Mission : valoriser les personnes âgées - L'Infirmière Libérale Magazine n° 361 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 361 du 01/09/2019

 

POINT(S) DE VUE

INTERVIEW

Claire Pourprix  

Infirmière de profession, députée LREM de la huitième circonscription de la Loire-Atlantique, Audrey Dufeu-Schubert s’est vu confier en juin 2019 par le Premier ministre une mission gouvernementale sur « la place et l’image des aînés dans notre société ».

En quoi consiste la mission gouvernementale sur « la place et l’image des aînés dans notre société » ?

Audrey Dufeu-Schubert : Je travaille depuis septembre 2018 au sein d’un « laboratoire d’idées », que je coanime avec le Pr Gilles Berrut [président du gérontopôle des Pays de la Loire, ndlr], sur la question des discriminations liées à l’âge et du regard que porte la société sur les personnes vieillissantes. La mission que m’a confiée le Premier ministre s’inscrit dans le contexte du projet de loi grand âge et autonomie qui doit être présenté par la ministre des Solidarités et de la Santé cet automne. Ma mission porte sur trois axes : faire un état des lieux des discriminations liées à l’âge et les mettre en perspective avec le droit de la personne âgée ; identifier les leviers permettant de valoriser la place des personnes âgées dans notre société afin de promouvoir une image plus positive ; enfin, identifier les actions permettant de réconcilier les générations (au sein des programmes scolaires, dans le cadre du service national universel ou encore via le bénévolat). L’ensemble de ce travail aboutira à la remise d’un rapport mi-octobre, pour communiquer sur le sujet en amont du texte de loi. L’enjeu est de ne pas stigmatiser une catégorie de la population, de ne pas « mettre les gens dans des cases ». À ce titre, la sémantique a une grande importance : doit-on parler de grand âge ? D’avancée en âge ? De même, il ne faut pas se focaliser uniquement sur la dépendance : 15 % des personnes de plus de 65 ans sont dépendantes, cela veut dire que 85 % ne le sont pas. La personne ne doit pas être résumée à son âge, sa pathologie, chacune a un passé, une richesse, une expérience. Il nous faut donc trouver des solutions pour valoriser les personnes vieillissantes, améliorer les conditions de fin de carrière, mais aussi repenser notre rapport à la mort. En effet, derrière le déni du vieillissement se cache souvent une peur de la mort qui constitue sans doute le nœud du problème.

Est-ce que votre fonction d’infirmière vous est utile dans cette mission ?

A. D.-S. : Cette mission donne du sens à mon mandat, je la réalise avec mon regard de soignante, de politique et de citoyenne, car c’est un sujet qui me tient à cœur, avec une portée sociétale et humaniste. En tant qu’infirmière, puis plus tard comme directrice d’établissement accueillant un service de soins palliatifs, j’ai été interpellée par les différences d’accompagnement en fin de vie des patients jeunes et des plus âgés. Cela m’a questionnée sur les droits effectifs des personnes en fonction de leur âge. Le fait d’être infirmière donne confiance et crédibilise mon travail : je l’avais déjà ressenti lors de la campagne électorale, la compétence infirmière est relationnelle, avant d’être technique, et je m’en sers au quotidien pour entrer facilement et rapidement en contact avec les gens. Je sais les écouter, les mettre en confiance, quel que soit leur statut. La décision du Premier ministre de confier cette mission à une députée non-médecin est à souligner. Je suis d’autant plus fière de représenter les paramédicaux sur ces questions-là, à l’heure où la filière est très tendue, notamment dans les Ehpad et aux urgences. Il y a une réelle nécessité de changer le regard de la société sur les métiers paramédicaux car, demain, nous aurons besoin d’être en nombre pour prendre soin des personnes âgées. J’espère que cette mission pourra jouer en faveur de la reconnaissance des professions paramédicales, de la filière gérontologique et gériatrique. Bientôt, la population âgée à domicile sera multipliée par deux ou trois, les infirmières libérales seront en première ligne.

Vous menez ce travail seule, pourtant, il touche à de nombreuses spécialités. Comment vous organisez-vous ?

A. D.-S. : En effet, la question de la place des aînés ne doit pas être réduite au seul secteur médicosocial. Elle touche différents ministères et toutes sortes de structures : les associations de patients, les Ehpad, les collectivités territoriales, les médias, et notamment l’audiovisuel… qui ont un rôle clé dans l’impulsion d’une image positive des personnes âgées. Mon travail repose sur des auditions individuelles et des visites de terrain. Fin juillet, j’ai réalisé un tour de France du grand âge pour aller à la rencontre des associations, des institutions afin d’échanger avec les acteurs locaux et recueillir des propositions. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le sujet, les modèles des pays nordiques et du Canada sont très intéressants. Mais nous ne pouvons pas copier un modèle existant : chaque pays a sa culture particulière, c’est à nous d’inventer notre propre modèle.

les dates clés

1980 → Naissance à Saint-Nazaire

2003 → Diplôme d’infirmière à Paris

2016 → Master 2 Droit et Économie de la santé

→ Expérience en soins palliatifs

→ Intègre le mouvement La République en marche

2017 → Élue députée de la 8e circonscription de Loire-Atlantique

le contexte

Le 28 mars 2019, lors de la remise du rapport Libault, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, déclarait : « Notre société peine à donner espoir à sa jeunesse, et considération, visibilité et soutien à ses aînés. » Dans la perspective d’un projet de loi grand âge et autonomie, une vaste concertation nationale a mobilisé, d’octobre 2018 à février 2019, dix ateliers, cinq forums régionaux et une consultation citoyenne qui a recueilli plus de 1,7 million de votes, témoignant d’une prise de conscience collective sans précédent, et d’une volonté de voir évoluer la vision du vieillissement.

Le rapport Libault, issu de cette grande concertation, a mis en évidence des propositions qui pourraient faciliter le passage de la gestion de la dépendance au soutien de l’autonomie, dont des moyens financiers permettant de renforcer les effectifs de professionnels du grand âge et de développer les compétences indispensables à l’accompagnement des personnes âgées, notamment à domicile. La ministre souligne qu’il y a urgence à soutenir les professionnels courageux et engagés qui consacrent leur vie aux aînés vulnérables, et à libérer les personnes âgées d’une part du sentiment d’être un fardeau pour leurs proches et d’autre part de l’insoutenable culpabilité qui l’accompagne. Le rapport d’Audrey Dufeu-Schubert doit être remis mi-octobre, en amont de la présentation du plan gouvernemental pour une meilleure prise en charge de la dépendance et du grand âge.