« Dépasser une non-demande » - L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010

 

Adolescence

Questions à

Depuis quatre ans, l'équipe mobile de l'hôpital rennais Guillaume-Régnier sillonne le sud de l'Ille-et-Vilaine en camping-car, pour aller à la rencontre de jeunes en difficulté.

Pourquoi avoir créé une équipe mobile alors qu'existent déjà des structures de prise en charge ?

L'équipe du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du CHU de Rennes est très souvent confrontée à des jeunes qui n'ont pas de demande explicite et qui ne consultent pas, soit car il n'y a pas d'élaboration de la demande, soit parce qu'ils ne savent pas comment et où exposer cette demande, soit encore parce qu'un travail thérapeutique déjà engagé n'a pas été poursuivi. Une dépression peut expliquer cette non-demande. Nous observons également que la famille est très souvent dans une situation de précarité psychique ou sociale.

Un bureau mobile pour aller à la rencontre de jeunes et de familles tout à fait isolés, rétifs à la pédopsychiatrie, était alors un moyen de dépasser cette non-demande et toucher ce public.

Comment se met en place votre intervention ?

Ce sont des signaux d'alarme qui justifient notre intervention. Un élève qui est toujours isolé dans la cour du collège ou qui est souvent absent, un autre qui est violent, dans les gestes ou dans les mots, un adolescent qui manifeste des troubles de la conduite... Il faut être attentif à ces signes.

Un enseignant peut nous contacter directement, inquiet pour un jeune. Le médecin généraliste est un interlocuteur important car il a une relation de confiance avec la famille. Des pédiatres, des assistantes sociales ou des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) peuvent aussi nous appeler. Le jeune et sa famille sont alors contactés par l'équipe. à ce moment-là, il ne s'agit pas de lui dire « tu es demandeur, mais tu ne le sais pas », mais plutôt que, nous, soignants, nous sommes demandeurs car nous sommes inquiets.

C'est valorisant d'entendre cela, surtout quand, dans les cas de dépression, il y a perte de l'estime de soi. Notre discours doit être assez mobilisateur pour enclencher une demande.

L'organisation elle-même de l'équipe est calquée sur les besoins de ce public...

La configuration innovante permet cette nouvelle approche qui est basée sur la réactivité et la mobilité du cadre. L'équipe peut être sur place dans les 48 heures en cas d'urgence.

L'intervention se pratique en binôme et, pour le premier rendez-vous, toujours avec un référent médical pour évaluer la situation clinique. L'équipe est pluridisciplinaire, composée de pédopsychiatres, d'internes, de psychologues, d'infirmiers et d'un cadre infirmier, d'une psychanalyste (qui assure une supervision tous les 15 jours), d'une éducatrice spécialisée et d'une assistante sociale. Ce qui permet d'organiser une succession de binômes, en fonction de la situation, mais aussi en fonction du ressenti de chaque professionnel et de sa propre histoire.

C'est important, car cela permet de montrer que l'équipe est dans le non-savoir et que, par conséquent, ce sont le jeune et sa famille qui sont les seuls détenteurs de leur propre histoire. Enfin, pour s'adapter, le lieu des rencontres peut changer. La famille est bien sûr libre de recevoir ou non à son domicile. Il nous arrive parfois de se retrouver à bord du camping-car à proximité du collège, sur une aire d'autoroute...

La famille est très présente dans votre démarche, alors que le dispositif vise à aller au-devant du jeune. Pourquoi ?

D'abord, nous ne sommes pas autorisés à enclencher des soins sans l'accord de la famille. Et l'équipe, qui a été formée à la thérapie familiale, n'oublie jamais de l'impliquer. Le jeune est toujours envisagé dans son environnement familial.

Le travail de requalification de la famille, souvent démunie, est le levier le plus important pour agir sur les troubles de la conduite. On invite certains parents à participer à un groupe de parole qui s'est mis en place à Rennes.

C'est un des relais possibles après les premiers contacts. Y en a-t-il d'autres ?

Généralement cinq ou six rencontres suffisent pour intégrer la famille dans une démarche de soins. Très souvent, le jeune souffre d'une pathologie du lien, et notre travail va être de tisser ce lien, voire de le rétablir. Le fait de créer des liens entre nous et d'autres institutions, différentes de notre entité mais dont on respecte les spécificités, donne un nouveau modèle de représentation des liens au jeune. Il va se rendre compte ainsi qu'il a une image multifacettes, non figée, donc capable d'évoluer.

Sylvie Tordjman Chef de pôle, service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent Centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes

Outre l'ouverture à Rennes de la première unité pour surdoués en difficulté de France, Sylvie Tordjman, professeur de pédopsychiatrie et chercheur au laboratoire de psychologie de la perception (CNRS et Université Paris-Descartes), a été à l'initiative d'une équipe mobile pluridisciplinaire qui va à la rencontre de jeunes adolescents en difficulté. Elle est coauteur avec Vincent Garcin, psychiatre et président de l'association des équipes mobiles en psychiatrie, de Les équipes mobiles auprès des adolescents en difficulté (Paris, éd. Masson, 2010, 25 Euro(s)).