PMA : passera ou passera pas ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

Point (s) de vue

Débat

Françoise Vlaemÿnck  

Le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé en faveur de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires*. Soutenue par les associations LGBT, cette mesure a aussi ses opposants.

L’élargissement de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires est-elle souhaitable ?

Joël Deumier : La PMA est une question d’émancipation des femmes. Son accès s’inscrit dans la lignée du droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La PMA permettra aux femmes de mieux disposer de leur corps. Elles pourront mieux décider quand et comment elles mettent en œuvre, seule ou avec la personne avec qui elles vivent, un projet de famille. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la PMA soit étendue à toutes les femmes, y compris aux femmes célibataires. La PMA est aussi une question d’égalité entre les personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle, puisqu’elle est déjà autorisée aux couples hétérosexuels infertiles. On est donc face à une vraie discrimination. Par ailleurs, il faut souligner que trois instances de la République – le Défenseur des droits, le Haut Conseil à l’égalité femme-homme et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) – se sont prononcées en faveur de l’extension de la PMA. Il est plus que temps que cette avancée soit traduite dans la loi.

Dominique Quinio : L’avis rendu par le CCNE envisage d’ouvrir la PMA (ou insémination avec donneur, IAD) aux couples de femmes et aux femmes seules – un texte qu’il conviendrait de lire attentivement, sans se contenter de la conclusion. Dans la première partie de sa réflexion, en effet, il aborde les différentes questions que poserait une telle ouverture : les conséquences pour les enfants nés ainsi et l’évolution du rôle de la médecine – la PMA est aujourd’hui proposée à des couples touchés par une infertilité pathologique, or il s’agirait désormais de répondre à une demande sociétale. Enfin, le texte évoque la raréfaction des gamètes que supposait une telle ouverture. Au terme de ces analyses, un quart des membres du Comité d’éthique, dont moi-même, a jugé que la prudence était de rigueur et opté pour le statu quo.

Quels seraient les effets de cet élargissement pour ses “bénéficiaires” et plus largement pour notre société ?

J. D. : Aujourd’hui, une femme qui veut recourir à la PMA est obligée d’agir hors la loi en se rendant dans un pays qui l’autorise. Cela implique des risques importants pour la santé des femmes et de l’enfant à naître. Le suivi de grossesse, qui ne peut être réalisé en France, n’est alors pas toujours bien assuré ou est discontinu. Or, pour qu’une grossesse soit réussie, un encadrement médical stable et pérenne est nécessaire. Dans l’illégalité, ces femmes sont aussi soumises à une grande anxiété parce qu’elles sont obligées de cacher leur projet de famille à leur employeur ou à leur entourage. Dans ce contexte, légiférer en faveur de la PMA est pour les femmes et leurs enfants tout autant une affaire de santé publique que de dignité. Mais c’est aussi une question de justice sociale. Une PMA à l’étranger a un coût (voyages, inséminations, traitements hormonaux, visites médicales…) et seules les personnes les plus aisées peuvent y avoir recours alors que l’Assurance maladie prend en charge 100 % des frais liés à la PMA pour les couples hétérosexuels. Nous demandons la stricte égalité. L’adoption d’une loi en faveur de la PMA serait le signe que notre société prend soin des familles dans leur diversité.

D. Q. : Tout dépend de ce que l’on entend par “bénéficiaires”. S’agit-il des femmes pouvant mener à bien un désir d’enfant ? Ou des enfants ainsi nés et qui seront, non pas du fait des aléas de la vie, délibérément privés d’un père, qu’il soit biologique, adoptif ou social ? Puisqu’en la matière, il est beaucoup question du droit des femmes, ne doit-on pas se poser la question des droits des enfants et ce qui est le mieux pour eux ? Finalement, avec la PMA pour toutes, n’est-on pas en train d’instaurer un droit à l’enfant, d’en faire un objet ? Un autre sujet est celui du nombre limité de gamètes disponibles et des délais importants avant de pouvoir bénéficier d’une IAD. Comment “partager” les gamètes entre les demandeurs : si les couples hétérosexuels sont prioritaires, l’ouverture promise serait un leurre, mais si la procédure est la même pour tous, les couples hétérosexuels infertiles seront pénalisés. Faudra-t-il, pour augmenter le stock, rétribuer les donneurs, contrevenant ainsi au principe de gratuité, fondamental dans le système français. Enfin, certains jugent que, une fois cette étape franchie, sera revendiquée, toujours au nom de l’égalité des droits, la légalisation de la gestation pour autrui, posant la question de l’intérêt de l’enfant, mais aussi des droits de la mère porteuse, amenée à louer son utérus.

La levée de l’anonymat du donneur est-elle à envisager pour permettre aux enfants nés par PMA de connaître l’identité de leur géniteur s’ils le souhaitent ?

J. D. : Il faut écouter et entendre ce que veulent les femmes et les couples de femmes. D’un côté, une personne doit avoir le droit de savoir d’où elle vient ; de l’autre, le donneur de gamètes, qui fait un acte généreux, ne souhaite pas forcément être le père de l’enfant ou des enfants. Cette question est importante et nous y réfléchissons, pour concilier le respect de ce que souhaitent les femmes et celui de l’identité de l’enfant.

D. Q. : La question ne concerne pas seulement, d’ailleurs, la PMA pour toutes les femmes, mais l’IAD en général ou encore les accouchements sous X. Des enfants nés ainsi réclament d’avoir accès à leur origine, de connaître leur histoire – cette quête est importante, structurante pour eux et la filiation n’est pas un sujet mineur – bien que les couples demandeurs n’y soient sans doute pas prêts. En outre, si l’anonymat était levé, le nombre de donneurs de gamètes chuterait à coup sûr. Se poserait à nouveau, pour compenser la pénurie, l’alternative à devoir les rétribuer, au risque de recruter les donneurs parmi des personnes contraintes, matériellement, à un don qui est loin d’être anodin.

* Avis n° 126, 15 juin 2017, ccne-ethique.fr

le contexte

L’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et femmes célibataires figurait dans le programme du candidat Macron. Devenu président, il a confirmé qu’il y était favorable dans le cadre de la révision des lois de bioéthique en 2018. Mais il souhaite désormais, avant de se décider, que ce sujet “complexe” fasse l’objet d’une concertation menée par le CCNE.