L'infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019

 

DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Léonor Lumineau  

Lucie et Marc ont été suivis par le centre d’assistance médicale à la procréation de l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (AP-HP) pour avoir recours au diagnostic préimplantatoire. Une technique qui fêtera en juillet 2019 ses vingt ans de pratique en France.

Le jeune arbre, un pêcher de vigne, est planté dans le jardin, derrière le pavillon. Le couple l’a mis en terre après avoir perdu un enfant, à quatre mois de grossesse. Un hommage à ce petit garçon porteur d’une maladie génétique très grave, à laquelle il n’aurait pu survivre. Pour ne plus jamais revivre cette tragédie, ils ont poussé la porte du centre d’assistance médicale à la procréation (AMP) de l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine), pionnier en la matière.

Tout avait pourtant bien commencé. Lucie et Marc se sont rencontrés par un ami commun plusieurs années auparavant. En 2014, ils veulent essayer de faire un enfant. « Ma sœur souffre d’amyotrophie spinale infantile, une maladie héréditaire grave et incurable connue sous le nom de SMA. Elle est en fauteuil depuis ses 10 ans. Moi je suis porteuse saine. Par formalité et parce que nous en avions le droit, nous avons décidé de faire un test pour Marc, mais nous n’avions aucune peur, car personne ne souffre de handicap dans sa famille », raconte la jeune femme, assise à côté de son conjoint dans le canapé en cuir du salon de leur maison de Guerville (Yvelines). Mauvaise surprise : le jeune homme est également porteur sain du gène défectueux, mais aussi d’une translocation. Ils ont 25 % de risques d’avoir un enfant malade. Le couple croit néanmoins comprendre qu’ils peuvent tenter la voie naturelle.

En juillet 2015, bonheur : Lucie est enceinte. Elle fait un diagnostic prénatal (DPN), comme prévu. C’est le coup de massue : le test révèle que le fœtus est malade. « On ne nous avait pas dit, ou nous n’avions pas réalisé, qu’à quinze semaines de grossesse, en cas de problème, il fallait accoucher par voie basse après l’interruption de grossesse, à la maternité », souffle Lucie, en caressant doucement la tête de Ragoût, leur golden retriever. Traumatisés, Lucie et Marc décident d’avoir recours au diagnostic préimplantatoire (DPI). Ils plantent le pêcher de vigne dans le jardin, et poussent la porte de l’hôpital Antoine-Béclère, où leur dossier, déposé préventivement au début de leur projet de conception, a été accepté. Dans leur cas - très rare - il s’agira d’un double DPI (SMA et translocation).

Situé à Clamart, cet hôpital de l’AP-HP, où est né le premier bébé éprouvette français - Amandine, en 1982 -, fait partie (en collaboration avec le département de génétique de l’hôpital Necker) des cinq centres autorisés à pratiquer le DPI en France (avec Strasbourg, Montpellier, Nantes et Grenoble). C’est une mesure exceptionnelle et très strictement encadrée. « Le DPI est proposé aux couples qui risquent de transmettre à leur enfant une maladie génétique d’une particulière gravité au moment où la démarche de DPI est initiée. L’intérêt de cette technique est de pouvoir réaliser un diagnostic génétique sur un embryon - obtenu par fécondation in vitro (FIV) - avant qu’il ne soit porté par la femme. Le couple peut alors débuter une grossesse avec un embryon non atteint de la maladie recherchée », précise l’Agence de la biomédecine, qui agrée les centres, dans son rapport d’activité 2017. Le DPI concerne les maladies très graves et incurables, comme la maladie d’Huntington, l’hémophilie ou certaines formes de myopathies par exemple. « Mais il n’existe pas de liste, l’appréciation au cas par cas est laissée au collège de médecins qui examine les demandes. En 2017, au niveau national, 797 demandes ont été acceptées sur 1 018 dossiers déposés, et 270 enfants vivants sont nés », détaille le Pr Philippe Jonveaux, responsable de la direction de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines à l’Agence de la biomédecine.

Le procédé est une prouesse technologique et médicale. « Concrètement, on prélève une ou deux cellules sur chaque embryon obtenu suite à la FIV à j+3, quand ceux-ci ont entre 6 à 10 cellules, puis nous faisons un diagnostic sur celles-ci à la recherche de l’éventuelle présence du gène défectueux », explique le Pr Pierre Ray, coordonnateur du centre de DPI du CHU de Grenoble, dernier centre à avoir reçu l’agrément. « 70 % des tentatives de stimulation aboutissent à un transfert, contre 95 % pour un couple en FIV classique. Ensuite, le taux de réussite est le même que pour une FIV classique, autour de 30 % », explique le Pr Nelly Frydman, responsable de l’unité de biologie de la reproduction à l’hôpital Antoine-Béclère, qui s’est occupée de Lucie et Marc et qui accepte environ 200 couples par an pour un DPI, sur environ 300 dossiers reçus.

