Addictions : accompagner sans imposer - L'Infirmière Libérale Magazine n° 286 du 01/11/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 286 du 01/11/2012

 

Christian Digonnet, psychiatre, chef du Centre mutualiste d’addictologie de la Loire

La vie des autres

Après avoir longtemps soigné des toxicomanes, le Dr Digonnet a pris la tête du Centre mutualiste d’alcoologie de la Loire, rebaptisé Centre d’addictologie. Son rôle premier, c’est de savoir écouter, pour amener les patients à se remettre doucement en question.

Christian Digonnet, psychiatre, baigne dans l’addictologie depuis les premières heures des années 1980. Mais, à l’époque, on ne parle pas encore d’addiction. On distingue au contraire nettement l’alcoolisme de la toxicomanie. « L’addictologie est une sous-discipline de la psychiatrie née il y a une dizaine d’années et regroupant tous les problèmes d’addiction, quel que soit le produit », explique Christian Digonnet. Alors interne, il soigne des toxicomanes au sein du CHRU de Nice. « Une équipe dédiée aux patients toxicomanes à l’intérieur d’un CHU, à l’époque, c’était complètement nouveau », se souvient-il. Le défi de traiter des pathologies difficiles à prendre en charge l’attire ainsi dans la voie de l’addictologie.

De retour à Saint-Étienne, sa ville d’origine, à la fin de son internat en 1983, il fonde une structure de consultation intra-hospitalière pour toxicomanes. En 1999, il verse dans l’alcoologie : il devient médecin-chef du Centre mutualiste d’alcoologie (CMA) tout juste inauguré à Saint-Galmier, commune de la Loire célèbre pour sa source.

Ouvert à toute addiction

Le centre accueillait les patients présentant comme addiction principale l’alcoolisme. « Il y a deux ans, on a sauté le pas et on a décidé de prendre en charge toutes les addictions », poursuit le médecin psychiatre. Le Centre mutualiste d’alcoologie a donc été rebaptisé Centre mutualiste d’addictologie. Car pourquoi continuer à dresser un mur entre “addicts” à l’alcool, à l’héroïne mais aussi au tabac ou au jeu, puisque ces derniers présentent beaucoup de points communs, quand ils ne sont pas esclaves de plusieurs produits à la fois, défend Christian Digonnet ? On retrouve à l’œuvre « les mêmes mécanismes neuro-biologiques, les mêmes fonctionnements psychologiques de dépendance, les mêmes soucis sociaux de désadaptation ». À la différence que les drogues « n’abîment pas les mêmes organes ».

Le CMA – établissement pour les soins de suite et de réadaptation spécialisé en addictologie – compte 51 lits. Il emploie, entre autres, médecins, infirmiers, psychologues, éducateurs en art ou sportifs, pour la plupart formés en addictologie. Le Dr Digonnet partage, lui, son temps entre ses consultations psychiatriques et ses fonctions de chef d’établissement. Bon nombre de malades admis au CMA souffrent de « troubles de la personnalité marqués », remarque le médecin attaché au travail d’équipe. Les soins exigent en effet un mélange des genres : « Beaucoup de médecine, beaucoup de psychologie, pas mal de psychiatrie, beaucoup de social… »

Dans l’idéal, les patients qui entrent à Saint-Galmier ont terminé leur sevrage. L’âge moyen tourne autour de 35-40 ans. Deux tiers sont des hommes, un tiers des femmes. Pour la majorité, l’alcool est leur principale addiction. Ou alors, il s’agit du cannabis. « Mais il est bien rare que les gens ne soient “addicts” qu’à une seule chose », observe Christian Digonnet.

Le patient, acteur

Le chef d’établissement a placé la psychothérapie institutionnelle au cœur du projet du CMA. Ici, le patient prend une part active dans la construction de son programme thérapeutique. « Soigner quelqu’un, c’est d’abord l’écouter », selon le psychiatre. Ce programme d’une durée de cinq semaines s’articule autour de la maison de “re-peau” et la cure de “re-goût”. “Re-peau”, pour réaliser à nouveau qu’avec ses cinq sens uniquement, on peut prendre du plaisir. Et “re-goût”, pour reprendre goût à se soigner, s’occuper de son corps et de son esprit. À travers des séances de balnéothérapie, d’expression corporelle, d’art, etc., les soignants cherchent à faire vivre aux patients « une expérience qui les amène en position d’auto-critique par rapport à leur façon d’être ».

Après trente ans de métier, le médecin psychiatre confie avoir appris l’humilité. « Il y a des personnes qui disent qu’elles s’en sont sorties, mais ce n’est pas si fréquent », reconnaît-il. Il se réjouit plutôt de voir aujourd’hui l’addictologie « en plein brassage ». Il ne parle pas ici du baclofène, ce décontractant musculaire utilisé hors autorisation de mise sur le marché pour traiter l’alcoolisme, mais plutôt de ces frontières qui tendent à disparaître entre alcoolisme, toxicomanie, addiction au cannabis… Le baclofène, il le prescrit « sur la pointe des pieds » à vrai dire. Mais au moins ce médicament, qui permettrait à certains malades de retrouver une consommation normale d’alcool, a-t-il le mérite de participer à faire tomber les dogmes tels que « il boit, il doit arrêter et il n’y a pas d’autre solution » ou « il est toxicomane, on va essayer de lui éviter le sida et les hépatites et ça suffit ». Au contraire, « notre rôle est d’accompagner sans rien imposer ».

Il dit de vous !

« Il y a quatre ans, j’ai essayé de monter un réseau d’accompagnement des sevrages à domicile, mais je me suis heurté à de gros problèmes administratifs et financiers. Il y avait des infirmiers libéraux partants pour ces sevrages, mais tellement débordés qu’ils n’avaient pas le temps de réaliser ce type de prise en charge. Les infirmiers libéraux sont des témoins avancés du mode de vie des gens, mais ils n’ont pas non plus le temps de se former aux problèmes de l’addictologie et de l’alcoologie en particulier. Ils vont pousser les gens au soin, ce qui est fondamental et de la responsabilité de tout professionnel de santé. Mais, en voulant les pousser ainsi, ils vont brandir le sevrage. Or c’est le meilleur moyen de faire peur aux patients. Les infirmiers forment la première ligne de soins, mais ce sont ceux qui sont les moins armés et qui ont le moins de disponibilité pour faire de la prévention. »

PROFESSION

Les psychiatres en nombre insuffisant

Au Centre mutualiste d’addictologie de Saint-Galmier dans la Loire, le Dr Christian Digonnet assure toutes les consultations psychiatriques, entre 25 et 30 par semaine. Si le Dr Digonnet était épaulé par un collègue psychiatre, ce n’est plus le cas depuis quatre ou cinq ans. La situation ne devrait pas aller en s’arrangeant. Dans son recueil en ligne d’études statistiques sur la prise en charge de la santé mentale, la Drees rapporte des projections réalisées en 2004. Elles prévoient « une diminution sensible du nombre de psychiatres d’ici à 2025 », soit moins 36 % entre 2002 et 2025. Pour être psychiatre, il faut avoir obtenu son diplôme d’études spécialisées en psychiatrie après le concours d’internat. Le psychiatre addictologue possède en plus une capacité en addictologie.