La Roya, vallée des migrants - L'Infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017

 

INITIATIVE

Actualité

Françoise Vlaemÿnck  

TÉMOIGNAGE > Installée depuis cinq ans à une centaine de kilomètres au nord-est de Nice, Florence Perné est l’une des libérales qui viennent en aide aux migrants bloqués dans la vallée de la Roya. Un engagement conforme à ses valeurs d’infirmière.

Jamais je n’aurais imaginé participé à une action humanitaire en France et encore moins ici », confie Florence Perné. Depuis l’été dernier, c’est pourtant ce que fait l’Idel installée à Breil-sur-Roya, petite commune des Alpes-Maritimes, proche de l’Italie. Amie de Cédric Herrou, l’agriculteur jugé début janvier pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière », elle n’a pas hésité lorsque celui-ci l’a appelée pour soigner des migrants.

Risque de garde à vue

Arrivés d’Érythrée, du Tchad ou encore du Soudan, ces hommes souvent jeunes, et parfois mineurs, profitaient de la nuit pour passer la frontière italienne. Beaucoup transitaient par la Vallée de la Roya, où vit l’agriculteur. « Certains ont frappé à la porte de Cédric pour demander de l’aide. Et il s’est retrouvé, malgré lui, à devoir gérer cette situation », explique Florence Perné, qui se définit comme « non-militante. Je ne suis d’aucun parti ni adhérente à aucune association, pas même à celle de Cédric créée depuis ». Mais si quelqu’un a besoin de soins, l’infirmière n’est pas du genre à lui réclamer ses papiers au préalable. Alors, soigner des migrants dénués de tout, c’est être parfaitement au clair avec ses valeurs de soignante. Quitte à être dans l’illégalité. Un engagement qui n’est pas sans risques. « On nous apprend à soigner, mais si on fait notre métier dans ces circonstances, on peut être placé en garde à vue et jugé. » D’autres ont fait un choix différent. « Non seulement des médecins ont refusé de prendre en charge des migrants mais, plus choquant encore, certains ont prévenu la police. » Mais une poignée s’est engagée aux côtés des migrants. « Seule, je ne pouvais pas prendre en charge certains d’entre eux dont le cas était plus lourd et qui avaient absolument besoin de consulter un médecin. »

Plaies, entorses, fatigue

« D’Italie, il y a sept heures de marche pour rallier la vallée. Une marche difficile, dans les cailloux et à travers les taillis, souvent faite de nuit pour échapper à la police, et avec la peur au ventre d’être pris et reconduit en Italie. Bref, les premiers soins consistent à panser des plaies, des entorses dues à la fatigue, parfois à l’épuisement. Quant ils arrivent ici, après des semaines d’errance et de privation, les hommes sont rincés physiquement et psychologiquement. D’autant qu’avant de fuir leur pays, ils ont le plus souvent connu la torture, la terreur », témoigne Florence Perné. La situation a fait naître « une magnifique solidarité », qui s’est organisée. Après la fermeture des locaux de la SNCF, que Cédric Herrou avait aménagés en campement de survie, les migrants qui restaient ont été accueillis par des habitants. « Il y a un sentiment de résistance très fort dans la vallée », se félicite l’infirmière.

« Situation bloquée »

Un sentiment renforcé par l’omniprésence des forces de l’ordre. « Toutes les routes sont quadrillées. Il est impossible de se déplacer avec des migrants alors que certains auraient besoin d’examens, voire d’être hospitalisés. Et faire une demande d’asile suppose de pouvoir se rendre auprès de services compétents. La situation est totalement bloquée. » Pour les mineurs isolés, le problème est tout aussi insoluble, car les démarches auprès de l’Aide sociale à l’enfance prennent du temps. « En attendant, il faut bien les prendre en charge », indique l’infirmière. Un constat qui génère de la colère chez pas mal d’habitants de la vallée qui considèrent faire le « boulot de l’État ». Avec l’hiver, et l’action des forces de l’ordre, l’arrivée des migrants s’est tarie. « Mais avec le printemps qui arrive, les passages de la frontière vont sans doute reprendre », note l’infirmière. Heureusement, depuis quelques semaines, la libérale n’est plus seule. Une collègue, deux infirmières hospitalières et une à la retraite sont désormais sur le pont des soins avec deux généralistes. Ils travaillent désormais sous couvert de Médecins de Monde, qui fournit médicaments et laissez-passer pour soigner les migrants à domicile.