En moyenne, le délai d’attente entre le dépôt de dossier et la réponse du centre est d’un an et demi. « Chaque couple nécessite une mise au point technique, le DPI n’est pas standardisé, et cela est notamment dû au fait que le diagnostic est fait sur une seule cellule, ce qui requiert une technologie très fine et un gros travail sur la fiabilité du diagnostic. Sans compter que comme le DPI est autorisé à titre exceptionnel, il n’y a que cinq centres en France, contre cinquante pour le DPN », décrypte le Pr Nelly Frydman.

Leur dossier accepté à l’hôpital Antoine-Béclère, le parcours de Lucie et Marc débute donc comme pour une FIV classique. Ils vivent leur première stimulation ovarienne, sans succès. Puis enchaînent sur une deuxième. Lucie, qui vit mal les stimulations, est très angoissée. « J’avais gardé en tête le choc de l’échec de la première. À la deuxième, j’ai eu très mal aux seins et au ventre, sans compter la fatigue », se souvient-elle. Nouvelle douche froide : « Nous ne nous attendions pas au dégrèvement énorme entre le nombre d’ovocytes prélevés, treize, et le nombre d’embryons obtenus après la FIV, trois », se remémore Marc. Le couple doit prendre son mal en patience : les embryons sont congelés pour être ajoutés à ceux de la troisième stimulation. Au final, quatre embryons sont testés. Un seul est sain, le numéro 6.

Pour Lucie et Marc, les échecs sont à chaque fois des « claques ». « Le parcours en procréation médicalement assistée (PMA), c’est les montagnes russes émotionnelles. Il est très difficile de ne pas mettre sa vie entre parenthèses. Très vite, toute la vie quotidienne tourne autour, à cause de tous les rendez-vous médicaux, des traitements, des résultats attendus, et du manque de visibilité », souligne Marc. « Sans compter la fatigue, les sautes d’humeur dues aux hormones prises ou aux douleurs, et les difficultés de voir ses amies enceintes », explique Lucie, qui souligne aussi la dure conciliation entre PMA et vie professionnelle.

Pendant les deux ans que dure leur parcours d’AMP, le couple souffre. Marc ne subit par les traitements médicaux mais a conscience de l’épreuve pour sa conjointe. « Un jour, il m’a dit : “Nous deux on n’est pas compatibles, et je sais à quel point il n’est pas envisageable pour toi de ne pas avoir d’enfant. Si tu pars pour trouver un autre géniteur, je ne t’en voudrais pas”. C’était évidemment hors de question pour moi », se souvient-elle, émue. Plusieurs fois, les personnels médicaux qui les accompagnent les mettent en garde : dans un parcours d’AMP, beaucoup de couples explosent suite à une rupture de la communication.

Chaotiquement parfois, pas à pas toujours, les deux trentenaires apprennent donc à se parler. Pas facile, quand les corps et les âmes souffrent, et que la colère intérieure déborde. « Parfois, j’interprétais mal sa manière de réagir, j’avais l’impression qu’il s’en fichait. Mais en fait, j’ai compris que c’était juste que nous ne souffrions pas au même moment, pas de la même manière, et que nous n’avions pas les mêmes façons de gérer la souffrance », explique Lucie. Mais aussi avec leurs proches, chose loin d’être aisée tant la PMA est taboue. « C’est fou le nombre de personnes qui nous ont du coup révélé qu’eux aussi avaient du mal à faire un enfant. La PMA est hyper taboue, parce que c’est intime, parce que tout le monde arrive à faire un bébé, sauf vous… Alors que de très nombreux couples y sont confrontés. Chacun reste seul, c’est terrible », assure Marc. Malgré la souffrance, le couple estime avoir hérité de cette épreuve des clés pour les années à venir.

En octobre 2017, après une pause de quelques mois, l’équipe médicale du centre de PMA de l’hôpital Antoine-Béclère transfère dans l’utérus de Lucie l’embryon numéro 6. Quelques mois plus tard, après une grossesse mâtinée d’angoisse à l’idée de perdre une nouvelle fois le bébé, Célestine est née, en parfaite santé. Pour le plus grand bonheur de ses parents, qui avaient tant désiré cette petite fille qui grandira en même temps que le pêcher de vigne.