Un « laboratoire social » contre la violence - L'Infirmière Magazine n° 191 du 01/03/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 191 du 01/03/2004

 

Horizons

À Bordeaux, un médecin légiste a créé en 1999 le Cauva (Centre d'accueil d'urgence des victimes d'agression). Son objectif ? Réunir autour de la victime une équipe pluridisciplinaire, mais aussi des représentants de l'ordre, pour entamer une procédure judiciaire. Visite.

Des lettres noires se détachent sur une simple plaque grise : Cauva. Le bureau d'une secrétaire, des banquettes, des portes qui s'ouvrent sur des salles de consultation. Installé à Bordeaux, au sous-sol de l'hôpital Pellegrin, un peu en retrait comme protégé dans une bulle, le Centre d'accueil en urgence des victimes d'agression (Cauva) apparaît au premier coup d'oeil comme un lieu sobre et classique.

C'est pourtant une sorte de laboratoire social où une équipe pluridisciplinaire s'ingénie à lutter avec efficacité contre la violence sous toutes ses formes. Françoise Bénani, cadre de santé auprès du service de médecine légale et du Cauva, explique que cette structure est née en 1999, de la volonté du médecin légiste, Sophie Gromb. « Elle a souhaité qu'un accueil spécifique soit réservé aux victimes d'agressions tant physiques que verbales. On reçoit ici aussi bien des femmes violées, battues, des enfants maltraités, des chauffeurs de bus agressés que des gens molestés en pleine rue ! »

Le service est notamment composé de trois psychologues, deux assistantes sociales, huit médecins légistes et un cadre infirmier. Il fonctionne de 9 heures à 19 heures, avec la possibilité de pouvoir constamment joindre un psychologue en cas d'urgence.

Une prise en charge pluridisciplinaire.

Comment le Cauva fonctionne-t-il quotidiennement ? « Les victimes arrivent généralement directement aux urgences, où elles sont prises en charge par le personnel soignant, qui nous informe rapidement de leur arrivée, explique Françoise Bénani. Notre équipe pluridisciplinaire se rend alors au chevet de la personne, afin que la victime n'ait pas à répéter plusieurs fois son histoire à des spécialistes différents. »

Dans quelle atmosphère se déroulent ces entretiens ? « Certaines victimes, qui ont subi un choc traumatique, sont réticentes à évoquer ce qu'elles ont vécu. On est donc là pour leur faciliter cette prise de parole, pour les informer de leurs droits et les aider à retrouver des repères. Mais, bien sûr, si certaines personnes refusent de communiquer, on respecte leur volonté. »

Un service d'urgence.

Dans les faits, les victimes ont tendance à culpabiliser énormément. Conséquence : si elles n'entreprennent pas des démarches immédiatement, elles abandonneront très vite toute procédure.

Dans les cas jugés les plus graves, le Cauva évite aux personnes agressées d'avoir à entreprendre le douloureux parcours du combattant qui les entraîne classiquement des urgences jusqu'au commissariat (afin d'y déposer plainte), assorti d'un retour à l'hôpital pour des examens complémentaires.

Faciliter les démarches.

« Lorsque les personnes doivent rester longtemps hospitalisées, explique Françoise Bénani, le médecin légiste contacte l'officier de police judiciaire. C'est ce dernier qui se déplace à l'hôpital, afin d'y enregistrer le dépôt de plainte. En revanche, lorsque les victimes sont moins gravement atteintes, on leur facilite simplement la démarche, en téléphonant à leur place pour fixer une date de rendez-vous au commissariat. Le but est que la victime ne se sente pas écartelée entre la police, la justice et le monde médical. C'est une nouvelle façon de respecter la mission de chacun tout en collaborant. » Le Cauva a d'ailleurs signé une convention avec plusieurs ministères (la Justice, l'Intérieur, la Défense et la Santé).

Pour diverses raisons, un certain nombre de femmes victimes de violences conjugales ne souhaitent néanmoins pas entamer tout de suite des procédures juridiques. Le médecin légiste se contente alors d'établir un dossier conservatoire qui, sans être réquisitoire, est gardé dans le service durant trois ans.

Conseiller pour reconstruire.

La victime est donc ensuite libre de réactiver ce dossier à tout moment, durant ce laps de temps. « On n'est pas là pour inciter les victimes à porter plainte à tout prix. On souhaite leur faire prendre conscience que leur situation peut changer, précise Françoise Bénani. Elles doivent réaliser qu'elles ne sont pas responsables des violences qu'elles ont subies ! L'assistante sociale est là pour les conseiller en matière de garde d'enfant, de quête de logement, mais elle peut aussi les aider à reconstruire leur vie de couple, si tel est leur désir... »

Penser au lendemain.

Le Cauva sert également de lieu de permanence à deux associations (Prado et Vict'aid) qui proposent une assistance juridique et psychologique gratuite aux personnes intéressées.

Dans les cas nécessitant un suivi médical ou psychologique important, les victimes sont orientées vers d'autres médecins ou d'autres services d'assistantes sociales. Car le Cauva a pour vocation d'être un service réactif répondant à des besoins urgents, déléguant à des réseaux externes compétents le suivi des victimes sur le plus long terme.

VIOLENCES CONJUGALES

Lever un tabou

Une partie des victimes reçues par le Cauva sont des femmes qui ont été blessées par leur propre conjoint. Un sujet de société longtemps demeuré tabou qu'a mis dernièrement en pleine lumière le décès de l'actrice Marie Trintignant. En France, chaque mois, six femmes trouvent encore la mort sous les coups de leur conjoint. Selon les statistiques, une Française adulte sur dix est victime de violences conjugales. Ce phénomène montre l'effort de prise en charge correspondant qui doit encore être fourni tant par les services médicaux et sociaux que judiciaires.