et concrets, à la fois par les murs rassurants de l'institution et par le déroulé d'événements clés : Noël, les vacances ou le camping à la ferme. En effet, malgré le regard des gens qui « fait parfois très mal » des séjours hors les murs sont organisés. « Des autistes dans un avion ou dans un train ! C'est la preuve qu'avec du courage, on parvient à leur faire faire des choses ! », se réjouit Ghislaine Meillier. Non sans rappeler qu'en mars 2004, la France a été condamnée par le Conseil de l'Europe pour violations des obligations qui lui incombent à l'égard des personnes autistes. Le manque de structures offrant une prise en charge éducative spécialisée contraint à l'exil en Belgique plus de 3 500 autistes français. « Il faut reconnaître aux adultes autistes le droit de vivre dignement dans notre société et non dans l'enfermement. Je sais bien que la souffrance, l'agressivité et l'étrangeté qu'ils peuvent exprimer dérangent, mais ils ont le droit à cette différence. »

Contact

Sésame autisme Nord-Pas-de-Calais, 33 bis, rue d'Avion, 62800 Liévin.

Tél. : 03 20 39 05 69.

Internet : http://www.sesame-autisme-59-62.org.